Dans une Chine ancienne en proie à de nombreuses guerres de clans, le château d'un puissant seigneur est pris d'assaut par une horde de papillons tueurs. Un message de détresse est alors envoyé, faisant converger différents guerriers dans l'enceinte du château. Ces derniers vont découvrir que l'invasion des insectes n'a rien de spontané et qu'une terrible machination s'organise dans leur dos.
A la fin des années 70, le cinéma de Hong Kong est au terme de son inspiration, recyclant les recettes éprouvées (comédies produites à la chaîne, les films de kung-fu avec de pathétiques sosies de Bruce Lee) sans arriver à se moderniser. Une incapacité à se renouveler qui traduit le malaise d'une société à cheval entre deux cultures qui ne cohabitent pas harmonieusement. Formée à l'école de la télévision, une bande de jeunes metteurs en scène va pourtant réussir à unir racines chinoises et influences occidentales au sein d'un cinéma libre, novateur et à l'unisson de la société Hong-Kongaise. Quelques noms : Ann Hui (BOAT PEOPLE), Patrick Tam (THE SWORD), Alex Cheung (TWINKLE TWINKLE LITTLE STAR), Kirk Wong (CRIME STORY) et bien sûr Tsui Hark. Bien qu'il n'y ait pas de réelles thématiques ou de révolutions esthétiques communes, on parlera malgré tout de «nouvelle vague».
BUTTERFLY MURDERS est non seulement le premier long-métrage de Tsui Hark, mais aussi le chef de file de la nouvelle vague puisqu'il est considéré comme étant le premier film issu du mouvement. Né au Vietnam mais de famille chinoise, Hark passe un long séjour en Occident, aux Etats-Unis, où il étudie le cinéma. Le thème récurrent de ses travaux se focalise alors sur ses racines puisqu'il réalise de courts documentaires autour de l'immigration chinoise aux USA. Au terme de ses années d'étudiant, Tsui Hark décide de rejoindre définitivement Hong Kong. La télévision étant en pleine effervescence, Hark l'intègre rapidement et se fait la main sur les séries alors en vogue.
L'une des séries sur lesquelles Tsui Hark travaille, GOLDEN DAGGER ROMANCE, est un immense succès qui attire l'œil des producteurs de cinéma. Parmi ces derniers, Ng See Yuen propose au jeune talent de mettre en scène son premier film pour le compte de sa prometteuse société de production, Seasonal Films Co. D'abord réticent car ne se sentant pas assez prêt, Hark réalise BUTTERFLY MURDERS, une œuvre qu'il désire très ancrée dans la culture cinématographique chinoise (l'ambition est de renouveler le film en costumes et d'arts martiaux) tout en étant totalement imprégné par les innovations occidentales. Une bi-culturalité qui est autant celle de Tsui Hark que de Hong Kong.
BUTTERFLY MURDERS est ainsi un véritable melting-pot. Les papillons tueurs du titre font bien évidemment référence aux OISEAUX d'Hitchcock, bien que ces derniers aient un rôle finalement bien secondaire. L'histoire emprunte autant au film de siège (du style d'ASSAUT de John Carpenter) qu'aux récits d'énigmes policières anglo-saxonnes (façon Agatha Christie), tandis que les prouesses guerrières des personnages sont fortement marquées par les supers héros des comics américains.
Ces interconnexions entre influences, extrêmement novatrices pour l'époque, sont toujours aussi étonnantes pour le spectateur d'aujourd'hui. Nous sommes dès le départ ballotés d'un genre à un autre avant de comprendre au bout du premier tiers que nous avons finalement affaire à un «whodunit» politique et martial. Soucieux de conférer une stature purement cinématographique à ses personnages, Tsui Hark gomme tout aspect psychologique pour les dépeindre autour de leurs compétences spéciales. L'héroïne fend les airs en utilisant des complexes dynamiques de câbles, tandis que d'autres sont passés maîtres dans l'art de maîtriser la poudre. Quant à l'homme derrière le mystère du film, il bénéficie d'une armure le rendant aussi anonyme qu'invulnérable
Très riche, BUTTERFLY MURDERS l'est peut-être trop. Le film n'évite pas par moments le côté boulimique lié à la saturation d'éléments. En résulte une narration certes courageuse mais aussi très alambiquée. Il serait cependant dommage de s'arrêter à ce défaut puisque la vision du film prend aujourd'hui tout son intérêt dans la mesure où il fait office de manifeste. Le mélange des genres sera une constante dans l'œuvre de Tsui Hark (PEKING OPERA BLUES, GREEN SNAKE), la volonté de démystifier le cinéma local (en mettant littéralement en scène les fameux câbles servant à faire voler les acteurs) trouvera son écho définitif avec le chef-d'œuvre THE BLADE, et la vraie révolution du film d'arts-martiaux aura bien lieu avec la série des IL ETAIT UNE FOIS EN CHINE.
Il n'est pourtant pas obligé de raccrocher les wagons d'une carrière entière pour apprécier la fantaisie de BUTTERFLY MURDERS. Cinéaste débutant mais possédant néanmoins une solide expérience de télévision, Tsui Hark livre un film bien au-delà des standards de l'époque, au niveau visuel mais aussi au niveau du découpage. Bien qu'apparaissant assez tard dans le film, les scènes d'action sont d'une inventivité folle, comme en témoigne une incroyable poursuite sur les toits entre l'amazone câblée et le guerrier anonyme. Quasi expérimental pour l'époque, BUTTERFLY MURDERS sera malheureusement un échec cuisant au box-office malgré l'appréciation unanime de la critique internationale.
BUTTERFLY MURDERS est le premier disque d'un coffret regroupant les trois premiers films de Tsui Hark incluant HISTOIRES DE CANNIBALES et L'ENFER DES ARMES. En référence à la controverse provoquée par ces œuvres à leur époque, le triptyque est aussi désigné sous le terme de «Trilogie du chaos». L'idée de coffret permet aussi à l'éditeur, réputé pour ses éditions impeccables, de nous offrir à prix groupé un BUTTERFLY MURDERS altéré par le temps. A même le négatif original, les nombreux défauts de pellicule sont aujourd'hui irréversibles. Taches et griffures se succèdent sans pour autant gêner véritablement la vision du film qui se voit renforcé dans son statut de document. La définition et la compression sont en revanche parfaites. La piste sonore est en mono original, là aussi parfois altéré par l'usure. A noter qu'il n'existe pas de version française.
Tandis que les coffrets sont souvent plus légers en suppléments, l'éditeur déroge ici à la règle compte tenu de l'événement. Sur le disque de BUTTERFLY MURDERS, nous trouvons ainsi un entretien d'une vingtaine de minutes centré sur cette première expérience de mise en scène. Réalisé selon le style de la maison (avec beaucoup de splits d'écrans), ce document se montre riche et passionnant (grâce également à l'utilisation d'intertitres nous renseignant constamment sur le contexte des propos tenus par Hark). La suite de la section est déjà plus commune : présentation (très éclairée) du film, filmographie du producteur Ng See Yuen et de Tsui Hark, bandes-annonces de BUTTERFLY MURDERS et d'autres titres de l'éditeur ainsi que des liens Internet.
Cinéaste extraordinaire à qui l'on doit le monumental ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE, la saga des IL ETAIT UNE FOIS EN CHINE, l'apocalyptique THE BLADE ou encore le magique THE LOVERS, producteur infatigable qui révéla John Woo avec LE SYNDICAT DU CRIME et qui conçut la célèbre série des HISTOIRES DE FANTOMES CHINOIS, Tsui Hark est l'un des personnages incontournables du cinéma de Hong Kong. Si BUTTERFLY MURDERS comporte de nombreux défauts de jeunesse, il n'en demeure pas moins un spectacle passionnant pour qui désire assister à la naissance d'un authentique génie.
