Header Critique : TARGETS (LA CIBLE)

Critique du film et du DVD Zone 1
TARGETS 1968

LA CIBLE 

Figure mythique et vieillissante du cinéma fantastique, l'acteur Byron Orlok annonce à ses proches sa décision de se retirer du métier. Il accepte néanmoins de faire une dernière apparition dans un Drive-in où sera projeté son dernier film. Pendant ce temps, Bobby Thompson, jeune homme apparemment sans histoire, voue une fascination de plus en plus inquiétante aux armes à feu.

TARGETS est le premier film de Peter Bogdanovich. Celui qui deviendra dans les années 70 le chouchou du public et de la critique avec LA DERNIERE SEANCE (avant de sombrer peu à peu dans l'oubli…) n'est pas particulièrement amateur de cinéma d'horreur ou fantastique, genre qu'il dit mépriser. Contre toute logique, c'est par ce biais qu'il aborde la mise en scène. Même si TARGETS n'est pas à proprement parler un film d'horreur, il rend clairement hommage au genre à travers le personnage de Boris Karloff.

Bogdanovich fait ses débuts comme journaliste de cinéma pour la revue Esquire avant de rencontrer Roger Corman. Grand dénicheur de talents, ce dernier lui propose de travailler comme assistant réalisateur sur sa dernière production, THE WILD ANGELS, un film de motards avec Peter Fonda. De son propre aveu, il y apprend tout ce qu'il faut savoir sur la réalisation d'un film. C'est alors que le projet TARGETS se profile, de la façon la plus iconoclaste qui soit.

Corman propose en effet à Bogdanovich de réaliser un long métrage avec les contraintes suivantes : Il doit tourner vingt minutes utiles avec Boris Karloff (qui doit à l'époque par contrat deux jours de tournage à Roger Corman). Ensuite il peut utiliser vingt autres minutes de rushes de THE TERROR, film de Corman tourné cinq ans plus tôt avec Boris Karloff. Reste à combler quarante autres minutes que Bogdanovich est libre de «remplir» à sa guise.

Excité par le challenge et l'envie de mettre en scène un long métrage, Peter Bogdanovich accepte. Pour filmer les quarante minutes manquantes il exhume un ancien projet : raconter la vie de Charles Whitman, tristement célèbre pour avoir abattu des innocents avec une carabine dans les années 60. Pas simple de mélanger Boris Karloff, des images d'un film d'horreur gothique et l'histoire d'un sniper fou !

Avec l'aide de sa compagne de l'époque Polly Platt et des conseils de son ami Samuel Fuller (qui réécrit quasiment intégralement le script) Bogdanovich parvient à obtenir un scénario cohérent. Karloff joue son propre rôle (en largement plus aigri), celui de Byron Orlok, star vieillissante du cinéma fantastique. Le jour de la présentation de son dernier film à ses producteurs (les images du film en question sont bien-sûr tirées de THE TERROR), il annonce à tous qu'il souhaite se retirer. Son réalisateur, interprété par Bogdanovich lui-même, tente de l'en dissuader, en vain. Orlok a conscience d'être une antiquité, et se définit d'ailleurs comme un anachronisme. L'horreur moderne n'a plus rien à voir avec les films gothiques se déroulant dans des châteaux hantés. La vraie terreur est là, parmi nous : c'est le personnage de Bobby Thompson, le héros de «l'autre» partie du film qui nous le rappelle.

Les deux parties du film se soudent plus ou moins bien et l'on a parfois la sensation d'assister à deux projections en parallèle. Le lien entre les deux est assuré lors de la sanglante rencontre finale entre Mythe (Orlok) et Réalité (Thompson) : Le jeune sniper fait en effet du Drive-in où l'on projette le film d'Orlok le théâtre de sa dernière tuerie. La partie «Karloff» est assez drôle et émouvante. La mise en scène fait la part belle au comédien en le mettant en avant dans presque toutes le scènes. Le fait de trouver Bogdanovich à ses côtés dans le rôle d'un réalisateur favorise l'aspect «mise en abîme» du film. Même si le style n'est en aucun cas documentaire, on a parfois l'impression d'assister à de vraies conversations entre l'acteur et le réalisateur. Les séquences les mettant tous les deux en scènes lorgnent plutôt vers la comédie et proposent une rupture de ton intéressante avec les séquences racontant la vie du sniper. A plus de 80 ans, Boris Karloff fait preuve d'autodérision comme dans la scène où il sursaute en se voyant dans une glace et se plait visiblement beaucoup à jouer cet autre lui-même. Il trouve d'ailleurs avec ce film l'un de ses meilleurs rôles depuis sa composition de directeur d'asile psychiatrique dans BEDLAM.

La partie «sniper» est angoissante à souhait, sans jamais chercher à justifier ou expliquer les agissements de Thompson. La caméra suit le personnage, sorte de gendre idéal (brushing et sourire Colgate compris) épouvantable de froideur. Bogdanovich fait montre d'un grand talent dans la création de l'ambiance et la description des meurtres du sniper. Le réalisateur joue avec nos nerfs à la manière d'un Alfred Hitchcock, le personnage du sniper rappelle d'ailleurs parfois par son mutisme le Norman Bates de PSYCHOSE. Nous savons pertinemment que Thompson va passer à l'acte mais nous ne savons jamais quand. Nous le voyons acheter des armes, dîner en famille, discuter avec sa petite amie… Le démon qui vit dans sa peau peut se réveiller à tout instant. Après quelques fausses alertes, il finit par passer à l'acte.

Bogdanovich aborde les scènes de violence sans sadisme ni complaisance. La première séquence de folie meurtrière est à ce titre tout à fait exemplaire : Thompson tue une partie de sa famille et sa petite amie dans une violence dure et sèche. A l'aide d'un jeu subtil d'ombres et de lumières ainsi que d'une invention visuelle permanente, la partie «sniper» constitue à elle seule un thriller très efficace.

Outre les qualités énoncées plus haut, la véritable originalité du film réside dans sa façon de raconter l'affrontement de deux mondes, deux visions du cinéma. L'ancien contre le nouveau. Le film est révélateur par sa thématique du bouleversement que subit la société (et donc le cinéma) durant les années 70. La guerre du Vietnam, l'assassinat du président John F. Kennedy, autant d'évènements qui poussent les jeunes réalisateurs d'alors à traiter des sujets plus contemporains sous l'influence du cinéma européen d'alors. Orlok représente le dinosaure hollywoodien, le cinéma «d'avant» tandis que Thompson incarne la nouvelle figure du cauchemar américain.

Premier exercice réussi, le film enthousiasme la Paramount, mais fait les frais malheureux de deux faits divers tragiques : les assassinats de Robert Kennedy et Martin Luther King entraînent à l'époque un débat houleux autour de la violence au cinéma. La Paramount sort le film en catimini, l'empêchant d'accéder à un vrai public. Malgré son échec commercial, TARGETS permet à Peter Bogdanovich d'enchaîner les projets, dont LA DERNIERE SEANCE qui fait de lui à l'époque un des réalisateurs les plus prisés du Nouvel Hollywood.

Un peu oublié aujourd'hui, le cinéaste obtient comme tant d'autres, une nouvelle vie grâce au DVD. L'édition Paramount de TARGETS, permet pour un prix modique de (re)découvrir le film dans des conditions fort agréables. A part quelques rayures et saletés éparses, l'image est colorée et de belle qualité, même durant les séquences de nuit. La bande son mono est claire et tire bien partie de la voix caverneuse du grand Boris Karloff. Pour compléter le DVD, Peter Bogdanovich présente le film dans un entretien avec Laurent Bouzereau (sous-titré en anglais) entrecoupé d'images du film et de photos de tournage. Une interview intéressante dans laquelle Bogdanovich replace TARGETS dans son contexte et partage le plaisir qu'il a eu à travailler auprès de Boris Karloff. On continue sur le même ton avec le commentaire audio du réalisateur (non sous-titré) riche en informations et en anecdotes. Contrairement à nombre de ses collègues, l'ancien journaliste de cinéma s'exprime très clairement et de manière concise, sans tomber dans la simple paraphrase de ce qui se passe à l'image. Bogdanovich explique entre autres quels furent les apports (de son propre aveu très nombreux) de Samuel Fuller au scénario, ainsi que ses conseils de mise en scène.

Paramount nous offre donc un film rare, mêlant thriller et hommage au cinéma horrifique. Un divertissement à plusieurs niveaux de lecture, témoin de son époque, qui donne à Boris Karloff son dernier grand rôle.

Rédacteur : Romain Gadiou
2 critiques Film & Vidéo
On aime
Boris Karloff
Quelques séquences très réussies
Un petit prix
Des bonus instructifs
On n'aime pas
Sous-titres uniquement en anglais (mais bon c’est déjà ça !)
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L'édition vidéo
TARGETS DVD Zone 1 (USA)
Editeur
Support
DVD (Simple couche)
Origine
USA (Zone 1)
Date de Sortie
Durée
1h30
Image
1.78 (16/9)
Audio
English Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Anglais
  • Supplements
    • Commentaire audio de Peter Bogdanovich
    • Présentation du film par Peter Bogdanovich (13mn42)
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