2. Interview - Partie 1 (texte)

Quel est votre parcours dans les effets spéciaux de maquillage ?

Frédéric Balmer : J'ai commencé par faire les Beaux-Arts. J'ai fait essentiellement de la communication visuelle, du dessin animé, des courts métrages, des choses comme ça. J'ai fait beaucoup de montage, et petit à petit, j'ai commencé à faire du maquillage aussi, pour agrémenter un peu mes courts métrages. Ensuite, j'ai fait un choix. Je suis parti sur Paris faire une école de maquillage, pendant deux ans. J'ai fait des rencontres rapidement, un peu par chance aussi. J'ai rencontré Dominique Colladant (NDLR : maquilleur français ayant débuté sa prolifique carrière au cinéma avec le NOSFERATU de Werner Herzog) qui m'a emmené sur un long métrage en tant qu'assistant. Ca m'a permis de démarrer assez vite. Ce premier long métrage c'était LA CHAMBRE DES OFFICIERS qui traitait des gueules cassées pendant la guerre 14/18. Ca a été une belle expérience. Ensuite, j'ai fait pas mal de théâtre aussi, pendant à peu près une année. Ensuite je suis revenu au cinéma. J'ai alterné en faisant de tout, mais je continuais à travailler parallèlement toujours un peu avec ces gens-là qui vous ont emmené dès le départ. Jusqu'à il y a un an et demi où j'ai rencontré Alexis et on a monté Djinn Studio.

Alexis Kinebanyan : J'ai toujours aimé les effets spéciaux depuis que je suis gamin. Je regardais des films avec des araignées, des fourmis géantes, en noir et blanc, des trucs comme ça… Je voulais travailler dans le cinéma, mais je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Je voulais être réalisateur, ensuite j'ai voulu être comédien. Un jour, je devais avoir 14 ans, ma grand-mère m'a offert un bouquin sur les effets spéciaux et dedans il y avait un article sur Dick Smith. Il y avait d'autres maquilleurs, mais ce que faisait Dick Smith me bottait plus. Donc je m'y suis mis, dans ma chambre, et vers 17-18 ans j'ai contacté Benoît Lestang. J'ai commencé à bosser un tout petit peu, gratos comme ça, dans l'atelier, et après j'ai fait un break. J'ai arrêté 5 ans où je suis devenu auxiliaire de puériculture (rires). Ensuite j'ai recontacté Benoît, car j'ai recommencé à faire des maquillages. Lui, il sortait du BOSSU (de Philippe de Broca). Il y avait beaucoup de demandes et j'ai intégré l'atelier. Il y avait Emmanuel Pitois aussi à cette époque là. On a pas mal bossé tous les trois. A partir de ce jour-là, je n'ai pas arrêté depuis. C'était donc fin 1999-2000 et j'ai enchaîné jusqu'en 2008, non-stop quasiment.

Tu as des titres éventuellement à citer ?

A. K. : Le premier film avec Benoît, c'était un film de Jean Rollin qui s'appelait LA FIANCE DE DRACULA. Puis on est passé aux machines supérieures : c'était LE PACTE DES LOUPS (de Christophe Gans), ANTILLES SUR SEINE (de Pascal Legitimus) et LE PRINCE DU PACIFIQUE (d'Alain Corneau). C'était une très grosse période que Benoît appelait "le dépucelage", ce sont ses termes. C'était une période de trois mois où on a bossé tous les jours, à peu près entre douze et quinze heures par jour. Dedans, tous les effets ne sont pas toujours… Mais bon dans l'ensemble ça marche quand même. J'ai bossé avec Benoît Lestang pendant six ans environ et ensuite, j'ai un peu bossé chez Spada. J'ai un peu travaillé sur ASTERIX AUX JEUX OLYMPIQUES (de François Forestier et Thomas Langmann). J'ai fait un tout petit truc sur DANTE 01 (de Marc Caro)… Enfin c'était des petites bricoles quoi. Et puis après il y a eu surtout SA MAJESTE MINOR (de Jean-Jacques Annaud) où là j'ai bossé cinq semaines en prépa avec eux. En même temps, je filais un coup de main à Benoît sur le film sur la guerre d'Algérie L'ENNEMI INTIME (de Florent Emilio Siri). Ensuite j'ai enchaîné avec Black and White où j'ai rencontré Fred.

C'était quoi "Black and White" ?

A. K. : C'était une émission de télé, il fallait transformer une famille de blancs en noirs et une famille de noirs en blancs.

Comment est née l'idée de monter Djinn Studio à vous deux ?

A. K. : Dans ce métier là, vous travaillez beaucoup en collaboration. Et il y a forcément des atomes crochus entre certaines personnes, et d'autres avec lesquelles ça se passe un petit peu moins bien… Donc c'est simple, vous restez entre gens positifs. Car c'est un métier où il y a quand même beaucoup de contraintes, techniques et artistiques.

F. B. : A force de travailler avec plusieurs personnes, sur plusieurs années, à un moment donné vous finissez par trouver des gens avec qui ça fonctionne le mieux. Le truc c'est quand même de faire avancer les choses et de le faire au mieux. Avec toutes les contraintes qu'il y a il faut pouvoir résoudre les problèmes dans le calme, s'écouter, proposer des solutions, trouver un équilibre, jusqu'au résultat final. Ca c'est pas toujours évident. Et puis avec Alexis, on marche bien ensemble depuis plus d'un an. On a un beau parcours. Et en plus, on s'est amusés.

A. K. : C'est un plaisir, moi je préfère le mot plaisir qu'"amusés".

F. B. : C'est-à-dire, voilà, dans tout ce chaos, on arrive à faire des choses et à s'amuser surtout. Garder cet esprit là. Ce qui est important.

Sur quels projets a travaillé Djinn Studio ?

A. K. : Ca a vraiment commencé sur la pub "Smart" (NDLR : qui parodie l'extra-terrestre de Roswell sur la table de dissection). C'était début 2007. Ceci dit, ce n'était pas encore vraiment Djinn Studio. C'était une espèce de collectif, mais on était tous les deux responsables, entre guillemets. Il y a eu ensuite un petit boulot sur LES DEUX MONDES (de Daniel Cohen). Puis il y a eu ce film qui s'appelle BLACK (NDLR : réalisé par Pierre Laffargues et mettant en scène le rappeur MC Jean Gab'1 et François Levantal, le film n'a toujours pas trouvé de distributeur au moment de cette interview). C'est une histoire très étrange. C'est un mec qui est sensé avoir une maladie de peau qui ressemble à des écailles de serpent. Les personnages parlent d'une "prophétie"… Mais le film n'est toujours pas sorti. On a fini le tournage l'année dernière, en juillet. Ca a été le bordel le plus complet, mais à tous les niveaux. Donc, y a eu ça qui a pris beaucoup de temps et ensuite y a eu des petites choses. J'ai fait un petit effet sur un film de Bertrand Bonello avec Asia Argento (NDLR : DE LA GUERRE). C'était un truc assez simple, c'était un petit impact de balle dans le crâne d'un gamin.

F. B. : C'est là qu'après BLACK y a eu une rupture. On a eu un petit laps de temps où on n'a rien fait, entre parenthèses, pendant un mois on attendait des boulots.

A. K. : Ceci dit, après BLACK, c'était sympa de ne rien faire. Parce que j'étais à deux doigts d'arrêter. Ca m'a un peu écoeuré d'ailleurs. Quand vous allez sur un plateau, que vous n'avez jamais fait d'essais, et que vous êtes complètement dans le doute… Surtout que c'est un maquillage (NDLR : d'homme serpent) qu'il faut rendre esthétique et que, finalement, ça se termine par coller des bouts de puzzle qui n'ont rien à voir les uns avec les autres. Et il faut essayer de faire un truc qui ressemble à quelque chose quand même. La chance c'est que c'est filmé dans le noir ! Y a eu de bons échos de la part de la production, donc ça doit marcher. Mais sur le plateau, c'était pas toujours ça. Ca restait du bricolage, parce que justement il n'y avait pas eu ces étapes d'essais et ça, ça m'avait un peu écoeuré. Ensuite, y a eu un film, LOUISE MICHEL (NDLR : encore en post-production au moment de l'interview). C'était des têtes qui explosent.

F. B. : C'est un film de Benoît Délépine et Gustave de Kerven, qui avait fait AALTRA aussi. Les mecs de Groland. Après, y a eu TOKYO, sur le segment de Léos Carax. TOKYO est un film à sketchs regroupant trois réalisateurs : Michel Gondry, Carax et le coréen Bong Joon-Ho. Après ça, on a enchaîné tout de suite sur BOUQUET FINAL de Michel Delgado.

A. K. : Le boulot était de faire trois corps. C'est une histoire de croquemort. C'est plus simple de mettre des mannequins dans un cercueil que de prendre des vraies personnes dans une chambre froide. Surtout que je suppose que quand on a 72 ans, on n'a pas forcément envie de se retrouver dans une chambre froide. Donc on a fait trois mannequins qui, pour le coup, devaient être très réalistes.. On a eu un peu de temps pour les faire, donc ils sont, je pense, pas trop mal. Et ensuite y a eu un petit boulot sur VENUS APOLLON, une série sur Arte. Un petit maquillage d'un mec qui s'était fait un shooté avec une pierre. Ensuite c'était Noël, il y a eu un gros creux. Ca a été essentiellement des petits boulots, pour monter des projets. Notamment, je ne sais pas si vous avez entendu, un film sur la vie de Gainsbourg, enfin sur une partie de sa vie. On a fait des essais de maquillage pour qu'ils fassent des séances photos. Après il y a eu des petits trucs sur des clips vidéos, de rap, des courts-métrages, pour dépanner.

F. B. : Après y a eu LOURDES, film autrichien, il faut le préciser. Là on a fait un faux crâne pour un effet de femme qui avait une leucémie. Donc un faux crâne avec des petits cheveux qui repoussent un peu n'importe comment. Ca, ça a été un petit peu un défi en même temps.

A. K. : Et demain, on part pour aller faire un maquillage sur Bénabar en vieux botoxé, lifté.

Un coup, il y a beaucoup de travail. Puis ça devient très calme… Est-ce qu'il y a assez de productions en France nécessitant des effets spéciaux de maquillages ?

F. B. : C'est un peu le jeu en fait. Il y a une année où l'on va travailler, je ne vais pas dire 24 h sur 24 h, mais où l'on va accumuler un peu les choses. Et puis à un moment donné, il y a moins de travail, le temps que les projets se remontent avec les boîtes avec lesquelles on travaille. On peut dire aussi que c'est une période qui est un petit peu comme ça pour tout le monde depuis six mois, même si on arrive à gratter à droite à gauche des choses. Là ça commence à revenir un petit peu en force. Ca nous fait plaisir surtout de pouvoir se relancer sur des projets avec des défis, développer des choses… Et puis de toujours continuer à s'amuser, de développer des choses personnelles, qui serviront plus tard.

A. K. : Faire des essais, faire des expériences…

F. B. : Avec tout le matériel qui nous reste des autres films, donc on en profite un peu.

A. K. : Oui et puis même des fois, d'acheter des choses personnellement, d'essayer de bidouiller sur de nouvelles matières, d'essayer de nouvelles techniques. Sur un boulot, on utilise parfois des techniques qu'on n'a jamais testées. Ca arrive. Moi je n'aime pas personnellement. Je préfère faire des expériences avant et puis les affiner si jamais je vois qu'il y a une utilité sur des vrais boulots. Il y a des maquilleurs qui n'ont pas envie d'investir de l'argent ou de leur temps à un moment donné, donc ils tâtonnent sur des boulots mais c'est super stressant. Quand vous moulez quelque chose avec une nouvelle résine que vous n'avez jamais testée, vous vous rendez compte que c'est vraiment une catastrophe, vous êtes obligé de tout refaire ! Donc bien sûr, ça met forcément des tensions. Surtout quand il ne vous reste plus que dix jours pour refaire ce que vous avez fait en 20 jours par exemple.

F. B. : Ca peut arriver de tout refaire la veille aussi. Là c'est un peu plus extrême, mais ça arrive.

De quel œil voyez-vous l'abondance des trucages en images de synthèse au cinéma ? Est-ce que ça n'a pas trop dévoré les trucages exécutés en plateau ?

A. K. : Il y a des boulots qui n'existent plus. Ceci dit, en France, ils n'ont pas vraiment existés ! Ce sont les grosses animatroniques, par exemple. Le dernier en date c'est MON AMI JOE (de Ron Underwood) qui avait été fait chez Rick Baker. Je pense qu'en France, des animatroniques comme ça il y en a jamais eu.

F. B. : Y en a eu mais très peu.

A. K. : C'est pas du même niveau. C'est pas le même marché et c'est pas les mêmes budgets non plus. Donc pas le même rendu. Donc ça c'est un truc qui disparaît, c'est clair. Par contre, ce qui est bien avec le numérique, c'est que ça permet de faire de nouvelles choses. Déjà ça permet des fois de gommer quelques raccords, donc ça nous arrange. Ils se débrouillent avec le numérique pour effacer ou étalonner des couleurs. Ca permet de faire des effets qui sont intéressants. Sur 36 QUAI DES ORPHEVRES (d'Olivier Marchal), il y avait des effets d'impacts de balles dans le front. Avant on faisait un faux front, on mettait un "bladder" (c'est une petite poche de sang avec une arrivée de tuyau) et puis on tirait une pastille avec un fil de nylon et on synchronisait l'ensemble. C'est vrai que ça marchait ceci dit. Mais dans 36, ce qui marche bien c'est que d'un seul coup vous avez un mec normal qui parle en plan séquence, qui n'a pas les contraintes du tuyau qui lui traîne dans les pattes, et d'un seul coup il fait comme ça (Alexis mime le quidam qui se prend brutalement une balle en pleine tête) ! En fait, il avait déjà une prothèse qui était collée, qui a été gommée au numérique et qu'ils refont apparaître à un moment donné. Ils font aussi couler un petit peu de sang. Ca en plus, ça marche mieux je pense, enfin je trouve.

F. B. : On l'avait fait aussi sur LE DEUXIEME SOUFFLE (d'Alain Corneau). Des fausses têtes, filmées sur fond vert, ils découpent l'impact et ils le replacent sur le comédien. C'est surtout que oui, à l'heure actuelle, la synthèse ça a permis aussi d'aller plus loin sans tuer non plus notre métier. Moi je trouve que ça devient complémentaire maintenant. C'est vrai qu'il y a des choses qu'on n'a plus besoin de faire. Je prends l'exemple d'un dinosaure, on va le filmer en tant que chose réelle pour les gros plans, mais par contre pour le faire courir, ça on pouvait pas le faire avant en animatronique. Donc la synthèse a permis aussi d'aller plus loin dans le délire.

A. K. : Je vais juste reparler de la synthèse par rapport à un de nos boulots aussi, c'est sur la pub Smart. En fait le "Roswell", les paupières ne clignent pas et ça a été rajouté au numérique. Il y avait des petites paupières qu'on a posées pour faire un repère pour les mecs. Eux, ils les enlevaient et ils ont fait bouger les paupières. Ca c'est du numérique. Mais c'est vrai que les paupières en animatronique, à moins d'avoir un gros budget, d'avoir de l'argent et du temps, c'est difficile. Et puis l'animatronique, des fois, c'est pas non plus miraculeux.

F. B. : C'est toujours un peu mécanique dans l'effet. Donc oui ça a permis d'améliorer des choses, mais ça n'empêche pas. Moi je trouve que un des plus beaux travail de mix entre le maquillage et la synthèse, c'était BLADE 2 (de Guillermo del Toro). Ce personnage qui ouvrait la gueule avec des tentacules qui sortaient de sa bouche. Le personnage existait en tant qu'animatronique et l'effet d'ouverture a été fait en synthèse.

A. K. : Il y a les deux. Sur certains plans où c'est vraiment lui, d'un seul coup, ils passent par de la synthèse. Et d'autres fois, c'est de l'animatronique. A voir. Très beau making-of d'ailleurs sur BLADE 2.

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Dossier réalisé par
Eric Dinkian
Remerciements
Frédéric Balmer et Alexis Kinebanyan