1931, année cruciale pour le cinéma fantastique, voit sortir des studios Universal deux films fondateurs et fondamentaux de l'épouvante Hollywoodienne. En février, DRACULA déploie sa cape sur les écrans américains et y rencontre un succès phénoménal, confirmé en automne par la distribution triomphale de FRANKENSTEIN. Aussitôt, les autres grandes compagnies se jettent sur le tout nouveau filon des films horrifiques et fantastiques parlants : Paramount avec DOCTEUR JEKYLL ET MR. HYDE, MGM avec LA MONSTRUEUSE PARADE, Warner avec DOCTEUR X (par le biais de First National), la Fox avec CHANDU THE MAGICIAN ou RKO avec LES CHASSES DU COMTE ZAROFF.
Des structures moins fortunées sont aussi de la fête. Le producteur Edward Halperin, de Halperin Productions, réunit un budget modeste et lance le tournage des MORTS-VIVANTS, réalisé par son frère Victor Halperin, en onze jours seulement, essentiellement aux studios Universal, dans des décors construits pour DRACULA et FRANKENSTEIN. La star du film, c'est évidemment Bela Lugosi, devenu une vedette de cinéma grâce à DRACULA, mais qu'Universal néglige depuis les résultats commerciaux jugés décevant de DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE, second film d'horreur qu'il a tourné chez cette compagnie.
Alors qu'elle se rend en bateau aux Antilles, où elle compte épouser son fiancé Neil, Madeleine fait la connaissance de Beaumont, un riche propriétaire de plantations qui s'éprend d'elle. Fidèle à son amoureux, elle refuse la proposition en mariage de cet homme, mais accepte, à sa demande, que ses noces avec Neil aient lieu à la propriété du planteur. Cela ne suffit pas à apaiser le dépit de Beaumont, et, prêt à tout pour conquérir la jeune femme, il prend contact avec Legendre, un terrible sorcier blanc maîtrisant les secrets de la magie noire. Celui-ci l'aide à faire de Madeleine une zombie soumise à sa volonté.
En ouvrant tout bon ouvrage consacré au cinéma d'épouvante, on y apprend que LES MORTS-VIVANTS est considéré comme le premier film à mettre en scène des "zombies". Mais cette notion doit être distinguée du simple statut de mort-vivant : en effet, selon le folklore des Antilles, le zombie est un être humain qui, par des moyens supposés magiques, est mis dans une état de transe tel qu'il semble physiquement mort. Cet état étant temporaire, la victime de cette malédiction revient ensuite à la vie et peut être, éventuellement, employée comme esclave par le sorcier.
La terme "zombie" se répand aux USA lors de la publication de "L'île magique" en 1929, ouvrage dans lequel le voyageur William B. Seabrook relate les phénomènes étranges auxquels il a pu assister sur l'île d'Haïti. Ce phénomène prend encore de l'ampleur lorsqu'en 1932 ouvre sur Broadway une pièce de théâtre nommée "Zombie", laquelle inspire fortement les frères Halperin pour LES MORTS-VIVANTS. Cela donne même lieu à un procès, gagné par les cinéastes, les auteurs de la pièce leur reprochant d'avoir plagié leur oeuvre.
Zombies, hypnose, poupées de cire dans lesquelles sont enfoncés des épingles... Si LES MORTS-VIVANTS baigne constamment dans le monde de la sorcellerie vaudou, il met en scène un sorcier blanc, le terrible "Murder" Legendre, incarné avec une perversion diabolique par Bela Lugosi. Après avoir zombifié le guérisseur antillais qui l'a initié à la sorcellerie, ce sinistre individu s'est fabriqué une armée de zombies qu'il fait travailler jour et nuit dans sa lugubre sucrerie. Avec la fortune ainsi amassée, il a acquis de vaste terres, que les Noirs appellent entre eux le Pays des Morts-Vivants, et sur lesquels est construit un lugubre château. Personne n'ose défier la puissance de Legendre ou enquêter sur ses méfaits, à l'exception d'un brave pasteur, le docteur Brunner, bien décidé à faire appliquer un (authentique !) article du code pénal Haïtien : "Est aussi qualifié attentat à la vie d'une personne, par empoisonnement, l'emploi qui sera fait contre elle de substances qui sans donner la mort, auront produit un état léthargique plus ou moins prolongé, de quelque manière que ces substances aient été employées et quelles qu'en aient été les suites. Si, par suite de cet état léthargique, la personne a été inhumée, l'attentat sera qualifié assassinat."
Plus qu'une simple transposition de la magie vaudou, LES MORTS-VIVANTS est avant tout un mélodrame fantastique, mélodrame dont le moteur principal est l'amour malheureux. Amour malheureux de Beaumont, incapable de supporter le refus que Madeleine oppose à sa demande en mariage. Amour malheureux du jeune premier Neil, dont la promise est tombée raide morte sous ses yeux, au cours de leur repas de noces ! Amour malheureux de Beaumont, encore une fois, condamné à partager sa vie avec une Madeleine zombifiée et désincarnée. Enfin, dans l'ombre, le machiavélique Legendre convoite lui aussi la jeune beauté...
Cette tragique histoire d'amour souffre d'être parfois mise en scène de manière un peu plate. Certaines séquences dialoguées semblent un peu ennuyeuses, d'autant plus que la plupart du casting est d'une rare fadeur. Quant à la réalisation, elle n'a ni la fougue, ni l'élégance des plus belles réalisations de son époque. Mais, si LES MORTS-VIVANTS n'atteint donc pas les cimes de LA MONSTRUEUSE PARADE ou des CHASSES DU COMTE ZAROFF, cela n'en fait pas une oeuvre mineure, loin de là !
Film d'atmosphère avant toute chose, LES MORTS-VIVANTS doit beaucoup à sa magnifique photographie, plongeant, dès la première bobine, le spectateur dans une nuit noire, mystérieuse et peuplée de forces surnaturelles. Les décors sont magnifiques, tels les intérieurs du château de Legendre, bâtisse gothique, peu vraisemblable d'un point de vue géographique, mais ô combien évocatrice de la personnalité de son macabre propriétaire ! Sur la bande-son aussi pèse la marque d'un travail atmosphérique d'exception. Des tambours lointains résonnent, comme les échos menaçants d'une terrible cérémonie, avant de céder la place à un silence pesant, déchiré par les hurlements d'un vautour, compagnon de magie noire de Legendre. Surtout, l'insupportable grincement de la broyeuse de cane à sucre, activée par des zombies aux regards exorbités, résonne longtemps aux oreilles du spectateur, traumatisé par cette séquence digne de figurer au sein d'une anthologie de l'horreur.
Outre cette inoubliable scène de la sucrerie, il faut retenir des MORTS-VIVANTS le couple désespéré formé par Beaumont et sa fiancée Zombie, laquelle joue, sans émotion, des airs sans âme sur un piano. Ou encore la prestation de Lugosi, jouant avec une jubilation sensible de ses gestes calculés et du rythme de sa diction, qui compose un personnage méphistophélique. La séquence au cours de laquelle Legendre nargue une de ses victimes, en train de lutter vainement contre le raidissement de ses muscles provoqué par la potion zombifiante, atteint des sommets dans le sadisme.
Situé entre l'aventure exotique et l'épouvante, comme, à la même période LE MASQUE D'OR, LES CHASSES DU COMTE ZAROFF ou L'ILE DU DOCTEUR MOREAU, LES MORTS-VIVANTS, sans être parfait, appartient à ses oeuvres magiques de l'Hollywood du début années 1930, période à laquelle les grands mythes du fantastique se codifiaient et se cristallisaient en une stupéfiante série de chef-d'œuvres. Son approche du zombie antillais en fait l'ancêtre d'autres titres classiques, comme le VAUDOU de Tourneur, L'EMPRISE DES TÉNÈBRES de Wes Craven ou, dans une moindre mesure, L'ENFER DES ZOMBIES. Victor Halperin, en 1934, lui donnera une suite, avec REVOLT OF THE ZOMBIES, dans lequel un sorcier vietnamien ramène à la vie une armée de zombies afin de les mettre au service des alliés au cours de la première guerre mondiale...
Un temps considéré comme un classique perdu, LES MORTS-VIVANTS a fini par être retrouvé et a même bénéficié de restaurations soignées, notamment à l'occasion d'un DVD publié par l'éditeur américain The Roan Group (zone 1, NTSC). Le voici qui arrive en France chez Aventi, dans la collection Ciné Club.
Une fois lancé le film, le spectateur a de quoi s'inquiéter, l'image étant singulièrement brouillée par une brume verdâtre, trahissant un transfert peu soigné : heureusement, si les couleurs de son téléviseur sont réglées au minimum, le même spectateur est à peu près rassuré. Certes, l'image n'est pas grandiose et trahit un bruit assez présent, mais la copie argentique ayant servi pour ce télécinéma est dans une forme relativement acceptable. Certes, on remarque parfois de grosses rayures, des poinçons, quelques "sauts" révélant la disparition d'images par-ci par-là, ou une fixité pas toujours impeccable. Mais les contrastes sont gérés avec un certain naturel, tandis que les gros défauts d'état restent ponctuels. Seul passage à être vraiment dans un état épouvantable, la courte scène de la mort de Madeleine semble provenir d'une autre source. Le plus ennuyeux reste tout de même la présence de quelques parasites typiques d'une source vidéo analogique en état moyen, ce qui semble indiquer qu'Aventi s'est contenté de recycler du matériel ancien, pas vraiment en conformité avec les exigences qualitatives du format DVD. Précisons enfin que, afin de restituer plus fidèlement le cadrage des MORTS-VIVANTS, un petit liseré noir entoure l'image.
Pour la bande-son, il convient de rappeler que ce film a été produit avec un budget très modeste, à une époque où le cinéma parlant est encore dans une phase relativement expérimentale. On ne s'étonne pas dès lors d'avoir une piste sonore anglaise (mono d'origine, bien sûr !) souffrant d'un souffle constant et de nombreux parasites. Certains passages ponctuels sont même franchement incompréhensibles, mais, il faut sans doute plus blâmer les conditions d'origine de la confection des MORTS-VIVANTS que le travail de l'éditeur. Le sous-titrage est brûlé sur l'image et il n'y a pas de doublage français.
En guise de bonus, on trouve un épisode de "Couples et duos", une série de documentaires datant de 2002, déjà vue sur les chaînes câblés du bouquet TPS. Celui-ci, dédié à Karloff et à Lugosi, peut être vu en version anglaise (non sous-titrée), ou en version française. Ce document commence fort curieusement par nous restituer les évènements historiques ayant marqué les années 1940, avant de nous parler du tandem Lugosi-Karloff, emblématique des années 1930. Passons... Outre l'usage discutable des images d'archives (des extraits de films où n'apparait pas Boris Karloff dont LE SPECTRE DE FRANKENSTEIN illustrent la sortie de FRANKENSTEIN par exemple) et une approche de la chronologie très décontractée, ce reportage surprend en accumulant quelques inexactitudes flagrantes et surtout en reprenant, dans son commentaire, des paragraphes entiers, au mot près, d'un fameux article consacré à Lugosi par Jean Boullet dans le mythique numéro 24-25 de la revue surréaliste "Bizarre", publié en 1962 et dédié au cinéma d'épouvante !
Évidemment, la source en question n'est jamais citée, ce qui constitue tout de même un bel exemple de plagiat ! Plus grave, ce texte, plein d'enthousiasme et de passion, contenait néanmoins de nombreuses erreurs factuelles et inventions, brodées autour de la "légende noire" de Bela Lugosi, l'acteur maudit. Si Boullet avait alors l'excuse de défricher un domaine à propos duquel, à l'époque, la documentation était rarissime, pour ne pas dire inexistante, reprendre tel quel cet article en 2002 relève de la plus extrême paresse. Si la partie sur Karloff est plus convenable (sans être pour autant dénuée d'inexactitudes), il est tout de même permis d'émettre de grosses réserves sur ce documentaire au contenu beaucoup trop imprécis.
Comparé au zone 1, lequel fournit une restauration récente, un nouveau transfert numérique, un commentaire audio par un spécialiste de Lugosi et d'autres suppléments de qualité, ce disque français des MORTS-VIVANTS a du mal à supporter la comparaison. Il permet néanmoins de découvrir ce film dans des conditions techniques acceptables et avec un sous-titrage français, option absente du DVD américain.