Hannah (Fiore Argento) reçoit dans la rue des invitations de la main d'un étrange personnage, dont la moitié du visage est recouverte d'une plaque métallique. Le carton la convie à l'avant-première d'une production d'horreur dans un nouveau cinéma. Tandis que le film projeté narre les déboires d'un groupe de jeunes libérant des démons, les spectateurs vont commencer à se transformer eux-mêmes en monstres.
Au milieu des années 80, alors que la santé du cinéma de genre italien commence à s'essouffler sérieusement, Dario Argento décide de produire un film gore ouvertement commercial qui serait destiné au marché international. L'écriture du scénario est d'abord confiée à Dardano Sacchetti, notamment auteur pour Lucio Fulci. Cette première version racontait la survie d'un groupe de jeunes face à une «ultime» force maléfique : le cinéma. Enfermés dans une salle de projection, nos héros voyaient les horreurs de l'écran se matérialiser dans la réalité. S'enfuyant par les coulisses, différents accessoires prenaient vie pour les attaquer. De ce premier jet, Argento décide de ne garder que le principe de survie dans un cinéma. Le cinéaste et producteur va préférer une direction plus immédiate, soit une relecture moderne de l'un de ses plus gros succès en tant que producteur, à savoir ZOMBIE de George Romero.
A l'arrivée, DEMONS est surtout un film très influencé par le EVIL DEAD de Sam Raimi. Nos pauvres spectateurs seront possédés par une force démoniaque autant invoquée par le film dans le film que par une invitée imprudente s'étant blessée avec l'un des accessoires exposé dans le cinéma. Le scénario de DEMONS, au final signé à huit mains, part d'ailleurs dans tous les sens et fait se côtoyer influences américaines et italiennes, en mixant les délires gores à la Fulci aux scènes surréalistes des films d'Argento. Malheureusement, Lamberto Bava, qui signe la réalisation, n'a pas la finesse de ses aînés. Et s'il parvient sans mal à se complaire dans l'enchaînement des séquences sanglantes, ce dernier montre ses limites dès qu'il s'agit d'instaurer une ambiance étrange et délétère. L'introduction, où l'héroïne se sent poursuivie par une silhouette fantomatique, est un bel exemple de sous Argento où les grosses ficelles font immédiatement s'évanouir la moindre tension pour mieux mettre à nu l'indigence du procédé.
A un scénario bordélique (pour ne pas dire sans queue ni tête) et une réalisation bourrine, il faut ajouter une interprétation globalement consternante. Fiore Argento n'a jamais eu le magnétisme de sa cadette Asia et le prouve ici avec brio. La suite du casting n'est pas en reste puisque nous reconnaissons quelques champions du Z, comme la comédienne Geretta Geretta à jamais immortalisée pour son rôle de «Chocolat» dans LES RATS DE MANATHAN de Bruno Mattei. Pour être bien sûr de ne laisser aux acteurs aucune chance, le script les affuble de répliques consternantes destinées, de toute manière, à être charcutées par une post-synchronisation anglaise au rabais.
Avec autant de casseroles aux fesses, DEMONS devrait être en toute logique une odieuse purge. Pourtant, il constitue un spectacle totalement irrésistible, capable de balayer la moindre réticence. Son principal atout : une générosité qui ne doute de rien. Car qui dit «spectacle commercial» pour Argento, dit «il y en aura pour tout le monde» ! Le film enchaîne les séquences folles faisant fit de la cohérence comme autant de prétexte à (re)visiter le survival (avec le siège du cinéma), le film de morts-vivants (via une mécanique de contamination commune), le giallo (très belle séquence de victime agonisante qui appelle à l'aide derrière la toile de projection), le délire gore (on ne compte plus les gorges arrachées), le film d'action (la course en moto-cross dans la salle), voire même le film post-apocalyptique (voir le final aussi incongru que détonnant). S'il ne se prend pas la tête sur le fond, DEMONS se montre pourtant soigné sur la forme. Bava junior chiade les éclairages colorés qu'Argento avait perfectionnés en s'inspirant du travail de Bava senior. Michele Soavi, futur metteur en scène du génial DELLAMORTE DELLAMORE, occupe ici le poste d'assistant réalisateur et réalisateur de seconde équipe (en plus de cumuler deux rôles dans le film). Il débutera sa carrière de metteur en scène de fiction deux ans plus tard avec DELIRIA alias BLOODY BIRD.
Mais la véritable star de ce DEMONS, c'est bien entendu le maquilleur Sergio Stivaletti qui signe un travail particulièrement atypique. Le design des monstres est particulièrement réussi et dérangeant. Une originalité qui est pour beaucoup dans le succès du film et l'efficacité de nombreuses séquences. Dire que son travail est la réelle charpente du film ne serait pas mentir tant DEMONS est un festival d'effets prosthétiques comme on n'en fera jamais plus maintenant. Ses créations les plus dingues extirpent bien souvent les scènes du ridicule, comme cet étrange gobelin sortant de manière impromptue du corps d'une victime à l'instar du final d'EVIL DEAD. Une idée purement gratuite, sans aucune incidence narrative, mais une bonne excuse pour nous présenter une nouvelle créature du jeune maestro.
Dernière bonne idée de producteur, la bande sonore est composée de tubes de Hard Rock FM du moment. Billy Idol, Accept, Mötley Crüe ou encore Saxon déversent régulièrement leurs décibels aux rythmes des séquences. Aujourd'hui galvaudée, la trouvaille d'allier Hard Rock et film gore était alors plutôt nouvelle. Un an auparavant, Argento utilisait d'ailleurs ce type de musique dans son PHENOMENA. Les années passant, on pourra sans mal préférer les quelques morceaux originaux du film, d'inspiration disco gothique (non, ce n'est pas un oxymore), signés par l'ex-Goblin Claudio Simonetti. A l'instar de sa bande son, DEMONS est un film d'un autre âge. Divertissant, imaginatif, stupide, amusant, gore, bricolo, frimeur, dérangeant tout en étant parfaitement absurde, c'est un peu toutes les années 80 résumées dans un seul film. On n'a pas honte de dire que l'on ne s'en lasse pas. Très gros succès à l'époque, le film connaîtra une suite directe, DEMONS 2, ainsi qu'une pelletée de séquelles pirates n'ayant finalement rien à voir avec la mayonnaise.
DEMONS a déjà été édité un peu partout dans des éditions DVD plus ou moins exigeantes. Le disque français ne fait malheureusement pas partie des premiers de la classe. Si le rendu de l'image est vraiment très agréable, on déplore que la copie ne soit pas anamorphosée pour le 16/9. En guise de piste sonore, nous avons droit à un stéréo très honnête. Malheureusement, nous n'avons accès qu'au doublage français du film. Certes, DEMONS ayant été intégralement post-synchronisé, il est difficile de clairement spécifier une version originale. Quand bien même, la piste anglaise ou italienne aurait été la bienvenue. Rayon bonus, le disque ne nous propose strictement rien, pas même une bande-annonce. Un peu dur, surtout que de nombreux disques étrangers proposent notamment des featurettes décrivant le tournage et les effets spéciaux. En contre partie, cette édition se monnaie pour quelques malheureux petits euros.