Le bis grec, c'est Nico Mastorakis avec un opus horrifique TA PAIDIA TOU DIAVOLOU (ISLAND OF DEATH en anglais) qui en secoua plus d'un en 1975. C'est aussi L'ATTAQUE DE LA MOUSSAKA GEANTE de Panos Koutras. Mais il manquait clairement quelques zombies affamés. Chose faite avec TO KAKO qui sorti en avril 2006 dans les cinéma grecs et qui fit le tour de force de se vendre à peu près partout autour du monde, jusqu'aux USA (chez TLA Releasing) ou en Grande Bretagne.
C'est un peu la concrétisation d'un rêve que certains d'entre nous caressent avec plus ou moins de force : celle d'un projet cinéma tendance B voire Z. Ce qui a animé pendant près de trois ans l'équipe derrière la mise en image du premier films de zombie grec : TO KAKO - qui veut dire «le mal» - (en grec : To Κακό – et en anglais : Evil). Yorgos Noussias (réalisateur, producteur, monteur, acteur et scénariste), Petros Nousias (producteur, ingénieur du son, directeur photo et responsable des effets spéciaux), Claudio Bolivar (producteur et directeur photo) ont pu rassembler un budget de 150.000 euros et s'amuser comme des petits fous.
En creusant dans les sous-sols d'Athènes, trois topographes libèrent par erreur un mal inconnu qui les transforme en zombies assoiffés de sang. Ils attaquent leur proches et l'épidémie se répand sur Athènes, contaminant rapidement tous ses habitants. Un groupe de survivants atypiques tente tant bien que mal de résister à l'assaut de hordes affamées.
Avec un scénario qui ressemble à une bonne dizaine de produits déjà disponibles sur la marché (on pense de suite à 28 JOURS PLUS TARD, entre autres), il faudra que cet avatar grec soit sacrément original pour emporter l'adhésion. Tout ne l'est pas complètement, bien au contraire. Mais certaines situations, des personnages loin des stéréotypes attendus, un humour exagéré sans compter les références purement locales – notamment des événements de 1967, entre autres - font que le cinéaste a su s'amuser de son matériau de base. Conscient de ses limites, il sait se jouer des conventions du genre tout en embrassant gaillardement les clichés attendus.
Le récit se déroule sur trois jours et sa linéarité en fait curieusement sa force et sa faiblesse. Faiblesse car le film ne va pas plus loin que ce que le résumé ci-dessus le laisse entendre. Force car TO KAKO démarre de suite, entame les hostilités avec les morts-vivants et la course ainsi que les attaques ne finiront plus jusqu'au terme des 78 minutes (on met hors course les 2 minutes réservées au générique final). Il faut passer sur quelques erreurs de continuités, une plage de calme à la 46ème minute suivant un long massacre de morts-vivants et le film repart pour se terminer en apothéose sur un travelling arrière vertical laissant une fin complètement ouverte (une apocalypse en devenir ?). Qui plus est, les auteurs ont également l'intelligence d'offrir des personnages certes peu fouillés en caractérisation, mais éloignés des stéréotypes habituels de films horrifiques occidentaux récents. Un bon point.
L'attraction principale : le gore. Peter Jackson a certainement eu les quatre compères dans son école du genre. Si les premières attaques réservent quelques timides geysers de sang, on se dit que le manque de moyens l'emporte sur le fait de montrer véritablement l'action. Il faut attendre quinze minutes pour assister à l'éviscération d'un passant et remercier le dieu latex (pas celui des capotes, hein) de toujours permettre de si beaux débordements. Puis à la une superbe scène de bataille survivants/morts vivants dans un restaurant avec un festival de corps brisés, de têtes écrasées au billot, de boites crâniennes coupées en deux, d'étranglements aux intestins fraîchement extraits… mixés avec une experte en art martial (Stavroula Thomopoulou) qui se démène via cascades en tous genres, le film prend son rythme de croisière. Humour noir, effets à gore déployé, caméra à l'épaule, approximation des effets et rapidité d'exécution. Les combats sont réglés de manière amateur mais qu'importe, le punch et le plaisir bissard l'emportent. On sent qu'il s'agit d'un projet fait pour le plaisir des auteurs et celui donné aux fans à qui s'adresse le film. Qu'importe les paraboles sur la consommation à la ZOMBIE - le second opus réalisé en 2009 aurait pu verser dedans aux vues de la crise économique grecque mais ça n'est clairement pas le but suivi. On se contrefiche des explications sur le pourquoi de la contamination globale. La logique a été envoyée valdinguer dans les décors.
le contrepoint humoristique est souvent un corollaire des splatters. TO KAKO a choisi ce camp-là en la matière et repose une partie de la narration sur le ressort comique. Les situations en premier lieu, mais également sur le personnage d'Argyris, archétype du grec séducteur et hâbleur… qui n'a envie que d'une chose: lécher le pied de la jolie karatéka ! Sur cette base de loser perpétuel et ses échecs répétés de séduction du sexe faible, vont se suivre quelques gags plus ou moins bien amenés mais qui génèrent régulièrement le sourire. A savoir que, lorsqu'Argyris arrive à ses fins, c'est pour mieux qu'un zombie commence à manger l'autre pied de sa compagne ! Tout est à l'avenant, profitant de nombre de perforations effectuées dans les zombies afin de faire passer une main pour saluer un pote de l'autre côté du corps, quid du manche d'une hache enfoncé depuis la nuque à travers la bouche, la fourchette qui traverse un œil jusqu'à l'opposé de la boite crânienne… le rire est toujours utilisé comme soupape de sécurité via l'exagération des situations.
Ensuite le lieu : Athènes. Une des villes les plus denses en terme de population, de pollution et d'engorgement de véhicules. Là aussi, malgré le budget riquiqui, les auteurs réussissent à créer un Athènes vide et dont les artères de sorties se trouvent engorgées de véhicules remplis de cadavres. Car les héros ne sont pas seulement ceux décrits par la narration ou encore les meutes de zombies errants, mais bien la ville qui ne trouve plus être que l'ombre d'elle-même. On notera un travail particulièrement intéressant sur les détails sonores qui parsèment le film, au fur et à mesure de la progression des survivants dans la ville. Un environnement sonore particulier où le Mal possède sa propre symbolique et ne peut être entendu qu'à travers Athènes réduite au silence. Ce travail sur le son (celui de la lame à la 41ème minute, entre autres) se répercute sur l'ensemble de l'action : l'apport l'influence directs de Panos Noussias.
La mise en scène et le montage sont ce que TO KAKO offrent de plus prometteur. Yorgos Noussias s'avère un technicien plus qu'honorable. Une caméra très mobile (avec hélas parfois une tendance à la shakycam) qui suit de près la fuite des personnages. Et un travelling circulaire aux curieux accents lelouchiens ! Il en ressort une énergie évidente dans les scènes de course à travers la ville désertée. Puis la multiplication des points de vue afin de créer une dynamique différente dans le récit et donner au spectateur plus qu'il en attendait. Noussias a recours à la technique du «split-screen» (ou «picture in picture», notions à rayer en fonction des goûts de chacun), où différents cadres et angles de vues situés dans le seul cadre de projection : Efficace et utilisé intelligemment, avec parcimonie. Le réalisateur indique d'ailleurs avoir repris cette idée après avoir vu la première saison de 24 HEURES CHRONO. En ce sens, le making-of disponible sur le DVD grec donnera au DVDphile matière à comprendre les difficultés rencontrées en la matière. Noussias possède un réel talent en la matière et aux vues de ce qui a été réalisé avec un tel budget, nul doute que sa carrière pourra suivre un chemin qui s'annonce brillant. Un des meilleurs exemples du film reste l'attaque de la trentaine de zombies à partir de la 40ème minute : presque six minutes ininterrompues de combat à coup de chandelier enfoncés dans chaque oreille, de prise de karaté à découper un corps en deux, de tripatouillages de globes oculaires… beaucoup de nerf et de force dans le descriptif. Ajouté à un montage assez vif, la scène possède une épaisseur inattendue. Certes, le film doit beaucoup à ses prédécesseurs (ce que Yorgos Noussias reconnaît dans le commentaire audio du DVD) mais le talent est bien là !
Passés les incompressibles génériques de l'éditeur, le sponsor officiel (un parc de loisir aquatique…) et l'interminable publicité contre le piratage – impossible d'y couper -, on arrive sur le menu initial. Le DVD sorti par AV en Grèce offre tout d'abord une option de choix : des sous-titres anglais. Il va falloir, pour les non initiés en grec, se battre avec l'alphabet cyrillique du menu afin de comprendre ce que la galette peut offrir. Pour commencer : une piste en Dolby Digital grecque stéréo encodée sur deux canaux et un mixage 5.1. On note bien des effets stéréo de musique ou des d'effets sonores mais tout semble assez grossier dans la restitution de l'ensemble. Les dialogues sont cependant bien audibles, tant que l'épouvantable musique tzoïng-tzoïng électronique ne vient pas perturber l'écoute. Une fois celle-ci enclenchée, très difficile d'entendre le reste. Des sous-titres anglais amovibles font la joie du spectateur anglophone. A noter que l'éditeur a eu l'intelligence de placer également les sous-titres anglais sur le making-of ! Une autre piste présente, celle réservée aux commentaires de l'équipe du film. Et là, belle surprise : des sous-titres anglais également présents afin de suivre les échanges passionnants entre Yorgos Noussias, Petros Nousias et Claudio Bolivar. De l'origine du film aux péripéties de tournage, le commentaire parvient à s'échapper de la simple illustration des images présentes, et chaque interlocuteur s'exprime sur ses choix narratifs, visuels ou de composition de plans. Tout comme leur niveau d'intervention au niveau du montage et de la post-production et des mixages sonores. Lorsque le réalisateur indique que dans le film de genre, il préfère un mixage relativement bas des lignes de dialogues par rapport aux bruits ambiants (la scène d'ouverture de la grotte, par exemple. Et qu'au cinéma, les dialogues étaient inaudibles ! De ce fait, l'édition DVD a corrigé le tir en modifiant le mixage voix. Où l'on apprend également que le tournage + la post production s'étalèrent entre 2003 et 2005 et que le massacre de zombies à la 41ème minute se faisait originellement sur le «We're not gonna take it» des Twisted Sister. Rock On !
Les bonus offrent aussi un panel très large quant à la réalisation de TO KAKO, de sa genèse jusqu'à la première projection du film. Un making-of précis (et qui possède l'avantage de ne pas être redondant avec le commentaire), qui alterne explications des techniciens et images de tournages. Il donne l'idée de l'implication et l'étendue du travail réalisé. Tout comme le documentaire sur les effets spéciaux, avec un commentaire (là aussi avec sous-titrage anglais) du superviseur des effets spéciaux, Petros Nousias. Pour terminer, une scène coupée avec explication du réalisateur sur la volonté de l'équipe de ne pas interrompre l'action et le rythme du film. L'éditeur a également adjoint les deux précédents courts-métrages du réalisateur, ainsi que deux courts métrages d'animation. Le tout complété par six films-annonce de DVD disponibles chez l'éditeur AV.
Côté visuel, le film est présenté sur 15 chapitres via un menu animé. TO KAKO ayant été tourné avec une caméra DV, il n'y a toutefois pas de miracle. Certains plans sont positivement affreux, mal éclairés, avec des effets de contre-jour qui empêche de voir les visages ou l'action. Les plans nocturnes demeurent parmi les moins agréables à visionner. La copie DVD offre par ailleurs des tons sombres, des couleurs de peau peu naturelles et des contrastes limités. La couleur parait parfois absente… le rendu demeure curieux le long du film et ne semble pas être le résultat de la volonté de sauteurs. Mais bien de la qualité originale médiocre du matériau. Cela ne rend pas la vision difficile mais sur uen échelle qualitative à laquelle nous sommes de plus en plus habitués, il faut garder à l'esprit qu'une DV ne peut pas donner un résultat optimal.
TO KAKO donne au final un énième film de zombitude contaminatoire mais à l'identité particulière. Hormis la nationalité grecque, ses influences diverses (Peter Jackson, Claude Lelouch, la série 24 HEURES CHRONO !), le ton décalé, une caméra habile couplés à des effets gores à l'ancienne généreux, soignés… le style particulier de Yorgos Noussias et son équipe apparaît comme un peu de fraîcheur dans le genre zombiesque très visité cette dernière décade. Ca reste certes très bricolo et manque cruellement de sobriété. Mais TO KAKO demeure un effort très sympathique et le DVD de chez AV présente une édition très complète, décontractée, fun et débordante d'hémoglobine, à l'image du film. Recommandé !