Quatre plaisanciers américains échouent leur catamaran
au large d'Imboca, un sinistre village de pêcheurs situé
sur la côte Atlantique de l'Espagne. Paul et Barbara s'y rendent
en canot pour chercher du secours : mais ils découvrent que les
habitants d'Imboca se comportent de façon étrange et vouent
un culte étrange à une entité appelée Dagon.
Stuart Gordon est évidemment célèbre pour avoir tourné trois excellentes adaptations des textes de l'écrivain américain Howard Philip Lovecraft (1890-1937), un des plus grand maîtres de la littérature horrifique du vingtième siècle : RE-ANIMATOR, FROM BEYOND et CASTLE FREAK. Car, oui, contrairement à ce que vous pouvez lire ces jours-ci dans les magazines français dédiés au cinéma fantastique, le magnifique et très sous-estimé CASTLE FREAK est bien sa troisième adaptation de Lovecraft (il s'agit de la nouvelle "JE SUIS D'AILLEURS" pour être précis) ! Gordon a envisagé de tourner une adaptation de la nouvelle "LE CAUCHEMAR D'INNSMOUTH" dès 1987 ; mais pour diverses raisons (la plus importante étant la brouille entre ses producteurs Brian Yuzna et Charles Band pour des raisons d'argent), le projet, assez onéreux, est mis au placard. Mais quand Yuzna annonce à la fin des années 1990 qu'il fonde avec des partenaires espagnols la compagnie de production Fantastic Factory, il annonce enfin que Gordon va tourner ce film sous le titre DAGON...
La création la plus célèbre de l'écrivain Howard Philip Lovecraft est le mythe de Cthulhu. A travers une grande part du corpus de nouvelles qu'il a rédigé, on retrouve en effet des références communes à de nombreuses divinités et créatures extra-terrestres (Cthulhu, Azathoth, Nyarlathotep, Dagon...). A travers la description de cette cosmogonie intergalactique, Lovecraft exprimait une méditation pessimiste sur la valeur de l'humanité : à l'échelle de l'univers, les quelques millions d'années que les civilisations humaines passeront sur la minuscule planète Terre ne sont qu'un microscopique grain de sable sans aucune valeur. Ainsi, Lovecraft a créé toute une mythologie cohérente et très élaborée qui allait lui survivre après sa mort, à travers les uvres d'autres écrivains (August Derleth, Robert Bloch, Robert E. Howard...), ainsi que dans des bande-dessinées, des jeux de rôles...
DAGON s'attaque donc au "CAUCHEMAR D'INNSMOUTH", l'une des nouvelles les plus célèbres de Lovecraft consacrées au mythe de Cthulhu. Selon ce texte, une race étrange d'êtres tout aussi étranges appelés les Profonds, pourvus d'une apparence hybride entre l'homme et le poisson, vivent sous les mers près de failles océaniques insondables. Ils adorent une créature nommée Dagon, qui semble être l'ancêtre primordial de ce peuple monstrueux. Ces créatures ont aussi des avant-postes sur la terre ferme, comme la ville d'Innsmouth en Nouvelle-Angleterre.
Toutefois, le film DAGON est plus qu'une simple adaptation du "CAUCHEMAR D'INNSMOUTH" : on retrouve bien certains passages célèbres de la nouvelle, mais ils sont arrangés et assemblés avec des éléments d'autres textes de Lovecraft consacrés aux Profonds ("DAGON" et "LE MONSTRE SUR LE SEUIL", notamment). Le scénario est donc, en fait, totalement original et réussit l'exploit de proposer un récit très fidèle à l'esprit et au contenu de l'oeuvre de Lovecraft, tout en évitant de répéter une histoire déjà bien connue des amateurs de cet écrivain. C'est à Dennis Paoli (déjà brillant scénariste des trois précédentes adaptations de Lovecraft par Gordon) qu'on doit cette très grande réussite.
Sinon, c'est évidemment
avec beaucoup de plaisir qu'on retrouve la réalisation nerveuse
de Stuart Gordon,
avec son goût pour un montage vif et une caméra mobile
qui nous fait suivre, pas à pas, la descente aux enfers de Paul
et de ses compagnons. Si on retrouve, au début du métrage,
l'humour grinçant de RE-ANIMATOR,
le film glisse progressivement vers un effroyable cauchemar éveillé,
qui se situe bien plus dans la lignée de FROM
BEYOND. L'excellente description de la ville maudite d'Imboca
repose en partie sur une lourde atmosphère gothique, style auquel
renvoie aussi le personnage de Uxia, dont la beauté lunaire et
les grands yeux noirs rappellent les beautés fantastiques qui
hantaient des films de Mario
Bava ou de la Hammer.
Notons au passage la présence, dans le rôle du vagabond Ezequiel, du grand acteur espagnol Francisco Rabal (VIRIDIANA de Luis Bunuel entre de nombreux autres titres importants de l'histoire du cinéma... ainsi que des films populaires comme L'AVION DES L'APOCALYPSE...), dont ce devait être le dernier tournage : il s'est éteint en 2001 à Bordeaux (la ville même où est mort le peintre Goya qu'il venait d'incarner il y a peu de temps dans un film de Carlos Saura...).
Mais... Et le gore dans tout ça ? On parle tout de même d'un film de Stuart Gordon, non ? Rassurez-vous, si DAGON mise beaucoup sur l'ambiance, on trouve tout de même quelques scènes particulièrement sanglantes et éprouvantes, même si elles sont moins abondantes que dans les véritables boucheries qu'étaient FROM BEYOND ou CASTLE FREAK. De même, on retrouve le goût de Gordon pour l'érotisme horrifique (rappelez-vous FROM BEYOND), qui culmine ici dans un accouplement contre-nature particulièrement traumatisant : à ce titre, la plastique de l'actrice Raquel Merono devrait vous consoler de l'absence de Barbara Crampton !
Le DVD brésilien de ce film se distingue par une image en 1.33 sans trop de problème. Les scènes les plus sombres fourmillent très légèrement, et on repère deux ou trois sauts de l'image un peu énervants. Mais la qualité générale reste très satisfaisante, surtout pour un film qui comprend autant de scènes nocturnes de brouillard et de pluie.
Le DVD propose une bande-son portugaise (5.1)... ainsi qu'une bande-son anglaise (ouf !) en 2.0 ou 5.1. Les sous-titrages disponibles (amovibles) sont en anglais, en espagnol et en portugais.
Enfin, on a accès à des bonus a priori nombreux. Outre une bande-annonce, on a le droit à de nombreuses pages de texte (sur Stuart Gordon, les acteurs, les effets spéciaux...) et des interviews (Gordon et Ezra Goden parlent en anglais, mais Rabal et Menoro s'expriment en espagnol sous-titré en portugais). Hélas, tout cela n'est tout de même pas très informatif... On a encore le droit à un "making of", en fait un montage brut de décoffrage d'images du tournage filmées au caméscope, sans aucun commentaire d'accompagnement.
DAGON est à nouveau une grande réussite du cinéma d'épouvante à mettre au crédit de Stuart Gordon. Les amateurs de cinéma d'épouvante se régaleront de son habituel savoir-faire, tandis que les connaisseurs de Lovecraft jubileront devant l'admirable cadeau que Gordon, Yuzna et Paoli leur ont concocté. Inutile de dire qu'on attend le prochain Lovecraft-Gordon avec impatience !