Header Critique : MARTYRS (CL)

Critique du film
MARTYRS 2008

CL 

Film d'exploitation ou d'auteur ? Film français, turque ou australien ? Boucherie violente ou drame familial ? Peu importe tant que le film est bon ! Voilà notre credo. Et celui-ci se heurte donc régulièrement au dilemme du fameux «films de genre français». Sans vouloir faire preuve de chauvinisme, l'envie de défendre (honnêtement) ce cinéma est inévitablement présente à l'esprit. Sans a priori et bercé par les premiers échos positifs accompagnant MARTYRS, l'assurance de ramener un bon papier passait par l'envoi d'une équipe plus large qu'à l'accoutumée. Plutôt qu'un ou deux rédacteurs, miracle de la mixité, ce sont donc deux femmes et deux hommes de notre équipe qui ont fait le déplacement pour se prendre en pleine face le pavé de MARTYRS. Véritable assurance vie pour le film puisqu'il est improbable qu'au moins l'un d'entre nous ne soit pas, à l'arrivée, un défenseur de l'œuvre extrême de Pascal Laugier. Au pire, nous planifions à l'avance un «pour» et un «contre» dans le cas où il y aurait une grosse scission. C'était sans se douter qu'il aurait plutôt fallu venir à six, voire à dix… A l'issue de la projection, lorsque les lumières se rallument, c'est l'unanimité dans nos rangs.

Pascal Laugier s'était déjà essayé au cinéma d'épouvante avec un atmosphérique SAINT-ANGE dont MARTYRS semble être l'opposé. En apparence seulement puisque les deux films portent bien la marque de leur «auteur». Les deux films partagent en effet les mêmes soucis d'écriture. Un défaut de fabrication inhérent à une grande partie du «cinéma de genre français» donnant l'impression que le scénario est sacrifié à la vision du cinéaste. Car un scénario, ce n'est pas une histoire forcément tarabiscotée, ce n'est pas non plus obligatoirement une accumulation d'idées géniales… C'est le document exposant sur le papier tout le déroulement du film, scène par scène. Le plan d'une solide charpente qui permet ensuite de construire avec plus ou moins de fantaisie la mise en scène qui permettra de retranscrire le tout en image. Le drame en France, c'est l'absence d'une remise en question du statut de «l'auteur» et donc du réalisateur. Il est possible d'être un bon réalisateur et ne pas être fait pour assumer seul la paternité d'un scénario. Chacun son travail ! Comme SAINT-ANGE avant lui, MARTYRS donne l'impression d'avoir été pensé de façon visuelle en partant de quelques idées fortes. Entre deux passages vraiment travaillés en amont, l'histoire s'étire gratuitement faute d'avoir réglé correctement les espaces transitoires. Avec MARTYRS, le cinéaste a trouvé la parade pour combler ce vide en étalant des séquences de violence.

Pas forcément attiré par la violence pour la violence, ou l'horreur pour l'horreur, nous nous attendions à prendre une sacré secousse avec ce MARTYRS annoncé comme «extrême» et «radical». Encore une fois, il apparaît important de reprendre non pas un avis isolé mais celui de quatre spectateurs qui regardent des films d'horreur depuis quelques décennies déjà. Il faut croire que nous sommes des baroudeurs du carnage sur pellicules car nous n'avons pas été particulièrement choqué par l'accumulation de séquences violentes. Cela s'explique certainement par la barrière imposée entre ses victimes, celles qu'on torture d'un côté, et le spectateur de l'autre. Parachutés dans le film, les héroïnes comme le spectateur n'ont pas le temps de faire connaissance et de s'attacher. L'identification est absente et passé une première partie plutôt tendue, où la violence surprend plus qu'elle ne se ressent, le manque d'empathie va s'accentuer au fur et à mesure. Le spectacle d'une jeune femme tabassée à répétition et humiliée provoque l'ennui. Chaque fondu au noir alimente à ce moment le véritable suspense… Est-ce enfin terminé qu'il soit possible d'aller dîner ? Plutôt que ressentir la douleur ou éprouver de la pitié, le choc annoncé nous donne surtout l'occasion de penser à des soucis plus terre à terre. L'opportunité de se souvenir d'un tas de détails étranges entre deux coups de poing dans la gueule de la jolie, au début, Morjana Alaoui. On pense au sandwich jeté à terre quelques dizaines de minutes auparavant. On se demande quand le sandwich a été acheté et où puisque le personnage attend un coup de fil important dans une cabine téléphonique isolée. Ce qui nous amène vers d'autres considérations métaphysiques quand MARTYRS nous rappelle à l'ordre. En effet, ce film nous pose des questions sur notre place dans l'univers. Sandwich, cabine téléphonique, mamie qui nous montre de petites photos (pourtant exposées juste à côté d'elle en grand)… Tout cela n'a aucun sens… Mais qu'est ce que je fous là ? Grâce à MARTYRS, Pascal Laugier a réussi l'impensable. Nous donner à nous, fans de cinéma d'horreur, l'impression d'être des demeurés sanguinaires puisque nous regardons un film exposant des atrocités sans éprouver, ici, aucune émotion. Respect !

Mais le plus gênant, ce n'est pas tant que l'on risque de s'emmerder à la vision de MARTYRS, c'est plutôt que le film offre un prisme déformant qui va placer cette étiquette de «crétin» sur le front des amoureux de l'horreur au cinéma. Le spectateur non averti va se prendre en pleine face une violence froide, méthodique et sans imagination dont la justification est, au final, d'une maigreur insoutenable. L'étalage grotesque de violence, dénué d'une véritable recherche, nous ramène alors malheureusement au cliché particulièrement tenace du couillon boutonneux qui découvre la vie en cherchant l'œuvre la plus extrême parce que «c'est trop fort». Comble du cynisme, l'équipe clame à l'unisson que la violence n'est pas gratuite s'affranchissant dès lors de l'étiquette du simple tout venant horrifique. Sous-entendu que l'on ne mélange pas les torchons et les serviettes. Le constat est dur et on en vient à regretter que MARTYRS ne soit pas une production anglo-saxonne. La pilule aurait été bien plus facile à avaler. Seule éclaircie à même de sauver le consommateur de pellicule sanguinolente, le film avance le cul entre deux chaises. Film d'auteur tirant généreusement sur la corde mercantile du cinéma d'horreur, la fin du métrage affiche clairement ses ambitions. MARTYRS boxe beaucoup ses personnages dans la catégorie du «grand» cinéma. La mise en scène de Pascal Laugier, ordonnée et méticuleuse, s'inscrit dans le sillage très casse-gueule d'un Stanley Kubrick plutôt que sur les traces des modestes artisans de l'horreur. C'est d'autant plus évident que le cinéaste américain est littéralement cité dans le film au travers d'un plan particulièrement osé. Le résultat est forcément curieux et l'ambivalence de l'entreprise permettra peut être, mais il ne faut pas trop se leurrer, de placer définitivement le film à la case des expérimentations cinématographiques plutôt que dans le rayon horrifique. C'est tout ce qu'on lui souhaite… Il y trouvera peut être une audience plus satisfaite !

Chaque nouvelle livraison francophone dans le genre s'annonçant meilleure que la précédente, on frémit d'avance ! A croire que les meneurs du «cinéma de genre français» ont choisi de flinguer eux même le business pour définitivement prouver que le système hexagonal ne veut pas de ce type de films. Pourtant, il y a des exceptions. De celles qui ne font malheureusement pas de bruit en avançant à pas feutré dans leur modestie. C'est le cas de ILS de David Moreau et Xavier Palud dont l'exercice de style est calibré de façon redoutable dans son apparente simplicité. Ajoutons encore DEAD END de Jean-Baptiste Andrea et Fabrice Canepa où les auteurs se pliaient aux contraintes américaines pour livrer une œuvre humble et réussie. Car avant d'être «français», ces cinéastes ont choisi de faire du «cinéma de genre» et, justement, l'horreur est avant tout une question d'efficacité et non pas d'identité. Il est commun de fustiger la production américaine liant les mains des «artistes» mais c'est faire preuve d'une amnésie très francophone en oubliant le rôle important, bon ou mauvais, des grands producteurs dans l'histoire du cinéma. Des décisionnaires qui n'ont jamais hésité a apporter un regard et un avis extérieur qui semble faire défaut aujourd'hui dans la production francophone de genre au même titre que les scénaristes. La prétention des «auteurs» en pâtira certainement au bénéfice de l'épanouissement d'œuvres plus satisfaisantes dans nos contrées.

Honnêtement, nous n'avons pas aimé MARTYRS. Que cela ne vous empêche pas d'aller vous faire une idée par vous même au début du mois de septembre. Car, à la limite, vous risquez d'apprécier bien plus le film de Pascal Laugier suite à la lecture d'avis mitigés ou négatifs. Au contraire, le fantasme de l'œuvre ultime du genre francophone, alimenté par une dithyrambe exagérée, provoquera surtout des déconvenues de taille. Reconnaissons tout de même que le cinéaste a fait une œuvre singulière osant s'aventurer sur le terrain d'une horreur extrême devant laquelle nous sommes restés malheureusement totalement réfractaire. Le prochain projet de Pascal Laugier, plus mûrement réfléchi (?) puisque disposant d'une gestation plus longue, sera, on l'espère, celui qui mettra en valeur le talent de SAINT-ANGE plutôt que les défauts de MARTYRS.

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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