Tetsuo : Interview Eric Bossick

2. Partie 2

Votre présence physique est impressionnante. Mais votre voix, la façon dont vous parlez et hurlez est très étonnante. Comment avez-vous travaillé le "son" de votre personnage ?

J'ai imaginé comment la gorge, les poumons et l'organe vocal humain se transformeraient lentement et péniblement en métal. Quand nous avons fait l'enregistrement des voix après le tournage, je prenais également des positions physiques appropriées qui modifiaient mon parler. Mais il y a aussi une grosse partie technique qui relève du travail de Tsukamoto. Il n'y avait aucun son (définitif) enregistré sur le plateau, tout a été fait après que le film soit monté. Nous nous sommes rendus dans un studio et chaque acteur a dû refaire ses lignes de dialogues. C'était assez difficile car le temps avait passé et nous n'étions plus dans l'ambiance de la scène au moment où nous l'avions tournée. La post-synchronisation a été très pénible et a mis du temps à s'achever. Tsukamoto a ensuite travaillé avec l'ingénieur du son pour rendre ma voix de plus en plus métallique au fur et à mesure que la transformation progresse. J'ai entendu dire que par moments mes voix avaient été réenregistrées depuis l'intérieur d'un seau en métal, et à d'autres, tempérées avec des méthodes analogues. Presque tous les films de Tsukamoto ont été faits de cette manière, avec une post-synchronisation des dialogues à 100% après le tournage.

Shinya Tsukamoto est le réalisateur mais aussi votre partenaire en tant qu'acteur. Comment ont été vos relations ?

Si vous regardez le film et le décomposez scène par scène, Anthony et Yatsu (moi et Tsukamoto) ne sommes dans le même plan que pour une scène. Mon interaction avec lui a donc été très réduite. Dès que le film coupait sur moi, Tsukamoto reprenait la caméra pour tourner. Il était réalisateur mais également cadreur, il réglait les lumières et il sculptait même mes masques. Point par point, ce film a été fait des propres mains de Tsukamoto. Si vous avez vu ses films et si vous l'avez vu jouer dans d'autres projets, alors je pense que vous aurez une bonne idée de sa personne. Parfois il était facilement satisfait avec une prise, et d'autres fois nous devions refaire la même séquence maintes et maintes fois pendant des heures. Je n'arrivais jamais à déterminer ce qui faisait la différence dans son esprit, mais le plus souvent il est très intransigeant sur les petits détails. J'estimais avoir une bonne idée de la direction où il voulait aller donc il m'a laissé la liberté de créer et modifier mon rôle comme je le désirais.

La métamorphose d'Anthony est extrême. Est-ce que c'était difficile de jouer avec le maquillage qui semble encombrant ?

J'aime vraiment pouvoir me transformer en quelque chose de complètement différent de moi-même. J'ai toujours admiré les acteurs qui, à chaque film, sont à peine reconnaissables tellement ils sont différents de ce que nous connaissons déjà d'eux. De ce fait, j'ai attendu avec impatience les divers maquillages mais ils étaient souvent très pénibles à porter. Tsukamoto voulait qu'il y ait en permanence une personne des effets spéciaux durant les neuf mois du tournage. Il a donc décidé d'employer une fille fraîchement sortie de l'école de maquillage. Elle avait les bases du métier mais pas les années d'expériences professionnelles pour asseoir cette connaissance. Du coup, les masques n'étaient jamais tout à fait bien adaptés, souvent trop serrés, à tel point que j'avais l'impression de porter sur la tête un objet de torture médiévale. Avec le temps, elle apprenait de ses erreurs et trouvait de meilleures méthodes pour fabriquer les masques. Le point positif est que j'ai pu utiliser ça pour mon jeu. Anthony souffrait et je souffrais moi-même aussi. Je me suis même parfois demandé si Tsukamoto ne créait pas ce genre d'outils de torture dans le but de rendre le jeu d'acteur authentique. Au final, les effets spéciaux m'ont aidé à entrer dans la peau de Tetsuo sans avoir à tout miser sur l'imagination.

Visionner TETSUO: THE BULLET MAN est une expérience viscérale. Les mouvements de caméra, le montage et l'univers sonore participent beaucoup à l'expérience du film. En tant que comédien sur le plateau, vous imaginiez-vous comment seraient les séquences une fois totalement finalisées ?

Tsukamoto avait créé un book de ses concepts, avec une collection d'images et de peintures qui l'ont influencé. Il avait fait des dessins fabuleux de ses concepts qui détaillaient les diverses phases de Tetsuo. Pendant le tournage, je regardais bien sûr les rushes de ce que nous avions tourné. J'avais une idée sommaire du rendu visuel qu'il recherchait mais j'essayais de toujours rester proche de ses croquis. Pour la bande sonore, je n'avais aucune idée et j'étais très curieux d'entendre la musique. En tout cas, le film a été monté sous deux ou trois versions pour arriver au TETSUO: THE BULLET MAN final que vous avez vu. Maintenant qu'il est terminé, je vois le film pour ce qu'il est. Je pense que seul Tsukamoto pouvait le prévisualiser. Un film c'est un développement organique qui enfle lors de nombreuses étapes tout au long de sa fabrication.

Le film est bourré de séquences incroyables. Ma préférée est cette fusillade insensée entre vous et les soldats dans la maison. Comment s'est construite cette scène ?

Cette scène a été tournée sur trois semaines et demie. J'étais excité à l'idée de faire des cascades câblées, lorsque je saute du plafond vers les soldats. Tsukamoto savait que la scène serait filmée dans un couloir étroit, hors le couloir de sa maison menant aux toilettes était de la même taille. Assis sur ses toilettes, il imaginait comment il filmerait la scène. Il était souvent laborieux d'obtenir la synchronisation parfaite entre mes mouvements, les effets combinés de fumée et d'explosions et les mouvements de caméra.

Vous voyez parfois des étincelles voler de mon corps quand je suis frappé par les balles. La première fois que nous avons fait cet effet, ils ont trafiqué ma veste habituelle de costume et j'ai vu environ trente fils en descendre. Ils étaient collés de manière fragile avec du ruban adhésif. J'ai enfilé la veste et cette masse énorme de fils courait sur mes jambes à l'intérieur du pantalon, et ils l'ont branché directement au mur. OK ! Enfant aux Etats-Unis, on nous disait toujours que l'électricité était très dangereuse. Un ami électricien m'a dit que la plupart des morts par électrocution sont des gens qui s'amusent avec leurs appareils électriques dans leurs maisons. L'équipe avait trouvé sur Internet comment obtenir l'effet d'étincelle (perso, je suis tout à fait sûr que ce n'était pas prévu pour être placé sur le corps humain). Je leur ai dit "Vous savez, ce n'est pas grave si je meurs en faisant Tetsuo, pas de soucis. Mais vous serez obligés de trouver un autre acteur et vous aurez des problèmes de raccord". Quelques jours plus tard ils avaient préparé un costume en caoutchouc que je porterais sous la veste à étincelles.

Tomoro Taguchi (l'acteur principal des deux premiers TETSUO) fait une apparition dans le film. Est-ce qu'il vous a donné des conseils pour interpréter le nouveau TETSUO ?

Aucun, malheureusement, car je ne l'ai rencontré que beaucoup plus tard, après que le film soit terminé. Nous avons débattu pour savoir quel tournage était le plus douloureux. Taguchi disait que c'était le sien parce que Tsukamoto avait attaché des morceaux de métal avec du ruban adhésif directement sur son visage pour faire les masques. Je n'étais pas d'accord car, comme Tsukamoto a tourné TETSUO 3 en numérique. Il filmait des heures et des heures durant parce qu'il n'était pas limité en pellicule comme c'était le cas pour les premier TETSUO. Peut-être que les douleurs de Taguchi étaient plus intenses mais les miennes ont été étirées sur de plus longues périodes.

TETSUO : THE BULLET MAN vient juste de sortir au cinéma au Japon. Comment a-t-il été reçu par le public ?

C'était génial. Les japonais sont très enthousiastes et le film a eu une grande couverture médiatique ; bien que les gens se plaignent parfois que le film leur agresse les oreilles. C'est aussi parce que Tsukamoto monte le volume au maximum dans les cinémas. Le film est projeté avec le son beaucoup plus fort que la moyenne. A New York, quand nous avons montré le film au festival de Tribeca, lors de notre première nord-américaine, nous avons explosé les haut-parleurs. Si à l'occasion vous regardez le film en DVD, assurez-vous de bien monter le son pour voir le film. Car c'est ainsi qu'il a été pensé.

Quels sont vos projets maintenant ?

J'ai eu beaucoup de chance d'avoir emprunté un chemin que personne n'avait encore foulé et je souhaite continuer dans cet état d'esprit. J'aspire à construire une carrière internationale. Je voudrais apparaître dans des films aux USA, en Europe et dans d'autres pays d'Asie. Côté photographie, je viens juste de commencer une nouvelle série pour une exposition qui se tiendra à Nîmes en 2011.

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Eric Dinkian
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