De 1957 à 1962, les premiers films d'épouvante gothique de la Hammer sont réalisés par un seul metteur en scène, consacré spécialiste du genre : Terence Fisher, qui aligne ainsi FRANKENSTEIN S'EST ECHAPPE !, LE CAUCHEMAR DE DRACULA, LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN, LE CHIEN DES BASKERVILLE, LA MALEDICTION DES PHARAONS, THE MAN WHO COULD CHEAT DEATH, LA NUIT DU LOUP-GAROU, LES MAITRESSES DE DRACULA, THE TWO FACES OF DR. JEKYLL et LE FANTOME DE L'OPERA ! Toutefois, ce dernier titre est une grosse déception, aussi bien critique que commerciale, ce qui jette un froid au sein de la compagnie. Pour la première fois depuis cinq années, Fisher tourne alors ses deux films suivants, SHERLOCK HOLMES ET LE COLLIER DE LA MORT et THE HORROR OF IT ALL pour d'autres compagnies.
La Hammer n'abandonne pas pour autant l'horreur classique et, avec le soutien d'Universal, envisage un "troisième Dracula", après LE CAUCHEMAR DE DRACULA et LES MAITRESSES DE DRACULA. Le scénario est rédigé par "John Elder", en fait Anthony Hinds, un des propriétaires de la firme, tandis qu'on cherche à faire travailler de "nouvelles têtes", aussi bien derrière que devant la caméra.
Est ainsi choisi comme réalisateur l'australien Don Sharp, qui travaille alors en Grande-Bretagne, particulièrement pour la télévision, et qui n'a jusqu'alors jamais approché le fantastique. Il bénéficie de l'équipe classique de la Hammer, à savoir le décorateur Bernard Robinson, le compositeur James Bernard, Roy Ashton et Les Bowie aux maquillages et aux effets spéciaux. Contrairement aux deux Dracula de Fisher, on ne retrouve pas Jack Asher en tant que chef opérateur, les dirigeants de la Hammer reprochant au brillant technicien de travailler trop lentement. Pour jouer le professeur Zimmer, le chasseur de vampires, on retient Clifford Evans (le père adoptif de Leon le lycanthrope dans LA NUIT DU LOUP-GAROU), tandis que, pour incarner le sinistre comte Varna, on choisit Noel Willman, déjà titulaire de prestigieux seconds rôles hollywoodiens (LE BEAU BRUMMEL, L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP…).
La voiture de Gerald et Marianne Harcourt, un couple nouvellement mariés, tombe en panne au beau milieu d'une forêt d'Europe centrale. Cet incident n'entame pas la bonne humeur des jeunes gens qui décident de passer quelques jours en amoureux dans une auberge de la région. Le docteur Varna, qui habite un château surplombant la forêt, les invite à venir dîner chez lui. Gerald et Marianne sympathisent avec le savant et ses enfants. Mais les deux étrangers insouciants ignorent qu'une terrible malédiction pèse sur la demeure…
Quand bien même Universal et la Hammer prévoient, dans un premier temps, de faire de LE BAISER DU VAMPIRE un troisième Dracula, ils y renoncent en fin de compte, essentiellement parce que Christopher Lee renâcle à remettre la cape du vampire et oriente alors sa carrière vers d'autres pays (essentiellement l'Italie). Déjà, dans LES MAITRESSES DE DRACULA, on ne rencontrait même pas Dracula, ce qui a fait dire que ce titre relevait d'une escroquerie commerciale.
Ici non plus, point de Dracula à l'horizon, donc, même si LE BAISER DU VAMPIRE reprend certains traits des films antérieurs, particulièrement des MAITRESSES DE DRACULA : l'institutrice arrivant dans une région reculée et invitée au château local est remplacée par un couple de jeune mariés ; on retrouve un chasseur de vampires cautérisant, de façon douloureuse, une morsure de vampire… Le professeur Varna a d'indéniables airs de Christopher Lee, et sa première apparition, mi-menaçante mi-courtoise, en haut d'un escalier, renvoie immanquablement au CAUCHEMAR DE DRACULA. Quant au final, il était prévu initialement pour LES MAITRESSES DE DRACULA, mais l'idée avait été mise de côté pour resservir dans LE BAISER DU VAMPIRE.
Loin d'être une pâle resucée de ses prédécesseurs, LE BAISER DU VAMPIRE apporte son lot de nouveautés astucieuses. Ainsi, la famille Varna s'avère un clan de vampires aux intentions autrement plus complexes que les habituels buveurs de sang. Derrière une façade de sociabilité et de respectabilité soigneusement entretenue, ils ourdissent des complots d'un machiavélisme supérieur, impliquant un culte d'adorateurs des puissances maléfiques. De même, le chasseur de vampires innove en ayant recours, pour défaire les vampires, non pas seulement aux puissances du bien (lumière du soleil, eau bénite, crucifix…), mais aussi à la magie noire : il tente, en fin de compte, de détruire le mal par le mal.
Outre ces apports thématiques, LE BAISER DU VAMPIRE réunit aussi les meilleurs qualités des films Hammer de l'époque : photographie soignée (même si on est un cran en dessous du travail de Jack Asher), beauté des décors de Robinson (dans lesquels l'habitué retrouve des accessoires revenant régulièrement dans les productions du studio, comme le carillon de l'auberge, ou le globe terrestre du CAUCHEMAR DE DRACULA), mise en scène et interprétation soignées… Quelques tours de force se dégagent ainsi de cette aventure vampirique, tel le prologue saisissant de cruauté, la séquence au cours de laquelle le fils Varna envoûte Marianne en jouant du piano, ou, bien entendu, le bal masqué, évoquant les toiles d'Ensor, qui devait inspirer à Roman Polanski une célèbre séquence de sa parodie LE BAL DES VAMPIRES.
Au chapitre des réserves, il faut tout de même constater que le scénario manque un peu de rigueur. Nous imposant, comme personnages principaux, le jeune couple, il nous éloigne de Zimmer, le chasseur de vampires, autrement plus intéressant et charismatique. De même, la fin tend à partir dans la confusion, tandis que la dernière scène, faute d'effets spéciaux satisfaisants, laisse à désirer.
LE BAISER DU VAMPIRE apporte un renouvellement bienvenu des films de vampires Hammer, renouvellement ayant le mérite de se faire dans une continuité atmosphérique indéniable. La même année, la Hammer va donner des suites à ses principales séries fantastiques, avec L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN et LES MALEFICES DE LA MOMIE. Quant aux vampires, il faudra attendre 1966 pour qu'elle y revienne, avec le très attendu DRACULA, PRINCE DES TENEBRES, qui scelle la réunion du célèbre non-mort, de Christopher Lee et de Terence Fisher !
LE BAISER DU VAMPIRE n'est, pour l'instant, disponible en DVD qu'aux USA, chez l'éditeur Image Entertainment (NTSC, zone 1). Annoncé par la jaquette en format 1.66, l'image du film est en fait cadré en 1.85, sans pour autant proposer d'option 16/9. Si on apprécie un joli rendu des couleurs, on remarque aussi que ce télécinéma n'est pas exactement au niveau de ce qu'on est en droit d'attendre d'un DVD en 2004 : poinçons de fin de bobine, définition grossière, rayures ponctuelles… Certes, il est agréable de pouvoir consulter ce film Hammer assez rare (il n'a pas été distribué en vidéo en France, par exemple) dans des conditions acceptables, mais une nouvelle édition serait bienvenue.
La piste audio est disponible en PCM, dans sa version mono d'origine. A nouveau, il n'y a pas de quoi s'extasier devant cette bande-son, manquant de netteté, sur laquelle des parasites et des craquements se font régulièrement entendre.
Bref, cette édition commence à dater et mériterait une petite remise à jour. Qui plus est, elle ne propose aucun bonus. On peut néanmoins se consoler en parcourant la galerie de photos d'exploitations gracieusement mise à la disposition des lecteurs de DeVil Dead, et se reporter à quelques articles intéressants publiés dans la presse française, tel l'interview de Don Sharp parue pour la sortie du BAISER DU VAMPIRE dans le "Midi-Minuit Fantastique" numéro 9, ou le dossier consacré à ce film et à son réalisateur dans les "Fantastyka" 10 et 11.