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Critique du film
FRANKENSTEIN 1994

 

Victor Frankenstein, jeune étudiant en médecine, est obsédé par l'idée de vaincre la mort. Lorsque son professeur d'anatomie décède, il veut créer un homme à partir de morceaux de cadavres et lui donner vie grâce à l'électricité...

À l'origine de ce FRANKENSTEIN sorti en 1994, nous trouvons le scénariste Steph Lady. Il soumet son script à James V. Hart, qui est justement scénariste de BRAM STOKER'S DRACULA, film alors en cours d'élaboration par le réalisateur Francis Ford Coppola. Le metteur en scène se montre intéressé et, après le succès de BRAM STOKER'S DRACULA, il produit ce FRANKENSTEIN pour la major Columbia. Le scénario est alors retravaillé par Frank Darabont, tandis que le projet échoit au metteur en scène Kenneth Branagh.

Cet acteur anglais émerge à la fin des années quatre-vingts en dirigeant une compagnie de théâtre qui rencontre un beau succès dans son pays, en particulier avec des pièces de Shakespeare. Alors que le cinéma anglais, comme beaucoup de cinématographies européennes, connaît une forte crise à cette période, Kenneth Branagh réalise HENRY V, adaptation de Shakespeare qui réalise un joli triomphe à l'international. Continuant sur sa lancée, il tourne notamment le thriller DEAD AGAIN aux USA, et rencontre encore un beau succès avec BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN, toujours d'après Shakespeare.

FRANKENSTEIN est néanmoins sa première grosse production hollywoodienne. Il choisit de tourner le film presque intégralement en studio en Angleterre. Seuls quelques rares extérieurs sont filmés en Suisse. Cela prolonge l'esthétique de studio très maîtrisée déjà adoptée pour BRAM STOKER'S DRACULA.

Kenneth Branagh s'attribue le rôle de Victor Frankenstein et s'entoure d'une troupe d'acteurs prestigieux, en majorité anglais. Elisabeth, la fiancée de Victor, est interprétée par Helena Bonham Carter, alors révélée par les métrages qu'elle tourne avec James Ivory : CHAMBRE AVEC VUE, MAURICE et RETOUR À HOWARD ENDS. Le père de Victor est incarné par Ian Holm, déjà bien connu pour ses rôles dans ALIEN, LES CHARIOTS DE FEU, GREYSTOKE, LA LÉGENDE DE TARZAN ou BRAZIL. Le Monty Python John Cleese joue à contre-emploi en incarnant le mentor de Victor.

Avant ce FRANKENSTEIN de 1994, il y a eu deux grands cycles d'adaptations du roman de Mary Shelley «Frankenstein ou le Prométhée moderne». Au début des années trente, le studio Universal consacre une série de films à ce mythe. James Whale signe à cette occasion son diptyque magistral et classique FRANKENSTEIN et LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN. Lesquels transposent, un peu dans le désordre, les aspects majeurs du roman.

Les aventures de Frankenstein font leur grand retour en Grande-Bretagne avec le succès surprise de FRANKENSTEIN S'EST ÉCHAPPÉ ! tourné par Terence Fisher en 1957 pour la petite firme Hammer. Ce titre marque une renaissance mondiale de l'horreur gothique qui va balayer les années soixante. La Hammer donnera six suites à ce film, dont quatre en particulier tournées par Terence Fisher : LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN, FRANKENSTEIN CRÉA LA FEMME, LE RETOUR DE FRANKENSTEIN et FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER. Le personnage de scientifique obsessionnel et glaçant qu'y incarne Peter Cushing éloigne ces métrages du conte philosophique et romantique de Mary Shelley, pour en faire des aventures plus tournées vers l'horreur graphique.

Que ce soit dans le FRANKENSTEIN de James Whale ou dans FRANKENSTEIN S'EST ÉCHAPPÉ !, le rôle de la Créature, impliquant un lourd maquillage, est attribué à des acteurs alors peu connus, appelés à devenir des Stars spécialisées dans l'épouvante : respectivement Boris Karloff et Christopher Lee.

L'idée de confier le rôle de la Créature à un acteur comme Robert De Niro, très célèbre, deux fois Oscarisés et peu identifié au fantastique, paraît alors inédite, voire périlleuse ! C'est pourtant bien à la vedette de TAXI DRIVER et RAGING BULL que Kenneth Branagh confie le rôle de la Créature de Frankenstein.


 
Il faut dire que le succès de BRAM STOKER'S DRACULA est passé par là. Le cinéma d'horreur gothique renaît de ses cendres pour sortir du carcan d'un cinéma spécialisé. Ce genre reçoit les mêmes honneurs que les métrages les plus respectés d'Hollywood, comme des gros budgets ou l'attention de réalisateurs prestigieux et non spécialisés dans le fantastique. Et il attire même de grandes vedettes comme Robert De Niro. Sont aussi passés par là les succès du SILENCE DES AGNEAUX ou de MISERY, qui valent des Oscars respectivement à Anthony Hopkins et Kathy Bates dans des rôles grand-guignolesques.

Le FRANKENSTEIN de Kenneth Branagh s'intéresse avant tout au roman «Frankenstein ou le Prométhée moderne» publié par Mary Shelley en 1818, qui raconte l'histoire de Victor Frankenstein, savant surdoué, créateur d'un homme vivant à partir de bouts de macchabées.

Branagh conserve des éléments du récit et des scènes que les adaptations cinématographiques précédentes ont souvent laissées de côté. Nous pensons aux passages au Pôle Nord, à la rencontre entre Victor et sa Créature dans la grotte de glace, au chantage du Monstre qui exige de Frankenstein qu'il lui crée une compagne, au meurtre de la fiancée de Victor...

Mais nous trouvons aussi des scènes formellement proches des adaptations Universal avec Boris Karloff : la naissance du Monstre au milieu des éclairs électriques et la rencontre avec l'aveugle en particulier.

Kenneth Branagh aborde ce récit à la manière d'une grande fresque romanesque. Et la patte du réalisateur se reconnaît alors à son caractère hyperactif. Les personnages dansent à s'en couper le souffle, rient bruyamment, s'embrassent vigoureusement, le tout sur une musique puissante. Nous retrouvons aussi le goût de ce réalisateur pour une mise en scène lyrique, ponctuée de scènes de foule et d'amples mouvements de caméra.

Branagh s'intéresse beaucoup aux problèmes humains et philosophiques que se posent le savant et sa Créature. Victor Frankenstein prend, trop tard, conscience des barrières morales que ne doit pas franchir un scientifique dans ses travaux. Quant au monstre, il nous est présenté comme un "bon sauvage" au cœur humain et généreux, qui se transforme en un assassin impitoyable après s'être heurté à la méchanceté des hommes.

Comme dans le roman de Mary Shelley, le Monstre est intelligent et conscient des questions philosophiques dont il est l'enjeu. Et ce, bien plus que dans la plupart des autres films le mettant en scène et dans lesquels la Créature est souvent un être très simple, à peine capable de bredouiller quelques mots – pour ne pas dire un être quasi-animal comme dans FRANKENSTEIN S'EST ÉCHAPPÉ !.

Malgré une ambition et une sincérité évidentes, FRANKENSTEIN a des défauts bien embarrassants. La réalisation de Kenneth Branagh est certes énergique, mais elle est aussi complètement boursouflée et mégalomane. Les multiples travellings, prises de vue par hélicoptère et autre tournoiements au dessus des personnages sont lourds. Le résultat relève plus du fouillis que de la virtuosité technique apparemment recherchée. Cette sensation est renforcée par un récit mal rythmé et désordonné. Certains débordements gore ne sont pas convaincants et se trouvent en rupture avec le reste du film (le cœur arraché).

Le plus gênant est sans doute l'interprétation très discutable. Le jeu de Kenneth Branagh est trop appuyé, à la limite du lassant. Sa tendance à se balader torse nu pour exhiber sa musculature révèle un narcissisme gênant. Cela parasite particulièrement la scène pourtant clé de la création du Monstre.

Qui plus est, ce bon vivant énergique ne campe pas un savant fou très crédible. Les autres comédiens nous infligent aussi un lourd cabotinage. Seul De Niro remplit avec talent son contrat en interprétant de manière retenue une Créature intelligente et touchante.

Cette tentative de mêler horreur et grande fresque hollywoodienne ne parvient donc pas à convaincre. Néanmoins, malgré ses évidentes faiblesses, cette version de FRANKENSTEIN a au moins le mérite de l'ambition et de l'originalité.

À sa sortie, ce FRANKENSTEIN connaît un succès honorable, mais jugé décevant après BRAM STOKER'S DRACULA. Kenneth Branagh s'écartera alors du cinéma d'horreur tandis que Robert De Niro retournera à des genres plus habituels pour lui comme des films policiers (HEAT) ou de gangsters (CASINO).

Pourtant, l'idée de mettre des Stars en vedette de films d'horreur à gros budgets va continuer quelques années, avec MARY REILLY, transposition de «Docteur Jekyll & Mister Hyde» jouée par Julia Roberts et John Malkovich, WOLF avec un Jack Nicholson navrant, et le terrible malentendu de L'ÎLE DU DOCTEUR MOREAU avec Marlon Brando.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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