David est un jeune mathématicien américain qui vient de s'installer dans le village natal de sa femme, en Cornouailles. Le couple essaie de fuir le climat de violence des métropoles américaines et David recherche l'isolement et le calme pour poursuivre son travail. Afin de rénover le garage, il embauche trois hommes du village, sans savoir que l'un d'eux est un ancien amant d'Amy, sa femme. Le comportement sournois et moqueur des trois anglais et l'attitude provocante d'Amy font, petit à petit, monter la tension...
Sam Peckinpah est un anti-conformiste qui, tout au long de sa carrière, a souvent dérangé. Après avoir réalisé quelques westerns injustement passés inaperçus, il frappe un grand coup, en 1968, en signant un western extrêmement violent et désespéré. Et grâce à la barbarie de LA HORDE SAUVAGE, il goûte enfin à la notoriété et n'est plus considéré comme un simple "faiseur" de westerns... En 1971, un différend faisant suite à la sortie de UN NOMMÉ CABLE HOGUE pousse Peckinpah à quitter la Warner. Du coup, la réalisation de DÉLIVRANCE lui échappe, au profit de John Boorman. Mais le rebelle américain tient à réaliser un film dont le thème central serait la violence... Il s'oriente alors vers le roman de Gordon Williams "The siege of Trencher's farm" qu'il adapte en collaboration avec David Zelag Goodman (ce dernier signera ensuite le scénario de L'ÂGE DE CRISTAL et co-écrira LES YEUX DE LAURA MARS, avec John Carpenter).
LES CHIENS DE PAILLE sera le premier film de la filmographie de Peckinpah à ne pas être un western. Du moins, il ne sera pas rangé dans cette catégorie puisque son histoire est solidement ancrée dans la fin du XXème siècle. Pourtant, la structure du récit rappelle étrangement les westerns de John Ford, Howard Hawks ou... Sam Peckinpah. Et ce n'est pas par hasard, bien entendu, si quelques analogies transparaissent. LES CHIENS DE PAILLE respecte un schéma bien connu et parfaitement maîtrisé par son auteur. Ses premiers westerns étaient déjà riches de signification, engagés, voire (avec un certain recul) subversifs... Mais pour la première fois, il peut ouvertement situer son histoire dans l'époque contemporaine et renforcer ainsi l'impact de son propos.
Dès les premières images du film, pendant que défile le générique, on comprend qu'on ne va pas assister à un spectacle comme les autres. Ces silhouettes floues, à contre-jour, font spontanément naître une inquiétude voire un malaise chez le spectateur. Et lorsque l'image se précise enfin, on découvre avec étonnement qu'il s'agit de garnements en train de rire, jouer et danser dans un lieu plutôt inapproprié... En effet, c'est au beau milieu d'un cimetière qu'ils s'amusent bruyamment, à deux pas de l'église du village. La plupart font une farandole, un autre trône sur un monument aux morts, tandis que trois gamines harcèlent un petit chien... Aucun adulte ne semble les surveiller. Les notions d'autorité, de moralité et de respect semblent totalement absentes de leur comportement. Comme dans la séquence d'ouverture de LA HORDE SAUVAGE, le réalisateur se sert des enfants pour situer le contexte social du récit.
Puis Peckinpah enchaîne sur une séquence remarquable durant laquelle il présente tous éléments-clés de l'histoire : personnages, cadre, tenants et aboutissants. La première image après la séquence des enfants est un plan sur la poitrine d'Amy qui marche dans la rue et qui, visiblement, ne porte pas de soutien-gorge sous son pull. Derrière elle, on distingue déjà la jeune Janice, apprentie séductrice, qui suit son modèle… Puis on aperçoit une première fois, brièvement, Charlie qui est déjà sous le charme d'Amy, comme toute la population masculine du village. Immédiatement, on remarque que le seul homme presqu'insensible au charme d'Amy est David, son mari. Puis, sans attendre, Charlie se fait plus présent et réussit à se faire embaucher par les jeunes mariés pour restaurer le garage. Enfin, David va acheter des cigarettes dans le pub qui se trouve à deux pas. On découvre alors un autre lieu-clé de l'histoire et un personnage important : Tom Hedden, oncle de Charlie et père de Janice. Immédiatement, il apparaît comme quelqu'un de potentiellement violent et il révèle toute l'animosité que les locaux éprouvent envers David, jeune américain qui leur a "enlevé" une fille du village. Pendant que David est au pub, on apprend également que Charlie fut jadis l'amant d'Amy. Pour finir, on découvre un autre personnage-clé du récit : Henry Niles, l'innocent du village, qui joue alors au ballon avec Janice.
A l'issue de cette séquence, tous les éléments de l'histoire sont en place et la tension est déjà palpable... L'origine des futurs troubles émerge, elle aussi, distinctement. Il s'agit du désir ou plutôt des désirs qui se télescopent sans trouver d'écho... La gent masculine est sous le charme d'Amy alors que celle-ci n'a d'yeux (pour l'instant) que pour David. Mais elle n'est pas la seule puisque Janice, qui cherche à éprouver son pouvoir de jeune séductrice, semble également très intéressée par le jeune américain. Et lorsqu'elle se sent repoussée par David, elle n'hésite pas à envisager de tester sa féminité sur le pauvre Henry Niles... Quant à Charlie, plus que les autres hommes du village, il désire intensément Amy, car il sait ce qu'il a perdu. David, lui, ne semble être intéressé que par une chose : la tranquillité que lui promet l'isolement de leur maison, afin d'avancer dans son travail.
L'intérêt quasi exclusif de David pour son travail percute de plein fouet la féminité débordante et le besoin d'attention d'Amy. Même si certaines petites scènes montrent le couple s'amusant ou riant, c'est souvent sur le ton de la taquinerie, voire de la provocation… Cet équilibre paraît très instable et le dérapage s'annonce plus que probable. Sam Peckinpah a souvent abordé le sujet du couple, durant sa filmographie, même s'il s'agissait rarement du thème principal. Les meilleurs exemples sont GUET-APENS (qui donna naissance à un vrai couple, légendaire : Steve McQueen et Ali MacGraw), UN NOMMÉ CABLE HOGUE et, donc, LES CHIENS DE PAILLE. Mais on pourrait également citer APPORTEZ-MOI LA TÊTE D'ALFREDO GARCIA ou COUPS DE FEU DANS LA SIERRA... La vie sentimentale de Peckinpah a eu un impact permanent sur ses films et c'est sans doute pourquoi les rapports hommes/femmes ont toujours été intelligemment présentés dans ses œuvres.
Mais ne nous égarons pas. Le thème central des CHIENS DE PAILLE est la violence. Et son personnage principal est un pacifiste... ou, du moins, quelqu'un qui se revendique comme un pacifiste. Mais David n'est pas seulement présenté comme quelqu'un qui désapprouve la violence, mais comme quelqu'un qui a peur de la violence, sous toute ses formes. Par ailleurs, cette peur est visible, ce qui rend le personnage particulièrement vulnérable vis à vis des trois ouvriers rustres qui tournent autour de sa femme. Ainsi, une partie d'échecs s'engage entre eux et lui, l'échiquier étant la maison elle-même. Mais David a beau être poussé dans ses retranchements par Amy et provoqué ouvertement par les trois hommes, il est trop faible pour réagir. Inconsciemment, David met son couple en péril : Amy n'a plus confiance en lui et n'éprouve plus d'admiration à son égard, tandis que, sournoisement, les trois hommes, et plus particulièrement Charlie, sentent qu'ils gagnent du terrain.
La lâcheté de David aura des conséquences dramatiques puisqu'elle favorisera, d'une certaine façon, le viol d'Amy. Encourageant Charlie par sa faiblesse et déstabilisant Amy par son absence, il a sa part de responsabilité dans l'événement-clé du récit. David aura finalement une réaction, mais face à un autre drame... Et c'est là tout le propos de Peckinpah : la violence fait partie intégrante de la nature humaine, il ne faut pas nier son existence mais apprendre à la canaliser. Tout le film est construit autour du personnage de David. C'est son cheminement vers la violence qui nous est exposé. Peckinpah n'est pas intéressé par les autres personnages, chez qui la violence est un lot quotidien. Le casting en est la preuve : le seul acteur connu est celui qui interprète David, Dustin Hoffman. Tous les autres acteurs sont des illustres inconnus, à une exception près... David Warner est en effet un (grand) acteur bien connu des cinéphiles et plus particulièrement des lecteurs de DeVilDead (car on a pu le voir dans LA MALÉDICTION, C'ÉTAIT DEMAIN, LA COMPAGNIE DES LOUPS, L'ÎLE SANGLANTE, TRON...). Mais si son personnage est capital, il restera néanmoins très peu de temps à l'écran et l'acteur britannique ne sera même pas crédité au générique...
Les interprètes sont une des forces de cette œuvre. Dustin Hoffman est très bon en pacifiste convaincu qui, petit à petit, doit revoir sa copie et prendre le contre-pied de ses convictions. La révélation du film est, bien entendu, Susan George (même si on avait déjà pu la voir dans SUDDEN TERROR ou LA CRÉATURE INVISIBLE). Elle est parfaite en femme-enfant dangereusement séductrice, puis en femme blessée et, pour finir, brisée... Les villageois sont également parfaits et, surtout, très crédibles. Car ce qui rend le film si difficilement supportable, c'est son réalisme. La mise en scène de Peckinpah est, à ce titre, exemplaire. Il a recours à très peu d'effets et de mouvements de caméra. Seuls un ou deux ralentis seront utilisés durant les rares moments où la violence se déchaîne réellement.
LES CHIENS DE PAILLE est aujourd'hui considéré comme un classique par la plupart des cinéphiles, mais il n'en a pas toujours été ainsi. Sa sortie, en 1971, fut très controversée : acclamé aux Etats-Unis, le film reçut un accueil bien moins favorable en Europe et fut même interdit en Grande-Bretagne. Cette œuvre puissante et profonde a très peu vieilli et reste une expérience éprouvante, même pour les générations actuelles. Gaspar Noé, réalisateur des pourtant impressionnants SEUL CONTRE TOUS et IRRÉVERSIBLE, a d'ailleurs déclaré n'avoir pu regarder LES CHIENS DE PAILLE dans son intégralité et être contraint de quitter la salle à la moitié du film !
Certains ont accusé Peckinpah de faire l'apologie violence, dans LES CHIENS DE PAILLE. Ce n'est pas le cas. Mais il n'est pas forcément évident de s'en rendre compte dès le premier visionnage... En effet, la complexité de l'histoire, ses nombreuses ambiguïtés et son intensité dramatique contribuent à placer le spectateur dans une situation plus qu'inconfortable où il est, à son tour, contraint de se défendre. La découverte de ce film est souvent un véritable coup de poing à l'estomac... Or ce n'est pas le genre d'expérience que l'on apprécie, en règle générale ! C'est pourquoi les réactions des spectateurs sont souvent... violentes, lorsqu'on les recueille à chaud. Mais avec du recul, et en partageant ses impressions avec d'autres, l'intelligence et la complexité de l'œuvre peuvent apparaître et conduisent souvent à vouloir revoir le film.
Le DVD d'Anchor Bay propose le strict minimum : le film. Absolument aucun supplément n'est fourni, pas même l'habituelle bande-annonce ! Quant au chapitrage, il n'est pas vraiment satisfaisant : 13 chapitres pour un film de près de deux heures, ce n'est pas assez ! La jaquette annonce que le film est présenté au format 1.77:1. En réalité, le ratio de l'image est plus proche du 1.85:1, qui est le format d'origine du film. L'image est plutôt bonne et le transfert vidéo ne souffre d'aucun défaut majeur. Le master est assez propre et peu endommagé. Un transfert 16/9 aurait néanmoins permis d'obtenir une image encore mieux définie. Côté son, seule la version originale est proposée, en mono. La piste est assez claire et dynamique, mais elle présente quelques petites imperfections par moments... Par ailleurs, cette édition ne propose aucun sous-titrage. Ceci est assez regrettable car les dialogues sont parfois difficiles à suivre. En effet, la présence d'accents différents (américain pour Dustin Hoffman et britannique, très prononcé, pour les villageois) ne facilite pas la compréhension...
LES CHIENS DE PAILLE est un film incontournable qui associe avec maestria intelligence et fureur, et qui mérite d'être revu régulièrement. On devrait donc le trouver dans toutes les vidéothèques qui se respectent ! Malheureusement, un DVD comme celui édité par Anchor Bay a de quoi dissuader l'acheteur le plus motivé… ne serait-ce qu'à cause de l'absence de sous-titres, qui impose de maîtriser parfaitement la langue anglaise. Néanmoins, pour les moins patients d'entre nous, ce DVD ou le disque espagnol permet d'attendre plus sereinement une éventuelle édition plus digne de cette œuvre exceptionnelle.