5. Interview Kurando Mitsutake

Personnage affable et très ouvert, Kurando Mitsutake venait au festival Mauvais Genre pour présenter SAMURAI AVENGER : THE BLIND WOLF. Son film est clairement bercé d'influences et jouait avec le cinéma de genre non sans humour. Evidemment, on pouvait se demander s'il s'agissait d'une déclaration d'amour ou d'une démarche moins recommandable. Les trente minutes passées en sa compagnie à parler de cinéma ne laissent planer aucun doute sur l'admiration du cinéaste !

Christophe Lemonnier : Après avoir fait une école de cinéma, vous avez travaillé pour New Line sur des suppléments DVD tels que ceux de BLADE ou encore de LOST IN SPACE. Est-ce que cela vous apporté quelque chose en tant que cinéaste ?

Kurando Mitsutake : Lorsque j'ai travaillé pour New Line, j'ai eu l'opportunité de faire des interviews ou m'occuper de l'enregistrement de commentaires audio. Par exemple pour RUSH HOUR, j'ai été en contact avec Brett Ratner mais aussi cela m'a permis d'interviewer un compositeur légendaire, Lalo Schifrin. Des personnalités de ce genre… Vous savez, je ne sais pas si j'ai vraiment appris quoi que ce soit… Mais après être sorti d'une école de cinéma, cela me donnait vraiment l'impression de faire parti de l'industrie cinématographique en faisant un tel boulot. Je ne me souviens pas vraiment d'avoir appris quelque chose de cette expérience en particulier. Mais en tant qu'étudiant qui vient d'être diplômé, c'était en quelque sorte un travail de rêve de pouvoir interviewer des cinéastes professionnels d'Hollywood, que ce soit des réalisateurs, des acteurs ou des compositeurs… J'ai vraiment eu de la chance de les rencontrer et de les faire parler. C'était aussi très intéressant d'avoir la perspective de l'envers du décor.

Au début de SAMURAI AVENGER, il y a un carton d'avertissement pour prévenir les spectateurs qu'il s'agit d'une version "uncut" du film, restauré à partir de scènes coupées à l'origine et venant de sources diverses… C'est une façon de vous amuser de votre travail précédent ?

Oui, c'est une blague ou une satire… Vous savez que pas mal de films des années 60 et 70 ont souvent différentes versions en fonction des pays dans lesquels ils sont sortis. Ils ont été montés ou commercialisés de manière totalement différente…

Comme pour certains films pour lesquels des scènes alternatives ont été tournées avec les acteurs habillés ou nus pour l'exportation vers des pays aux censures plus ou moins permissives…

Oui, exactement… La censure a aussi changé le montage des films en fonction des pays. Il y a aussi des métrages qui ont un très grand nombre de titres différents. Donc, c'était vraiment quelque chose de très courant dans les années 60 et 70. Je voulais en faire état tout en m'amusant avec cela.

Justement, on peut dire qu'il y a souvent une ligne assez mince entre l'hommage et la moquerie. Vous vous situez de quelle manière par rapport à cela ?

Vous savez… Je suis vraiment un très grand fan du cinéma de genre. Je ne veux vraiment pas me moquer de ce type de film. Je voulais surtout rendre un hommage aux personnes qui ont fait du cinéma de genre. Je n'ai pas envie de m'en moquer, j'en fait partie.

Avant SAMURAI AVENGER, vous aviez réalisé un court-métrage sur le même sujet…

Oui, en effet. Nous avons fait un court-métrage intitulé SAMURAI AVENGER : LONG WOLF BLOOD. Je venais juste de terminer mon premier film, MONSTERS DON'T GET TO CRY. C'était un film noir qui tournait autour des fusillades dans les lycées. Le père de l'une des victimes kidnappe l'un des coupables et il exerce sa vengeance. Mais, pas mal de monde… Des distributeurs de films ou des agents qui ont vu le film m'ont dit "C'est plutôt bon… Mais vous êtes japonais… Vous devriez faire quelque chose de japonais !". C'est très certainement le conseil le plus important que j'ai reçu de qui que ce soit. A partir de là, j'ai eu l'envie de faire un film de sabre, avec des samouraïs. J'avais toujours eu l'envie de le faire de toutes façons. Là, j'avais donc la confirmation que comme j'étais japonais, je devais m'orienter vers mes origines. C'est pour ça que j'ai réalisé le court-métrage et nous voulions l'utiliser de manière à rassembler des fonds pour financer le film…

Dans le court-métrage, vous n'avez pas le rôle principal. Pourquoi avez vous pris la décision de le faire dans le long métrage ?

Pour le court-métrage, j'avais un petit rôle. Mais c'est surtout parce que nous avions un tout petit budget et que nous n'avions pas les moyens d'engager tous les acteurs. Donc, j'ai décidé de jouer moi-même l'un des rôles dans le court-métrage pour économiser de l'argent. Ce qui est amusant, c'est qu'un ami à moi, qui travaille à Hollywood, a vu le film et il m'a dit que j'étais vraiment bon. Il m'a même dit que j'étais ce qu'il y avait de mieux, en terme d'interprétation, dans le court-métrage. Il a continué en me disant qu'il allait parler de moi à son agent. Je ne l'ai pas pris au sérieux parce que nous étions en train de boire. Mais il l'a vraiment fait et son agent m'a trouvé bien. Du coup, j'ai signé avec son agent en tant que comédien. C'était un heureux accident. Car j'ai eu de la chance par la suite en apparaissant dans HEROESUGLY BETTY… Lorsque nous nous sommes lancés sur le long métrage, SAMURAI AVENGER, j'ai pensé en tant que producteur que ce serait une sage décision pour moi de me placer dans le film. Comme ça, sur la boite du DVD, on pourrait écrire "Kurando Mitsutake (UGLY BETTY, HEROES)". Et puis avec notre budget ainsi que le temps de tournage limité, si je n'avais pas incarné le rôle principal, nous n'aurions peut être pas pu filmer tous les plans. Parce que pas mal de mes gros plans ont été filmés seul… Pendant que le reste de l'équipe travaillait sur d'autres choses… Pendant que les comédiens étaient au maquillage… C'était un bon moyen de gagner du temps pour moi d'être l'acteur principal.

A propos des gros plans, vous jouez beaucoup avec vos sourcils, de la même façon que Shintaro Katsu. Ce qui est normal puisque votre personnage est un mélange entre Zatoichi et celui de BABY CART

Tout à fait.

Vous n'avez pas eu un peu peur de suivre les traces de Shintaro Katsu et Tomisaburo Wakayama

(Rire)

Car ce sont deux acteurs qui ont une grande présence, un charisme très fort, à l'écran…

Oui, en effet. Ce sont des légendes ! J'avais peur. Et j'ai toujours peur de les suivre. Vous savez, ce sont des géants, de vraies légendes au Japon et probablement dans pas mal d'autres parties du monde. Donc, oui ! Ce fut un énorme pari pour moi de prendre ce rôle. Mais je suppose que mon admiration pour eux, a été plus forte que ma peur de le faire.

Ca fonctionne très bien !

Oh, merci. Merci beaucoup !

Dans SAMURAI AVENGER, vous reprenez des séquences directement de la série des BABY CART comme la plaie au cou ou bien l'assassin qui montre sa poitrine. Pour cette dernière, vous placez aussi à l'intérieur du film des apartés explicatifs comme pour le sabre. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Il s'avère que pas mal des folies que l'on peut voir dans les films de samouraïs sont, en réalité, historiquement vraies. Evidemment, la plaie au cou, c'est un hommage direct aux BABY CART. Mais les femmes qui montraient leurs poitrines, en dehors de la série des BABY CART, c'est quelque chose de réel. Et c'était intéressant de montrer les aspects un peu fous de ma culture. Comme le seppuku des samouraïs. Tout ne vient pas des samouraïs, par exemple, on trouve dans le film une pratique qui vient des moines zen. Dans le film, c'était un bon moyen de présenter ces faits un peu dingues au monde entier.

Il y a beaucoup de scène où vous dégainer le sabre. C'est un art, il y a des gens qui pratiquent cela. Du coup, je me demandais si vous, et Jeffrey James Lippold, vous étiez entraîné ou si vous aviez pratiqué auparavant…

Le style de combat dans SAMURAI AVENGER est appelé "iai". C'est un peu comme les duels dans les Westerns. On dégaine son pistolet rapidement, on tire sur l'adversaire et on remet l'arme dans son holster. Avec le "iai", c'est pareil. Vous sortez votre sabre, dans le même mouvement vous portez un coup et vous rangez votre arme dans la foulée après avoir retiré le sang d'un geste. Je voulais vraiment utiliser ce style dans mon film car aujourd'hui avec l'influence des films de kung fu chinois ou tout autre film d'arts martiaux… On voit des combats où les adversaires s'entretuent de manière interminable. Des centaines de coups de poings, des milliers de coups d'épée… Mais dans la réalité, ce n'est pas comme ça…

Un peu comme pour Myamoto Musashi ou les anciens films de samouraïs…

Exactement ! De plus, vous savez, les sabres ne sont pas aussi robustes. Si vous frappez quelque chose comme cinq fois deux sabres ensemble, ils finiront sûrement par se briser. Ca, c'est la réalité et c'est ce que je voulais pour mon film. Nous avons eu beaucoup de chance d'avoir un excellent chorégraphe pour les affrontements au sabre. Nous avons fait des répétitions pendant un mois. Enfin, l'acteur qui incarne le vagabond, Jeffrey James Lippold, est un expert en arts martiaux et il savait déjà manier le sabre. D'ailleurs, c'est l'une des raisons pour laquelle il a obtenu le rôle durant les auditions. Moi, par contre, j'ai du m'entraîner énormément car je ne suis pas du tout un artiste martial, je suis un cinéaste.

Puisque vous évoquez le western. On trouve des influences de ce genre, particulièrement le western spaghetti, dans SAMURAI AVENGER. D'ailleurs, le nom de Sergio Corbucci est cité au générique et on retrouve un passage très influencé par DJANGO

Oui, le cercueil… Il y a un parallèle intéressant entre les films de samouraïs et les westerns italiens de la même période. Ils se sont influencés mutuellement, voire même copiés directement. Comme YOJIMBO de Kurosawa qui est devenu POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS. Ou bien LE GRAND SILENCE de Corbucci est devenu MUTE SAMURAI au Japon. Il y a eu beaucoup d'échanges. C'est pour quoi j'ai eu l'idée de mixer les deux dans mon univers. De plus, je suis un très grand fan des films de Sergio Corbucci. Lorsque j'ai visité l'Italie… Nous étions à Rome et j'ai regardé sur internet de manière à trouver sa tombe. On a trouvé le cimetière où il est enterré. C'est à l'extérieur de Rome. Nous avons pris les transports en commun pour aller nous recueillir sur sa tombe. Je pense que ça donne une idée de mon amour du Western italien et particulièrement de Sergio Corbucci.

A part Corbucci, vous appréciez particulièrement d'autres cinéastes du genre ? Sollima ? Castellari ? Parolini ?

Oui, bien sûr. J'aime beaucoup les réalisateurs italiens, les acteurs italiens… Ils ont fait des films vraiment surprenant et enthousiasmant durant cette époque…

Dans les crédits, à la fin du générique de SAMURAI AVENGER, il y a trois noms : Katsu, Wakayama et Corbucci. Mais dans le film, on peut aussi voir des références à Sam Raimi, comme la dernière scène. Pourquoi avoir choisi seulement ces trois noms ?

A vrai dire, si je devais citer toutes mes influences, le générique serait aussi long que TITANIC. Donc, je devais vraiment faire une sélection. Je pense que le critère, la règle que je me suis donné, c'était de placer seulement les personnes qui n'étaient plus avec nous aujourd'hui. Je n'ai pas voulu mettre les noms de personnes qui sont toujours en vie, qui font toujours des films, des comics ou ce genre de choses. Donc, c'était logique de ne citer que les influences majeures et c'était Katsu, Wakayama et Corbucci.

J'ai lu une interview où vous aviez dit qu'au départ, vous vouliez faire un film seulement sur le Japon mais qu'il s'est avéré plus économique de mixer les genres et d'y intégrer le Western…

(Rire). Vous ne m'aviez pas menti, vous avez fait vos devoirs ! Je pense que j'ai du dire ça dans une interview que j'ai fait en Allemagne.

C'est possible…

Bon… Oui ! Je suis un très grand fan des films de samouraïs. Un jour, j'ai vraiment l'espoir de pouvoir réaliser un film historique à propos des samouraïs. J'ai une idée intéressante… C'est un peu hors sujet. Mais j'ai une idée intéressante pour une histoire de tueurs en série, un thriller, dans le Japon féodal. Ce sera une manière de voir comment ils appréhendaient un crime, avant la science. Comment ils enquêtaient sur ce type de meurtres. J'ai donc cette idée et ce sera complètement un film en costumes. Mais, comme vous le savez, faire un film en costumes est particulièrement difficile. Perruques, costumes, décors, lieux…

Particulièrement aux Etats-Unis ?

Oui, bien sûr. Mais aussi au Japon. A ce moment là, avec l'argent que nous pouvions rassembler, il était donc préférable de faire un film qui allait mélanger les genres plutôt que faire un film en costumes.

Quels sont vos prochains projets ?

J'ai lancé quelques idées à mes producteurs japonais. L'un est une nouvelle fois influencé par un genre italien. J'aimerais faire une sorte de faux documentaire à la Jacopetti...

Genre MONDO CANE, AFRICA ADDIO…

Exactement ! Ce sera une sorte de mondo sur le Japon. Cela risque de s'appeler MONDO JAPAN. Car le Japon a pas mal d'étranges pratiques… On va mélanger des choses réels avec des trucs fabriqués de toutes pièces. Ce sera une façon de s'amuser avec le concept du faux documentaire. C'est l'une de mes idées. L'autre projet, comme je viens de réaliser un film de sabre, ce serait de faire un film noir avec des "gunfights" (fusillades). Une histoire policière avec un trafic d'armes où la marchandise est camouflée dans des corps humains. Je travaille sur ces idées.

Aujourd'hui, quand on parle de fusillades dans un film, on pense à John Woo. Ce sera ce genre ou, comme pour SAMURAI AVENGER, vous prendrez une voie plus réaliste ? A la Jean-Pierre Melville ?

Melville ! Exactement ! Je pense que les films où on s'affronte avec un flingue dans chacune des mains, c'est du passé. Tout le monde fait ça maintenant… Donc, si je fais un film policier, ce sera définitivement plutôt dans le genre de Melville. Ce sera simple et réaliste. Ce ne sera pas des milliers de balles qui volent dans tous les sens. Car c'est une seule balle qui compte !

Lorsque nous avons discuté rapidement hier, nous avons abordé le cinéma français. C'est intéressant d'avoir votre point de vue sur le cinéma français d'aujourd'hui…

J'ai vu des films français récemment. MARTYRS ? un film de torture… HAUTE TENSION… Je pense à un autre film français où des personnes sont assiégées avec une femme dans le rôle principal…

NID DE GUEPE de Florent Emilio Siri.

Oui, oui, c'est ça. C'était intéressant, avec de bons personnages. J'ai vu FRONTIERE(S) aussi… Il faut croire qu'à présent, les films français sont soit des films de vengeance, soit des films de torture ! (Rire). Je suis vraiment curieux de voir le film en deux parties à propos d'un vrai gangster français (ndlr MESRINE). J'aime le cinéma de genre français. Je ne suis pas le plus grand des fans du cinéma d'horreur. J'ai plutôt une préférence pour le film noir. D'ailleurs, je pense que l'industrie cinématographique française est celle qui fait, aujourd'hui, les meilleurs films de vengeance. Si des producteurs français m'invitaient à faire un film noir, ici, ce serait comme un rêve qui se réalise.

Appelons Luc Besson

Ouais, ouais, ouais ! (Rire)

Après tout, il a produit TAKEN, un film de vengeance avec Liam Neeson

Ce n'est pas vraiment un film de vengeance. C'est un film sur un sauvetage. J'aimerais faire un film comme ça. Mais je pense que je ferais un meilleur boulot. J'ai vraiment apprécié le film mais je trouve que le script a un gros souci. Parce que le personnage de Liam Neeson est trop fort. Il n'est jamais vraiment mis en danger.

Comme Steven Seagal !

Tout à fait !

Vous parlez de vengeance. Votre premier film parlait d'une vengeance. SAMURAI AVENGER évoque une vengeance. Vous voulez faire passer un message à quelqu'un, vous avez des envies de vengeance ?

(Rire) Je pense que le thème de la vengeance est universel. Tout le monde peut le comprendre. C'est traditionnellement japonais. Mais c'est probablement tout aussi traditionnellement français, italien, coréen… Je veux dire, c'est partout dans le monde. Je pense que le plus grand cinéma, c'est le cinéma sans langage. De manière à ce que tout le monde, peu importe l'endroit, puisse le comprendre. Même si c'est un film muet, si c'est un film de vengeance, les spectateurs le comprendront. C'est sûrement pourquoi je suis si attiré par ce thème. Mais peut être que plus tard dans ma vie, je ferai une comédie romantique ou quelque chose comme ça. Vous savez, ma femme aimerait que je fasse des films que mon fils puisse voir. Sans hémoglobine !

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Dossier réalisé par
Dossier réalisé par Christophe Lemonnier, Stéphane Paulin & Xavier Desbarats.
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Remerciements à Kurando Mitsutake, Valentin Verger (photos), aux organisateurs et à tous les bénévoles du Festival.