Zed (Eric Stoltz) est un perceur de coffre professionnel venu à Paris pour le compte de son vieil ami Eric (Jean-Hugues Anglade). Sur les conseils d'un chauffeur de taxi, Zed fait appel à Zoé (Julie Delpy), une prostituée réputée hors du commun avec qui le courant passe très bien. La soirée est à peine entamée qu'Eric débarque alors, chassant Zoé et entraînant Zed dans une virée nocturne destinée à fêter le casse monumental qu'ils vont opérer dès le lendemain avec un gang hétéroclite. Les vapeurs d'alcool et de drogues à peine évaporées, le groupe entame un hold-up qui dérape quasiment aussitôt suite à l'attitude ultra violente et suicidaire d'Eric. Travaillant de jour dans cette même banque, Zoé est prise en otage avec le reste du personnel.
Datant de 1993, KILLING ZOE est le premier film écrit et réalisé par Roger Avary, un homme jusque-là connu pour être un proche de Quentin Tarantino. Les comparses se sont rencontrés en travaillant dans le fameux vidéo club du sud de la Californie, passant des soirées entières à visionner l'intégralité des étagères pour plus tard s'entraider sur leurs projets. Lorsque Tarantino prépare RESERVOIR DOGS, Avary soulage son ami en rédigeant des dialogues de fond. De son côté, Tarantino réécrit et peaufine un script d'Avary, THE OPEN ROAD, pour le transformer en TRUE ROMANCE (Avary n'en sera pas crédité). Enfin, les deux hommes s'associent à l'écriture de PULP FICTION, Avary signant le sketch central avec Bruce Willis (à noter que beaucoup d'idées issues de THE OPEN ROAD seront réemployées dans le reste du métrage, comme les balles mystiques qui n'atteignent pas leurs cibles). Parmi les nombreuses récompenses récoltées, Tarantino et Avary recevront chacun un Oscar pour le scénario de PULP FICTION.
A l'origine de KILLING ZOE, il y a un coup de téléphone de Lawrence Bender, le producteur exécutif de Tarantino sur RESERVOIR DOGS. Bender a en effet dégotté pour une bouchée de pain un décor de banque et cherche un script prêt à être co-produit rapidement. Avary y voit l'occasion de poser un scénario et de passer à la réalisation comme Tarantino. Seul problème, il n'a pas de script avec une banque sous le coude. Répondant pourtant à l'affirmative à l'annonce de Bender, Avary rédige en un temps record (deux semaines) le scénario de KILLING ZOE. Après quelques déboires financiers, le film boucle son budget grâce à l'intervention de Samuel Hadida, en pleine aura Tarantinesque tandis qu'il distribue RESERVOIR DOGS.
Sorti à quelques mois d'intervalles de PULP FICTION, on a souvent rapproché KILLING ZOE du cinéma de Tarantino. A tort. Il est évident que le fait qu'Avary soit proche humainement et professionnellement du nouveau prodige ait été décisif quant à l'existence du film. Labellisé Tarantino jusque dans son générique (ce dernier prête son nom en tant que producteur exécutif bien que son travail ait été très limité), KILLING ZOE est radicalement différent. Pourtant issu lui aussi de la génération vidéoclub, Avary n'essaie pas de remaker ou de re-digérer ses nombreuses influences (similaires bien souvent à celles de Tarantino).Courageusement, Avary se met au niveau de ses modèles et tente avec KILLING ZOE de proposer un polar branque, cru, violent, et surtout lisible sans le recours systématique à la référence cinéphile.
Avec KILLING ZOE, nous sommes dans un cinéma du réel, certes très dérangé, mais surtout pas dans un univers typé par son propre médium. Pas de clins d'œil disproportionnés, pas de dialogues à n'en plus finir sur les hamburgers, et surtout pas de vieux tubes en guise de bande originale. Ecrit de manière très instinctive car dans l'urgence, totalement déséquilibré dans sa linéarité (le casse n'intervient qu'à la moitié du film), KILLING ZOE est un film fiévreux. Dans sa première partie, le métrage va jusqu'à épouser la forte consommation de drogues et de boissons des personnages en utilisant des lentilles déformantes sur des séquences entières. La longueur de ces séquences a autant valeur de trip expérimental que d'exposition pour le personnage haut en couleur d'Eric joué par Jean-Hugues Anglade.
La grande réussite du film tient donc beaucoup au talent des comédiens qui ont la lourde tache de rendre cette histoire crédible et efficace. Zed, le personnage principal, est bien entendu le regard neutre par lequel le spectateur interprète le film. Professionnel aux méthodes posées, il va se confronter à une explosion de violence qui va totalement le dépasser. Perceur de coffre, ce dernier n'intervient pas directement dans l'attaque armée, le dédouanant dans l'esprit du spectateur de la furie d'Eric et de ses hommes.
Face à lui, Jean-Hugues Anglade livre une performance admirable. Métamorphosé de ses rôles de séducteurs grâce à ses longs cheveux noirs, l'acteur compose un personnage authentiquement terrifiant et imprévisible. Passant immédiatement du rire au mutisme, ou encore des larmes à la violence la plus gratuite, Eric est un bad guy hors norme et impossible à cerner. Ayant totalement perdu foi en la vie car atteint du sida suite à sa toxicomanie, Eric organise finalement avec ce casse un suicide haut en couleur avec le réconfort ponctuel d'avoir roulé sur l'or durant quelques instants. Plus anecdotique car plus symbolique, le personnage de Julie Delpy est un contrepoint au personnage meurtrier d'Anglade. Zoé signifiant vie en latin, elle est la fille à abattre pour Eric tout comme elle est l'espoir d'une nouvelle existence pour Zed.
Pour filmer son histoire, Avary économise son style et utilise des cadrages souvent frontaux (à «l'Européenne») sans s'interdire l'utilisation de plans plus abstraits selon l'état de délabrement moral de certains de ses personnages. La violence n'est à aucun moment sublimée, mais présentée de manière froide et brutale. Avary ellipse d'ailleurs bien souvent les impacts de balles sanglants pour se concentrer sur le visage du tireur, multipliant de ce fait le réalisme des coups tirés en s'interdisant la surenchère liée au gore (seul l'ancien hardeur Ron Jeremy fait figure d'exception en voyant son torse exploser sous l'effet d'une salve). Mais plus que le sang versé, Avary préfère s'enfoncer dans les murs rouges de sa banque (en hommage à SHINNING) afin de s'accorder avec la folie qui va contaminer l'histoire.
A mille lieues du polar cool que l'on pourrait imaginer, KILLING ZOE est une excellente surprise pour qui cherche un film de genre à l'opposé du cinéma référentiel de Tarantino. Un métrage fou furieux qui tire tout autant son intérêt de son casse que l'on sait foireux d'avance qu'à sa peinture atypique des personnages. Avary avoue d'ailleurs avoir voulu réaliser avec KILLING ZOE un film sur la génération «gueule de bois», c'est-à-dire la génération succédant aux années insouciantes des 80's. Voilà pourquoi, au détriment de tout bon sens, le gang du film va se défoncer à quelques heures d'un grand casse. En étant persuadés que rien ne peut leur arriver, les personnages vont méchamment se fracasser contre un mur. Un message dur et pertinent qui n'a encore rien perdu de son impact aujourd'hui.
Sortant dans une collection de DVDs réservés à l'icône Tarantino, KILLING ZOE a les honneurs d'une édition somptueuse composée de trois disques. Le premier propose le film dans la version que nous connaissions jusqu'alors, image au format de très bonne tenue et pistes son en Dolby Digital ou DTS au choix (très centrées vers l'avant, les pistes sont pareillement efficaces). Tourné à la fois dans la langue de Shakespeare et de Molière, il est à noter que l'adaptation française est excellente et tout à fait recommandable.
Le second disque provoque la surprise puisqu'il est consacré à un Director's Cut inédit. Plus long de deux minutes et quelques secondes, ce nouveau montage n'apporte que très peu de différences quant à la version existante. Pas de scènes supplémentaires mais de courts rajouts par-ci par-là, essentiellement des plans renforçant la violence du film en rallongeant certaines exécutions. Très sincèrement, il n'y a pas de honte à préférer la version initiale tant celle-ci, en canalisant cette même violence, arrivait à la rendre plus crédible de l'aveu même de Roger Avary. Les qualités techniques sont similaires à celles du premier disque, si l'on excepte l'absence de doublage français pour ce nouveau montage.
Les véritables bonus commencent sur le disque du Director's Cut avec un commentaire audio exclusif de Avary (et intégralement sous-titré en français). Enregistré sur une période de quatre heures sous les relances d'un journaliste, puis raccourci à la durée du film, on comprendra aussitôt que la parole ne faiblit pas une seconde et que les informations fusent. Le cinéaste lâche tout, du véritable Eric qui joue les acteurs sur une séquence (le film étant basé sur les propres expériences d'Avary), au recrutement épique du comédien Kario Salem en passant par son statut de metteur en scène providentiel pour le fan club de Julie Delpy. Les crédits finaux sont même l'occasion de partager le traitement d'une séquelle. Plus anecdotique, une option permet de suivre le film avec le storyboard original incrusté à l'image. Vu le côté rudimentaire du storyboard, cette alternative est à réserver aux fans purs et durs.
Un troisième disque enfin est intégralement dédié aux suppléments. Prochain morceau de choix, un documentaire inédit de près d'une heure sur la genèse et le tournage du film. La parole est longuement donnée à Avary, mais aussi à Jean-Hugues Anglade, Julie Delpy, Samuel Hadida et surtout au directeur de la photo Tom Richmond qui prend en charge le récit du tournage. Bénéficiant de nombreuses images d'archives, le document s'attarde même sur le trublion Tarantino parcourant le plateau dans un mélange d'hystérie et d'hilarité. Inutile de dire que les minutes passent très vite devant cet excellent documentaire, qui se donne véritablement les moyens d'être passionnant.
La suite de la section est obligatoirement un peu plus classique : interviews de quelques minutes avec les principaux intervenants, featurette d'époque, quelques scènes coupées (très courtes et anecdotiques), bandes-annonces. La qualité des précédents bonus est telle que l'on n'apprend du coup plus grand chose avec ces ajouts pourtant très distrayants. Force est de reconnaître que l'éditeur frappe donc très fort avec cette édition peaufinée dans ses moindres détails (même les menus sont absolument superbes), justifiant l'attente provoquée par le titre.
KILLING ZOE profite de l'édition de films labellisés Tarantino pour enfin sortir chez nous, preuve que le film d'Avary n'est pas encore près de s'extirper de l'ombre du réalisateur de RESERVOIR DOGS. Heureusement, l'éditeur lui réserve un sort prestigieux, preuve de l'indépendance d'inspiration de ce film hors norme. Roger Avary a depuis délaissé le polar trash pour se consacrer à l'adaptation de l'œuvre de Bret Easton Ellis (LES LOIS DE L'ATTRACTION, bientôt GLAMORAMA), ce qui n'a finalement rien d'étonnant au vu du message de ce premier film.