Après avoir fait un peu d'assistanat de réalisation (sur LE CONFORMISTE de Bertolucci, par exemple), Aldo Lado devient metteur en scène pour le cinéma au début des années 1970. Dans le domaine du cinéma populaire, il se fait particulièrement remarquer avec deux thrillers : JE SUIS VIVANT (titre vidéo) et CHI L'HA VISTA MORIRE ?. A la même époque, les questions de la violence au cinéma et de la vengeance sont traitées dans plusieurs films chocs, parmi lesquels ORANGE MECANIQUE et LES CHIENS DE PAILLE sont sans doute les plus importants. Très peu de temps après, le réalisateur américain Wes Craven dirige LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE, une sombre histoire d'ultra-violence dans laquelle des maniaques torturent deux adolescentes. L'Italie s'inspire rapidement de ce succès à scandale, avec des œuvres comme GLI ASSASSINI SONO NOSTRI OSPITI de Vincenzo Rigo ou CANI ARRABIATTI de Mario Bava.
Dans la même optique, les producteurs de LA BETE TUE DE SANG FROID commande à Aldo Lado une œuvre reprenant la structure du film de Craven. Le réalisateur italien bénéficie d'acteurs expérimentés et populaires : Macha Méril s'est déjà fait un nom en France en tournant pour Vadim, Godard, Bunuel ou Pialat ; Enrico Maria Salerno est célèbre en Italie (il mène l'enquête pour le compte de la police dans L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL d'Argento…), tandis qu'on connaît Franco Fabrizi depuis les années 50, au cours desquelles il incarne des vauriens dans LES INUTILES et IL BIDONE, deux chefs d'œuvre de Fellini. Parme les autres acteurs, on remarque aussi Irene Miracle, dont c'est le premier long métrage, et qu'on revoit peu après, dans MIDNIGHT EXPRESS et INFERNO. La carrière cinématographique de Flavio Bucci, qui incarne Blackie le marginal, en est à ses débuts, et on le retrouve, quelques années après, dans SUSPIRIA d'Argento, où il incarne Daniel, le pianiste aveugle de l'académie de danse.
Lisa Stradi, une adolescente qui fait sa scolarité en Allemagne, retourne voir ses parents en Italie avec son ami Margaret, pour les vacances de noël. Au cours du trajet en train, elles font la connaissance de Blackie et Curly, deux marginaux montés à bord de la rame sans ticket. De son côté, Blackie rencontre une passagère mystérieuse, avec laquelle il fait l'amour dans les toilettes du train. Les deux jeunes filles sont dégoûtées par ces mœurs de pervers. Suite à un incident technique, elles doivent changer de train et se retrouvent seules dans un wagon. Les deux loubards et la femme mystérieuse les rejoignent.
Comme on l'a vu, l'idée derrière LA BETE TUE DE SANG FROID consiste à reprendre fidèlement le contenu de LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE. Deux adolescentes se retrouvent livrées à des psychopathes qui vont cruellement jouer avec elles, avant de leur imposer des sévices corporels et de les assassiner. Ensuite, les sadiques se réfugient dans une maison dont ils ignorent que les occupants sont les parents d'une des jeunes filles. Pour le père éploré, l'heure de la vengeance sanglante va sonner…
LA BETE TUE DE SANG FROID apporte pourtant quelques innovations à ce concept. D'abord, l'action se concentre dans un train, créant une impression de claustrophobie, particulièrement bien utilisée lors des séquences de tortures, au cours desquelles victimes et bourreaux sont confinés dans un minuscule compartiment. Surtout, les classiques marginaux drogués et psychopathes sont accompagnés et encouragés par une femme étrange, une bourgeoise vicieuse adepte des partouzes et de tortures. Macha Méril interprète remarquablement ce personnage vénéneux. Evidemment, ce portrait, qui se veut une critique (sommaire) de la bourgeoisie manipulant les classes populaires, est décrit de façon assez machiste, voire réactionnaire, une femme à la sexualité libérée se retrouvant assimilée, forcément, à une détraquée en puissance.
Quoi qu'il en soit, LA BETE TUE DE SANG FROID ne convainc pas vraiment. La situation met un temps considérable à se développer, le récit sent le déjà-vu, les acteurs, à part Macha Méril et Flavio Bucci, frappent par leur banalité… Quant aux séquences fortes, elles semblent des étapes imposées plutôt qu'autre chose. Ainsi, les supplices infligés aux jeunes filles ennuient, manquent de suspens, et sentent la surenchère.
Certes, LA BETE TUE DE SANG FROID ne manque pas d'atouts : l'interprétation de Macha Méril et l'usage du décor ferroviaire, ainsi que quelques beaux paysages de la campagne italienne ou une musique convenable d'Ennio Morricone (partition contenant une chanson interprétée par Demis Roussos !). Pourtant, ce film globalement assez plat reste une reprise anecdotique et opportuniste de LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE, et n'apporte pas grand chose par rapport à son modèle. A sa sortie, il heurte toutefois les censeurs italiens qui exigent le retrait de plusieurs minutes de métrage avant d'en autoriser la distribution. Il sort dans les salles françaises sous le titre LA BETE TUE DE SANG FROID, et connaît aussi de nombreuses sorties en vidéo, sous des titres variés : LE TRAIN DE LA MORT, LE TRAIN DE L'ENFER ou LE DERNIER TRAIN DE LA NUIT, par exemple.
En DVD, l'éditeur américain Blue Underground le publie en 2004 (NTSC, multizone). Le film bénéficie d'un très beau télécinéma au format 1.85 d'origine (avec option 16/9), rendant de façon admirable les contrastes et les lumières. Cela impressionne d'autant plus que de nombreuses séquences se déroulent dans une quasi pénombre. Les quelques rares saletés rencontrées ici ou là ne suffisent certainement pas à atténuer la très bonne impression d'ensemble.
La bande-son est disponible en anglais, dans un mono d'origine (codé sur deux canaux) parfaitement propre et agréable à l'oreille. On regrette toutefois de ne pas trouver de sous-titres et, surtout, de piste italienne d'origine.
LA BETE TUE DE SANG FROID est accompagné par deux bandes annonces d'époque, deux spots radios anglophones, et une galerie assez fournie de matériel promotionnel (pavés de presse, dossier de presse, affiches, photos d'exploitation…). Surtout, une interview récente d'un quart d'heure avec Aldo Lado (en italien sous-titré en anglais) revient avec précision sur la production du film et sa distribution.
Blue Underground propose donc une bonne édition de LA BETE TUE DE SANG FROID, même si on regrette que cet éditeur, pourtant perfectionniste, ne juge pas utile de proposer systématiquement les pistes italiennes originales pour les films de cette nationalité.
