Pour les vacances de Noël, Lisa retourne chez ses parents en Italie en compagnie de son amie Margaret. Ensemble, elles prennent un train au départ de l'Allemagne, lieu de leurs études, pour arriver à destination le lendemain. Mais au milieu de la nuit, le train est arrêté pour cause de suspicion d'un attentat à la bombe. N'ayant aucune envie d'attendre, les jeunes filles décident de prendre un autre train, direct celui-là. Mais d'autres personnes vont effectuer le même changement dont deux voyous en compagnie d'une femme aussi belle que perverse. Ce qui devait être un repos tranquille dans un compartiment confortable va se transformer en cauchemar interminable où se succèdent tortures et sévices sexuels…
Conforme aux traditions mercantiles italiennes, les producteurs transalpins n'hésiteront pas à profiter du succès inattendu de LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE pour mettre en chantier leur propre version qui sortira trois ans plus tard, en 1975. Le copier-coller ne s'arrêtera pas là puisqu'en 1980, LA MAISON AU FOND DU PARC verra le jour sous la direction de Ruggero Deodato. Là où la deuxième version n'est qu'un véritable décalque mou et sans saveur surfant uniquement sur le statut de l'acteur David Hess, le film d'Aldo Lado réussit à instaurer une véritable ambiance glauque à souhait tout en atteignant des sommets dans le sadisme. Bien que reprenant à la lettre le scénario du film de Craven, le lieu de l'action n'est plus le même et les personnages diffèrent également. Le tout s'inscrit parfaitement dans son époque, autrement dit une société italienne en plein bouleversement à cause des actions terroristes des Brigades Rouges et de l'image très négative de la bourgeoisie reflétée à l'écran par des actrices très belles, très classes.
Le réalisateur propose une réelle réflexion sur la nature humaine et sa dualité. En société, nous présentons souvent une bonne façade alors qu'en privé, nous agissons de façon différente. On imagine souvent que dans une situation définie, nous agirions de telle ou telle sorte alors qu'en vérité, nous n'en savons rien. Lorsque notre vie vole brutalement en éclats, nos instincts primaires prennent le dessus et ainsi, le plus paisible des hommes peut se transformer en criminel sans scrupules au même niveau que les agresseurs de ses proches. Ainsi, le père de Lisa, Giulio, s'imagine en sécurité dans sa somptueuse demeure qui comporte cependant un grand vide affectif puisque lui et sa femme se sont éloigné l'un de l'autre. Il estime ne pas avoir besoin de protection puisque rien ne pourra jamais lui arriver. Ce genre de discours peut s'avérer très dangereux et franchement fâcheux pour celui qui le prodigue. Il peut s'appliquer à tous les dangers que la vie nous réserve et à n'importe quelle époque, que ce soit notre comportement sur la route (je roule à dix kilomètres/heure au dessus de la limite imposée - c'est pas grave) que dans notre vie sexuelle (MSTs, SIDA, grossesses non désirées…) ou, en l'occurrence, le faux sentiment de sécurité que nous procurent nos habitations.
Les voyous eux-mêmes ne sont pas à l'abri du danger bien que celui-ci risque plutôt de surgir de la part d'une autre personne, beaucoup plus manipulatrice et intelligente qu'eux. Cette personne est ici représentée par Macha Méril (LES FRISSONS DE L'ANGOISSE), une actrice sublime qui incarne son rôle de femme fatale à la perfection – d'ailleurs, elle n'au d'autre nom au générique que «Femme perverse dans le train». Pourvue d'une beauté froide qui inspire d'emblée le respect, elle possède un pouvoir de séduction indéniable auquel tout homme succombe sans demander son reste. Soit il se met à genoux devant elle, soit il cherchera à la détruire mais la belle semble ici indestructible, tant et si bien que toute tentative de rébellion de la part des deux voyous n'ira jamais plus loin que cela.
Sous sa botte se trouvent Blackie (Flavio Bucci – SUSPIRIA) et Curly (Gianfranco De Grassi – SANCTUAIRE). A l'origine, ils ne sont pas bien méchants, ils cherchent juste à emmerder le monde et à survivre comme ils le peuvent. Ils n'hésitent pas à détrousser un Père Noël alcoolique ou à lacérer le manteau de fourrure d'une femme juste parce que le fait qu'elle puisse le posséder les dégoûtent. Ils représentent la misère, autant affective qu'économique et sont ainsi les candidats idéaux aux jeux sadiques qu'affectionne la «dame perverse».
Face à eux, les deux jeunes filles n'ont véritablement aucune chance. Images même de l'innocence, elles ne sont que des proies dont le destin est de tomber dans les griffes de prédateurs improvisés, eux-même sous la coupe d'un être plus fort qu'eux. Lisa est interprétée par la mignonne Laura D'Angelo. Elle incarne l'italienne bien sous tous rapports : vierge, pudique et pleine de retenue. Son amie Margaret (Irene Miracle) est allemande, libérée et déjà au courant des joies du sexe. Elles essaient bien de faire «comme les grandes» en fumant ou ayant une discussion à voix haute sur les garçons. Cette façade cache une grande naïveté mais surtout, la peur des conséquences si elles n'obéissent pas à ce qu'on leur impose. Comme si se soumettre aux jeux pervers d'autrui n'était qu'un mauvais moment à passer avant de regagner sa liberté. A aucun moment, cependant, Lado ne porte de jugement sur ces deux jeunes femmes. On sent bien qu'elles n'ont d'autre choix que de se laisser faire, que leur personnalité est encore trop faible pour résister et c'est peut-être bien cela, le plus triste.
Contrairement à LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE, le film de Lado ne comporte pas le même réalisme cru, presque documentaire. Les réalisateurs de genre italiens possèdent en général ce petit quelque chose qui rendent leurs œuvres éminemment reconnaissables. Les lumières sont très travaillées, la palette de couleurs est riche, les textures semblent veloutées et cet aspect souvent classieux empêche parfois une ambiance malsaine de vraiment s'installer (voire justement le métrage de Ruggero Deodato sus-mentionné). Lado n'échappe pas à cette démarche artistique si particulière mais ici, la beauté plastique n'interfère pas avec l'histoire – au contraire, durant les insoutenables scènes d'agression, cela sert même grandement le film. Le compartiment est éclairé normalement quand soudain, la «femme perverse» décide qu'il est temps de passer aux choses sérieuses. Elle souffle une bougie et immédiatement, le lieu exigu est baigné d'une lumière bleue inattendue et extrêmement efficace. D'une ambiance presque feutrée, on passe d'un coup à l'oppression la plus totale dans un monde irréel, la terreur ambiante soulignée par la mélodie entêtante que joue Curly sur son harmonica et qui revient sans cesse pour nous rappeler la menace omniprésente.
Le montage du film présente des coupes très astucieuses, en particulier lorsque se prépare l'agression sexuelle des jeunes femmes. Leur famille fête le soir de Noël en compagnie d'invités et c'est ici que la discussion se porte sur la violence, ses causes et ses ramifications et que Giulio tient son discours prétentieux et méprisant. Après le dîner, ils dansent dans le grand salon pendant que leur fille se fait violer. Dans le train, ces horreurs sont matées par un voyeur qui ne tardera pas à participer tandis que l'amusement chez les Stradis est épié de l'extérieur à travers des portes-fenêtres. Et tandis que l'ivresse leur gagne, les atrocités dans le train atteignent leur paroxysme dans une scène de viol au couteau qui reflète la scène de meurtre dans le film de Craven où les criminels prennent conscience de leurs actes à leur manière. Les deux voyous tentent bien d'inverser les rôles et blâmer la «dame perverse» mais n'y réussiront pas. Et tandis que Lado insiste sur la torture physique et psychologique avec lenteur, on sent croître chez les agresseurs cette volonté déviante de séduire leurs victimes au travers de la soumission, en particulier chez le personnage de Méril. On ressent un véritable soulagement lorsque cela s'arrête.
Dans le film de Craven, le leader du groupe était le fameux Krug, vicieux et charismatique à doses égales. Ici, Lado a donc pris le parti de placer une femme dans le même rôle, un choix audacieux et d'autant plus effrayant qu'une présence féminine est plus souvent synonyme de douceur et de protection maternelle plutôt qu'une dominatrice obsédée par le sexe et capable de commettre l'inimaginable sur deux jeunes filles qui auraient pu être les siennes. Dans l'Italie de l'époque, la belle bourgeoise avait des connotations très négatives. Le réalisateur exploite à merveille cette antipathie en donnant le rôle principal à Méril et surtout à la fin, lors de la vengeance terrible du père sur les bourreaux de sa fille. La mère de Lisa s'effondre dans les bras de la «dame perverse» qui la console de son mieux tandis que le mari laisse faire. Tous deux sont incapables même d'imaginer qu'une femme de leur propre statut social puisse être mêlée à autant d'atrocités et encore moins qu'elle puisse en être l'instigatrice. La scène en devient presque pathétique du fait que nous connaissons parfaitement les croyances dédaigneuses des parents sur le monde d'en dessous et estimons que quelque part, la violence infligée à leur fille leur servira de leçon. Un prix toutefois inhumain… A noter également l'attitude totalement passive de la mère qui, contrairement au film de Craven, ne s'abaisse pas à la séduction sexuelle afin de se venger des agresseurs mâles de sa fille. Une attitude totalement irréaliste tenant d'un discours hautement inacceptable qui, exécuté correctement, peut être compréhensible dans son contexte. Entre les mains d'un réalisateur maladroit, cela devient le leitmotiv et surtout l'unique raison d'être du plus célèbre exemple (pourtant misogyne) de Rape & Revenge que le cinéma ait à offrir, OEIL POUR OEIL.
Pour les dernières images, Lado joue encore une fois sur la dualité de l'être humain, sur ce qu'il cache derrière le masque. Ici, ce masque est représenté par le voile que porte Méril à son chapeau et qui lui couvre le visage au début. Lorsqu'elle décide de le soulever, elle change, elle devient séductrice et désarmante tandis qu'elle tente une approche sur un riche homme d'affaires dans le train qu'elle reconnaît d'un magazine. A partir de ce moment, elle ne portera même plus son chapeau et ce n'est qu'à la fin, dans un moment d'ironie suprême, qu'elle recouvre son visage du voile et redevient celle que tout le monde imagine. Cela évoque un retour à la case départ pour cette «dame perverse» tandis que le père s'en sortira certainement grâce à ses nombreuses connaissances influentes.
Avant de réaliser ce qui est bien plus qu'une pâle copie de LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE, Aldo Lado a quelques gialli à son actif, tels que JE SUIS VIVANT ou QUI L'A VUE MOURIR ?. L'homme est un habile metteur en scène sachant exploiter ses décors et jouer avec les lumières tout en n'oubliant pas d'inclure des détails sur ses protagonistes (Curly qui se fait un shoot d'héroïne, les photos pornographiques dans le sac de Méril…). Les plans sanglants sont quasiment absents d'un film qui joue avant tout sur l'horreur psychologique – ainsi nous avons juste droit à une image réelle d'une opération de l'appendicite pour présenter Giulio Stradi qui est chirurgien et le résultat immonde du viol au couteau avant de devoir attendre la partie vengeance.
L'image est présentée dans son format 1.85 d'origine et le transfert est très correct. Certains contours sont un peu flous et par moments, un voile grisâtre recouvre l'image mais mis à part cela, elle ne présente pas de véritables défauts nuisibles au visionnage. Le look du film est bien sûr très seventies, autant au niveau des vêtements que des décors, tous réels, conférant un charme très rétro au métrage.
En ce qui concerne le son, vous avez le choix entre la version italienne sous-titrée ou le doublage français. Présentées toutes deux en mono et encodées sur deux canaux, elles ne sont pas des plus dynamiques mais restent acceptables. Le doublage français est plutôt réussi et présente plus de profondeur que la version originale, un peu étouffée. La bande originale est composée par le prolifique Ennio Morricone bien que la chanson du générique soit interprétée par Demis Roussos. Les mélodies sont mélancoliques et très distinctes, en particulier ces petites notes jouées à l'harmonica et qui préfigurent la violence.
Le premier supplément est un commentaire audio en français par Aldo Lado et modéré par Federico Caddeo. Le réalisateur évoque le tournage, les acteurs et sa façon de tourner «sans tricher» (c'est à dire sans permis… mais surtout dans des décors réels) ainsi que le déroulement des actions dans le train. On sent un homme qui, comme il le dit dans l'interview, réalise des films parce qu'il aime ça et qu'il en ressent le besoin. Un problème ? On le contourne. Il livre quelques anecdotes amusantes et revient sur ses croyances personnelles concernant le destin et cette dualité de l'être humain que nous évoquons plus haut et qui transparaît si fortement dans son film. Caddeo explique la raison du titre original français, LA BETE TUE DE SANG-FROID qui n'est autre que la reprise de la traduction d'un titre d'un film existant de Fernando Di Leo datant de 1971 (en réalité LES INSATISFAITES POUPEES EROTIQUES DU DOCTEUR HITCHCOCK. Ce qui nous amenes à se demander pourquoi le DVD français est finalement titré LE DERNIER TRAIN DE LA NUIT, traduction littérale, cette fois, du titre original. Lado n'a aucune illusion sur le monde des producteurs, il sait très bien que l'exploitation est un mot récurrent. S'ils peuvent se servir de quelque chose pour brasser plus de sous, ils le font.
L'interview du réalisateur dure une vingtaine de minutes. Lado parle de son métier et sa passion, ainsi que de son amitié avec Antonio Margheriti. Il émet quelques regrets du fait de ne pas avoir pu tourner des projets qui lui tenaient à cœur à cause de producteurs peu intéressés mais reste satisfait de sa carrière. Il continue d'écrire des téléfilms ou des pièces de théâtre et se dit prêt à tourner un nouveau film si l'occasion se présente.
Ensuite, nous avons une interview récente avec l'actrice Macha Méril, restée belle et naturelle. Elle parle avec grand plaisir de sa carrière – cependant, son magnifique chat ne semble pas très intéressé par son monologue… Elle évoque son arrivée en Italie à la fin des années 1960 et les multiples remous d'une société qui se reflétaient ensuite dans son cinéma, ainsi que le cinéma de genre florissant et les difficultés du statut des actrices d'autant plus si elles étaient belles. Elle parle avec beaucoup de tendresse et de sincérité de ses rôles dans la série B, comme LE DERNIER TRAIN DE LA NUIT ou LES FRISSONS DE L'ANGOISSE. Elle était très déçue par le manque de reconnaissance du film de Lado et espère un renouveau grâce au DVD.
La fiche technique donne accès aux filmographies d'Aldo Lado, Macha Méril, Enrico Maria Salerno et Flavio Bucci, également présentées sur un sous-menu séparé.
LE DERNIER TRAIN DE LA NUIT se hisse sans problème aux côtés de sa grande inspiration, LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE. Présentant l'histoire sous un aspect différent, autant plastique qu'au niveau des personnages, c'est un bel exemple de ce que le cinéma italien peut offrir en termes d'ambiance malsaine tout en préservant une vision de l'être humain très personnelle de la part de son réalisateur.