Header Critique : COEUR DE VERRE (HERZ AUS GLAS)

Critique du film et du DVD Zone 2
COEUR DE VERRE 1976

HERZ AUS GLAS 

Après son film insolite LES NAINS AUSSI ONT COMMENCE PETITS, sorti en 1970, le réalisateur Werner Herzog achève FATA MORGANA, un documentaire, dédié aux mirages, commencé en 1968. Puis, il consacre deux reportages aux problèmes du handicap : AVENIR HANDICAPE et LE PAYS DU SILENCE ET DES TÉNÈBRES, ce dernier évoquant le cas de personnes sourdes et aveugles. Vient ensuite l'aventure du tournage péruvien d'AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU, sa première oeuvre interprétée par Klaus Kinski : ce titre de 1972 est un triomphe critique et permet aux deux hommes d'acquérir une reconnaissance internationale.

Cela n'empêche pas Herzog de continuer à s'impliquer dans des projets plus marginaux, comme le documentaire LA GRANDE EXTASE DU SCULPTEUR SUR BOIS STEINER, à propos d'un champion de saut à ski. Puis, en 1974, vient L'ÉNIGME DE KASPAR HAUSER, qui le consacre définitivement comme un auteur majeur du nouveau cinéma allemand, aux côtés de Volker Schlondorff ou de Rainer Werner Fassbinder. Par la suite, Herzog tourne un court-métrage interprété par des enfants (PERSONNE NE VEUT JOUER AVEC MOI) et un documentaire, filmé aux USA, sur un championnat d'acheteurs aux enchères de bétail ! (HOW MUCH WOOD WOULD A WOODCHUCK CHUCK). Enfin, arrive, en 1976, son nouveau long-métrage de fiction : COEUR DE VERRE.

Après L'ÉNIGME DE KASPAR HAUSER, qu'il considère comme la conclusion d'un cycle entamé par son premier long métrage SIGNES DE VIE, il se dit totalement libre de faire ce qu'il souhaite et de partir vers de nouvelles formes d'expérimentations. Pour l'écriture de ce film, Herzog, habituellement seul rédacteur de ses scripts, se fait aider par le bavarois Herbert Achtenburg, auteur du roman dont s'inspire ce scénario. Plongeant profondément ses sources dans la culture de la Bavière, COEUR DE VERRE y est en partie tourné, notamment dans la région dite de la Basse-Bavière (à l'est de cet état allemand). Mais certains passages visionnaires sont enregistrés en Suisse, ou sur des sites spectaculaires de l'Irlande et des parcs naturels nord-américains. L'élément le plus insolite de cette production se situe sans doute dans la technique de direction d'acteurs : les comédiens, recrutés pour la plupart par petites annonces, sont placés dans un état d'hypnose par Herzog lui-même, puis jouent leurs rôles, en transe ! Herzog avoue que cette idée lui a été inspirée par le célèbre documentaire ethnographique de Jean Rouch, LES MAÎTRES FOUS, dans lequel des ghanéens, dans un état second, se livrent à un rituel extrêmement impressionnant.

Au XVIIIème siècle, en Basse-Bavière, le patron d'une verrerie est accablé par la mort d'un de ses collaborateurs, décédé sans avoir transmis le secret de verre-rubis. Cet entrepreneur tente, par tous les moyens, de mettre au point une formule lui permettant d'obtenir à nouveau cette précieuse variété de verre. En vain. Le village sombre alors dans le désespoir et le chaos, et Hias, un vacher doué du pouvoir de lire l'avenir, déclame des prédictions apocalyptiques.

Plutôt qu'un fil narratif bien précis, COEUR DE VERRE décrit, en une suite de tableaux, la chute d'un village dans la folie et la déchéance. Cette chute, annoncée par Hias l'extralucide, le directeur de la fabrique de verre, qui fait vivre le village, l'attribue à la disparition d'un secret, le secret de fabrication du superbe verre-rubis. Il va se mettre en quête de ce secret, jusqu'à sombrer dans l'obsession. Et ce ne sera pas la perte du secret qui va accélérer la chute du village, mais bien plus cette obsession elle-même, cette quête poussée jusqu'à l'absurde et à l'autodestruction. L'échec inéluctable du verrier fait peser sur la communauté une ambiance délibérément apocalyptique, que Herzog a souhaité retranscrire à travers le jeu hébété et les attitudes imprévisibles de ses comédiens, littéralement en transe.

Au-dessus de ce chaos, le vacher Hias est un solitaire, vivant dans les montagnes. Doué du don de double-vue, il a des visions de paysages sublimes et énigmatiques. Inspiré par un véritable personnage des traditions bavaroises, le vacher Muhlhias, il est interprété par Josef Bierbichler, le seul acteur du métrage à ne pas avoir été hypnotisé. En effet, selon Herzog, ce personnage, vivant en marge du village et doué du pouvoir de "voir vraiment", c'est-à-dire par-delà la surface des apparences, est le seul à être réellement lucide, à ne pas être entraîné par le chaos ambiant.

COEUR DE VERRE s'inscrit dans un folklore typique de la Bavière, région dans laquelle Herzog passa son enfance : outre le personnage de Hias, on se réfère à la technique du verre soufflé telle qu'elle est employée dans cette région, en nous montrant des artisans spécialisés se livrer à ce travail de précision. Toujours dans le sens du folklore, mais entendu plus largement, Herzog a aussi recours à des morceaux de musique médiévale, interprétés par une formation spécialisée dans la conservation de ces traditions sonores.

Surtout, Herzog approfondit sa conception de l'expression cinématographique telle qu'il l'entend, c'est-à-dire comme une expérience sensorielle. Comme souvent, chez lui, le récit se résume à une trame extrêmement simple, bien que porteuse de thèmes significatifs. Seuls comptent la forme, le rythme et la combinaison d'images nouvelles et fortes. C'est en explorant cette forme, en proposant des visions inouïes, que Herzog communique. Du haut de sa posture de poète de l'image, d'autodidacte solitaire et sauvage, il méprise l'analyse, les recettes du découpage classique et le "savoir-faire". Pour lui, l'instinct de l'"artiste" doit, à travers son oeuvre, atteindre la profondeur de l'être, c'est-à-dire émouvoir le spectateur. Non pas par le récit ou l'anecdote, mais par un assemblage visuel et sonore aboutissant à un impact émotionnel difficile à expliquer, mais évident à percevoir. Dans ce sens, COEUR DE VERRE va très loin. Ainsi, Herzog élabore ici un prologue susceptible de plonger le spectateur dans un état relevant carrément de la transe hypnotique !

Malgré ces intentions de pousser la forme cinématographique jusqu'à certaines de ses extrémités, Herzog ne réussit qu'à moitié son pari. L'anecdote soutenant le métrage est d'une rare maigreur, et il est difficile d'en bien saisir l'intérêt. Si le film contient d'indéniables morceaux de splendeur (les visions de Hias) ou des passages d'une grande intensité (la fête à l'auberge), il s'avère aussi, par moments, redoutablement ennuyeux (les expériences du verrier). Les comédiens hypnotisés se comportent parfois de manière saisissante, mais ils ont aussi souvent tendance à ânonner leurs dialogues avec une lenteur irritante, qui ferait passer les "modèles" de Robert Bresson pour des histrions en pleine crise de cabotinage.

Mêlant le sublime et l'ennuyeux, une prétention rébarbative et un talent indéniable, COEUR DE VERRE n'est certes pas le titre le plus abordable de Werner Herzog. Il n'en contient pas moins, malgré son caractère inégal, des pépites de beauté inoubliables.

COEUR DE VERRE est déjà disponible aux USA (NTSC, zone 1) et en Grande-Bretagne (PAL, zone 2), en allemand sous-titré en anglais. Le voici qui arrive en France au sein d'une "Collection Werner Herzog" publiée par Opening. Celle-ci consiste en deux coffrets, l'un orange, l'autre noir, incluant chacun quatre films (un DVD chacun) et un DVD de bonus. COEUR DE VERRE est inclus dans le boîtier "noir", et c'est donc à celui-ci que nous allons nous intéresser ici. le boîtier "orange" sera décrit dans le cadre du test du DVD de LES NAINS AUSSI ONT COMMENCE PETITS : en effet, seuls COEUR DE VERRE et LES NAINS AUSSI ONT COMMENCE PETITS ont de véritables liens avec le cinéma fantastique.

COEUR DE VERRE est proposé avec son cadrage 1.66 d'origine (en 4/3 seulement). Il s'agit d'une copie assez propre, même si l'on repère quelques saletés discrètes. Il n'en reste pas moins que la compression et le télécinéma sont globalement excellents et rendent avec beaucoup de naturel les contrastes, les couleurs et la luminosité du film, ainsi que les différentes qualité de granulation de la pellicule.

La bande-son est proposée en mono d'origine, ou bien en version originale, ou bien en version française. Les deux sont techniquement satisfaisantes au vu du film en question, même si le doublage français sonne légèrement plus "sale". Le sous-titrage français est amovible.

En guise de supplément, le DVD de COEUR DE VERRE propose une bande-annonce en allemand non sous-titré et, surtout, un intéressant commentaire audio en anglais par Werner Herzog. Il s'agit de celui réalisé pour Anchor Bay, mais il est fourni ici avec un sous-titrage français.


Woyzeck

Venons-en à la description du reste du coffret. On y trouve AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU (1.33, 4/3 ; avec commentaire audio) ; SIGNES DE VIE (1.33, 4/3) et WOYZECK (1.77, 16/9). Ils sont tous en mono d'origine et fournis dans de très beaux télécinémas (particulièrement AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU qui bénéficie d'une qualité d'image littéralement éblouissante).


Signes de Vie

Le DVD de bonus, double-couche, propose son lot de suppléments rares et intéressants. On commence par le court-métrage, un peu anecdotique, DERNIERS MOTS, réalisé par Herzog en Grèce, à l'époque où il y filmait SIGNES DE VIE. Puis, on peut consulter un long documentaire allemand nommé JE SUIS CE QUE SONT MES FILMS (plus de 90 minutes), datant de 1978. S'y mêlent des images de tournage de LA BALLADE DE BRUNO, de longs entretiens avec Herzog ainsi que des extraits de ses films. On y voit aussi l'intervieweur se débattre avec la personnalité complexe de Herzog, à la fois insatisfait par des questions qu'il juge superficielles et refusant de se livrer à une analyse en profondeur de sa personnalité et de son travail ! Le clou du spectacle reste tout de même l'écoute d'une bande sonore enregistrée pendant le tournage d'AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU, au cours de laquelle Kinski engueule copieusement Herzog.


Aguirre, La Colère de Dieu

Une interview récente et exclusive de Pierre-Henri Deleau, ami de Werner Herzog, revient sur l'accueil français des premiers films du réalisateur allemand (9 minutes). On accède aussi à un entretien récent (et en anglais sous-titré en français) avec Werner Herzog qui revient, une heure durant, sur les quatre films inclus dans ce coffret. Si l'on n'évite pas certaines redondances avec les autres nombreux bonus disponibles ici, l'ensemble s'avère tout à fait intéressant.

Incluant des suppléments exclusifs ou rares (à l'exception des commentaires audios, qu'on est tout de même bien content de pouvoir consulter ici), ce coffret propose, en plus, SIGNES DE VIE, long-métrage semble-t-il totalement inédit en DVD. Il s'agit en tout cas d'une superbe réussite, incontournable pour les amateurs de Herzog. Enfin, signalons que le disque d'AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU peut être acheté séparément du coffret.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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L'édition vidéo
HERZ AUS GLAS DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
5 DVD
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h30
Image
1.66 (4/3)
Audio
German Dolby Digital Mono
Francais Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
      • COEUR DE VERRE
      • Commentaire audio de Werner Herzog
      • AGUIRRE, LA COLERE DE DIEU
      • Commentaire audio de Werner Herzog et Norman Hill
    • SIGNES DE VIE
    • WOYZECK
    • Interview de Werner Herzog : Partie 1 (52mn24)
    • Interview de Pierre-Henri Deleau (9mn06)
    • Je suis ce que sont mes films (Documentaire - 91mn36)
    • Derniers mots (Court-métrage - 12mn40)
      • Bandes-annonces
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      • Signes de Vie
      • Woyzeck
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