Cinq jeunes gens en vacances dans un vieux chalet perdu dans la campagne, lecture accidentelle d'incantations démoniaques, force maléfique possédant un à un les personnages autour d'une orgie gore cartoonesque… On connaît tous les grandes lignes du scénario d'EVIL DEAD. Comme nous avions déjà traité de la genèse chaotique du chef-d'œuvre branque de Sam Raimi à l'occasion de la critique du disque de l'éditeur Elite, nous allons ici plus nous attarder sur le contenu fou du film en lui-même.
Il est amusant de constater qu'EVIL DEAD n'est pas le fruit de passionnés du genre mais bel et bien de néophytes complets. Sam Raimi avoue volontiers qu'il ne s'était jamais intéressé au cinéma fantastique avant ce premier long-métrage (rappelons que c'est le complice / producteur Robert Tapert qui suggéra au jeune cinéaste de se lancer dans l'horreur pour des raisons de rentabilité). Loin de participer à un désavantage, cette "virginité" de regard va faire la force d'EVIL DEAD. En gros, Sam Raimi va prendre les ficelles les plus basiques du genre, puis les pousser à leur paroxysme tout en y apposant son univers personnel fait de comédie "slapstick" et de bande dessinée.
Pour taper plus fort que les autres, Sam Raimi propose dans son film une menace certes physique mais aussi spirituelle (puisqu'il est question de possession). Avec ce concept, EVIL DEAD fait figure de crossover ultime entre le slasher à frissons type HALLOWEEN, LA NUIT DES MORTS VIVANTS (les héros sont assiégés par leurs propres compagnons) et L'EXORCISTE. Le résultat est d'autant plus terrifiant que le cinéaste a parfaitement intégré les trucs visant à démultiplier les effets chocs de son film. La recette employée par Sam Raimi n'est pas révolutionnaire mais servie ici à la perfection : bien que nous indiquant immédiatement la finalité de la séquence (via des inserts nous montrant les intentions du monstre), les moments de tension sont néanmoins tirés à leur maximum de longueur (c'est la mécanique du suspens mise au point par Hitchcock)… Jusqu'à un dénouement appuyé par un bruitage tonitruant. L'appel du sursaut est de ce fait irrésistible chez un spectateur condamné à bondir de son fauteuil continuellement.
La première réussite d'EVIL DEAD est donc de nous faire viscéralement peur malgré les autres ingrédients quasi autodestructeurs du métrage. Fan des trois Stooges et de Chuck Jones, Sam Raimi ne peut résister à la tentation de caviarder son film de gags à la limite de l'incongru. Se centralisant principalement sur son rôle titre, Sam Raimi s'acharne à lui faire subir tous les outrages jusqu'à l'absurde. Dans le délirant final, les possédés se décomposent en explosant par strates successives au visage de notre pauvre héros, recouvert ainsi toujours un peu plus d'entrailles sanguinolentes comme certains comiques se feraient asperger de tartes à la crème. Si le rire côtoie le frisson avec une telle aisance, c'est aussi pour beaucoup grâce à son interprète Bruce Campbell, qui ménage le décalage de son personnage avec un dévouement proche du guerrier kamikaze. Le comédien est depuis devenu une icône du genre grâce à ce protagoniste de martyre gore, Ash étant devenu la référence de l'outrance gerbeuse à tendance comique (Peter Jackson s'en souviendra pour peindre le héros de son BRAINDEAD).
L'incroyable longévité du titre ne se limite pourtant pas à ses qualités de film de genre mais bel et bien à son incroyable audace visuelle. Avec ses quelques dollars en poche, Sam Raimi bat le fer de l'inédit en plaçant son œil de cinéaste au centre même de son métrage, quitte à ce que le film se plie par moments aux exigences de mise en scène du prodige fou furieux. Plus qu'un maniérisme pop, cette approche est totalement dévouée à rendre son spectateur totalement K.O. par l'abondance des points de vue. Car pour Sam Raimi, le fantastique n'implique pas uniquement un dérèglement de la réalité narrative, mais aussi filmique. Le moment le plus époustouflant d'EVIL DEAD intervient lorsque le métrage se recentre dans son dernier tiers sur le personnage de Bruce Campbell (recentrage justifié par la défection des autres comédiens). Afin de figurer un basculement total des repères communs, le film penche alors vers une abstraction sidérante où l'horreur comique va s'apposer à l'unisson d'une rupture des règles de bienséance cinématographique (comme le fait de raccorder un plan en totale plongée avec un plan en totale contre-plongée).
Cette explosion de la mise en scène est une date pour le cinéma (on ne compte plus maintenant les disciples du concept de Sam Raimi), mais aussi pour le spectateur qui découvre subitement qu'il n'avait jamais vu ça. La morale de l'histoire pourrait être la suivante : avec EVIL DEAD, ce n'est pas tant ce que l'on nous montre qui est intéressant mais de quel angle on nous le montre. En d'autres termes, l'inédit ne vient pas de l'action mais de sa représentation visuelle. Qu'on le veuille ou non, cette conception du cinéma est aujourd'hui devenue la norme de l'industrie. A titre d'exemple, on pourrait citer la série des MATRIX. L'intérêt ne vient pas ici des séquences d'action mais bel et bien des axes inédits mis au point par ses auteurs (comme l'emploi du Bullet time). A l'instar d'EVIL DEAD, les spectateurs de MATRIX traversent le film comme un gigantesque maelström sensitif initié par la place inédite que prendra l'œil (alias la caméra) lors des différentes péripéties.
Tout film d'horreur craspec qu'il est, EVIL DEAD est donc une date importante. Le vieillissement de certains aspects du film (comme les effets spéciaux, le final en pâte à modeler, l'évolution des mœurs) ne semble pas gêner plus que ça l'aura du film sur les nouvelles générations. Mis officiellement à terme après deux suites mémorables (un EVIL DEAD 2 poussant encore plus loin les limites de la représentation, et L'ARMEE DES TENEBRES poussant quant à lui les limites du délire narratif), la franchise se cultive désormais sur console de jeux vidéo. L'explosion du merchandising adulte met également EVIL DEAD à l'honneur grâce à des séries de figurines s'arrachant dans le monde entier. Une longévité qui a eu pour effet principal d'enfermer ses propres auteurs dans le concept qu'ils avaient eux-mêmes crée. Malgré des efforts méritants, Bruce Campbell sera toujours le Ash d'EVIL DEAD, aux yeux du public mais aussi des cinéastes. Quant à Sam Raimi, c'est au prix d'un virage stylistique à 180 degrés (et quelques films décevants) qu'il retrouvera la consécration avec SPIDER-MAN, dont le succès mondial devrait faire oublier pendant un temps qu'il filmait à 20 ans un viol végétal en reverse motion !
En présentant dans les bacs l'édition "Book of the Dead", Anchor Bay frappe très fort. Sans même parler du contenu, c'est le packaging qui fait office d'évènement. Le disque ne loge pas dans une "tin box" (une grosse boîte en fer blanc), mais carrément dans une réplique grandeur nature du livre des morts. Que l'on se rassure tout de même, l'éditeur n'a quand même pas poussé le vice à utiliser du sang et de la peau humaine pour mettre au point sa copie. La reliure est en latex et chaque page a été reproduite fidèlement par Tom Sullivan, l'auteur initial de la chose. A l'intérieur, nous pouvons trouver un livret illustré racontant le parcours du film sur les différents supports vidéo, ainsi que le disque sous une nouvelle sérigraphie.
La pastille "certifié THX" nous rassure d'emblée sur la qualité du travail fourni par l'éditeur. Effectivement, il est techniquement sans aucun reproche bien que responsable d'un choix quelque peu épineux. Car la raison (officielle) de cette nouvelle édition est de proposer pour la première fois un recadrage au format 1.85:1 (adapté aux télévisions 16/9) alors que le format original du film est au format 1.33:1 (et donc du ratio 4/3). Le tout a beau avoir été approuvé par Sam Raimi lui-même, les puristes se sentiront vite trahis par le manque d'informations image imposé par ce recadrage. Objectivement, il faut avouer que le travail de l'éditeur est malgré tout de très bonne tenue si l'on excepte une poignée de plans que l'on aurait aimé mieux équilibrés. Il faut noter également que la copie a été encore une fois totalement restaurée et que le résultat est nettement supérieur à l'édition d'Elite. Pour l'anecdote, le zoom artificiel présent dans cette dernière a ici disparu.
DVD Anchor Bay 1.85 | DVD Elite 1.33 |
Les pistes sonores ont ici aussi bénéficié d'une revue à la hausse, le plus marquant étant la présence d'une piste DTS-ES 6.1 ! Cette dernière ne possède finalement que peu de différences par rapport à son homologue en Dolby Digital EX 5.1, si ce n'est une amélioration de la spatialisation et de la puissance de l'ensemble. Les adversaires du remix multicanaux pourront aussi profiter du film en Dolby Digital 2.0, tandis que les non-anglophones auront la joie de découvrir deux pistes françaises (en 5.1 et en 2.0).
Question bonus, l'éditeur déçoit énormément en n'incluant pas le fameux court-métrage pré-EVIL DEAD, WITHIN THE WOODS. Pourtant ardemment promis par Anchor Bay, la découverte tant attendu des fans sera donc remise à plus tard. Malgré un habillage des menus totalement revu (et largement supérieur) à ceux de l'édition d'Elite, l'intégralité des suppléments est ici reprise avec quelques ajouts : des Spots TV inédits, des filmographies du trio de tête du film, ainsi que deux documentaires inédits.
Désireux de retracer l'histoire du film, le premier reportage donne la parole au premier distributeur du film (Palaces Pictures), ainsi qu'au spécialiste Bill Warren (auteur de l'ultime "The Evil Dead Companion"). Si l'ensemble se laisse voir sans déplaisir, il faut bien avouer que la frustration de ne pas voir intervenir l'un des auteurs du film se fait lourdement sentir. EVIL DEAD mériterait tant un long documentaire fourni d'entretiens avec les personnes l'ayant vécu de l'intérieur que l'on a du mal à se satisfaire de ces treize minutes un peu austères.
Heureusement, Bruce Campbell est toujours d'attaque pour remonter le niveau (voir son mémorable commentaire audio). En proposant son premier documentaire en tant que réalisateur, l'édition d'Anchor Bay tient enfin un véritable supplément pertinent et inédit. Nommé "Fanalysis", le reportage part à la rencontre des fans fous furieux (et de leur terrifiant problème d'identification) que Campbell croise à longueur de conventions. Au travers de toute une faune déconcertante, passant du Trekkies au fondu de manga, Campbell réussit là un portrait drôle et pathétique d'un mouvement qu'il participe à attiser malgré lui. Une demi-heure de pur bonheur, bien qu'un peu hors sujet avec EVIL DEAD.
Le disque recèle aussi deux suppléments cachés. Le premier montre une petite bande des essais effectués pour les effets spéciaux. Le second quant à lui permet de faire un tour aux Etats-unis à l'issue d'une projection de EVIL DEAD où l'on retrouve des interventions entre autre de Robert Tapert !
EVIL DEAD est l'un des premiers films ayant véritablement trouvé son public, et crée son culte, par le biais de la vidéo. Vingt ans plus tard, le film de Raimi continue de traverser les supports et les éditions comme une fleur. Anchor Bay frappe fort avec une édition techniquement impeccable et au packaging sublime, mais prend le parti d'un recadrage d'image qui ne respecte pas le ratio original de l'œuvre. L'absence qui plus est de WITHIN THE WOODS et d'un véritable documentaire sur le film nous fait largement penser que ce "Book of the Dead" n'est pas encore l'édition ultime du film. Mais est-ce qu'EVIL DEAD se laissera t'il seulement enfermer un jour dans une édition définitive ?