Header Critique : FORTERESSE NOIRE, LA (THE KEEP)

Critique du film
LA FORTERESSE NOIRE 1983

THE KEEP 

En 1943, des militaires allemands s'installent dans une vieille forteresse en Roumanie. Des soldats y sont mystérieusement assassinés. Une section S.S. vient enquêter...

Le réalisateur Michael Mann commence en tournant des documentaires, puis s'oriente vers la télévision dans les années soixante-dix. Sa carrière progresse jusqu'à la réalisation du téléfilm dramatique et sportif COMME UN HOMME LIBRE avec James Caan (LE PARRAIN, ROLLERBALL), acteur qu'il retrouve en 1981 pour son premier long-métrage de cinéma LE SOLITAIRE. Ce dernier est une réussite du Film Noir et met en scène les exploits d'un as du cambriolage.

Pour son métrage suivant, Mann s'associe à la major Paramount pour réaliser un film d'horreur : LA FORTERESSE NOIRE d'après le roman de F. Paul Wilson, lui-même inspiré notamment du «Dracula» de Bram Stoker. Le métrage est tourné en Grande-Bretagne et bénéficie de talents locaux, comme le directeur de la photographie Alex Thomson (EXCALIBUR) ou le directeur artistique Alan Tomkins (L'EMPIRE CONTRE ATTAQUE). Leur travail atmosphérique fait beaucoup pour la réussite visuelle de LA FORTERESSE NOIRE.

La bande originale est signée par le groupe allemand Tangerine Dream. Ces spécialistes et pionniers de la musique électronique ont déjà composé une musique remarquable pour LE SOLITAIRE, et ils se surpassent avec la partition mystique et inquiétante qu'ils conçoivent pour LA FORTERESSE NOIRE.

LA FORTERESSE NOIRE met en scène des acteurs méconnus hors de leur pays, comme le britannique Ian McKellen, alors surtout connu pour son travail au théâtre, ou l'irlandais Gabriel Byrne, qui vient d'être révélé sur grand écran dans EXCALIBUR. Le film offre à l'allemand Jürgen Prochnow, qui occupe le rôle principal du mémorable LE BATEAU de Wolfgang Petersen deux ans avant, l'occasion d'entrer à Hollywood. 1983 est l'année qui permet à l'acteur Scott Glenn de sortir de son statut de second couteau pour tenir des rôles majeurs dans des films importants comme LA FORTERESSE NOIRE et surtout L'ÉTOFFE DES HÉROS.

Nous nous rappelons qu'à travers l'influence du magazine de BD «Métal Hurlant», la science-fiction française influence le coup de jeune que Ridley Scott donne au genre avec ses deux chefs-d’œuvre ALIEN (en collaboration avec les dessinateurs Moebius (Jean Giraud) et surtout H.R. Giger) et BLADE RUNNER. Moebius s'illustre ensuite en participant très activement à la création de TRON, autre film d'anticipation déterminant de cette période.

Pour LA FORTERESSE NOIRE, Mann creuse ce sillon en recourant aux services d'Enki Bilal, autre dessinateur renommé de la génération «Métal Hurlant». Il vient de contribuer à LA VIE EST UN ROMAN d'Alain Resnais en concevant des peintures sur verre. Pour LA FORTERESSE NOIRE, il crée le visuel de l'entité monstrueuse Molasar, figure démoniaque centrale du métrage.

LA FORTERESSE NOIRE commence très bien. Des soldats allemands arrivent dans une vallée rocheuse face à une énorme forteresse. Les décors et la photographie sont magnifiques. La musique de Tangerine Dream (quelque part entre celle de Vangelis pour BLADE RUNNER et celle de Popol Vuh pour AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU) crée une atmosphère unique. Les premiers meurtres sont impressionnants, au cours desquels les soldats se dessèchent et explosent. Les interprétations de Jürgen Prochnow et Gabriel Byrne sont excellentes.

LA FORTERESSE NOIRE mêle seconde guerre mondiale et épouvante, confrontant l'horreur concrète de la folie nazie à celle surnaturelle du monstre Molasar. Certes, d'autres films d'horreur ont tenté un tel mélange des genres, mais il s'agit de bandelettes anecdotiques comme LE COMMANDO DES MORTS-VIVANTS et autres LE LAC DES MORTS-VIVANTS.

LES AVENTURIERS DE L'ARCHE PERDUE, énorme succès deux ans avant, effectue déjà le rapprochement entre un fantastique horrifique et la fascination nazie pour l'ésotérisme. Toutefois, le ton de la première aventure d'Indiana Jones est bien différent de celui de LA FORTERESSE NOIRE.

La part de réussite de LA FORTERESSE NOIRE est essentiellement visuelle. D'une part, Michael Mann pioche dans les souvenirs du cinéma fantastique allemand de l'entre-deux-guerres, qu'il s'agisse du décorum monumental de Fritz Lang (LES NIBELUNGEN, METROPOLIS) ou des souvenirs ombragés et distordus de l'Expressionnisme (LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI). Mann revendique ce mouvement artistique comme l'influence première de LA FORTERESSE NOIRE.

Il s'inspire aussi de l'imagerie crépusculaire et ténébreuse d'ALIEN. L'intérieur fascinant de LA FORTERESSE NOIRE évoque les entrailles menaçantes du vaisseau extraterrestre qu'explore l'équipage du Nostromo. Comme ALIEN, et d'autres métrages postérieurs tels que LES PRÉDATEURS, LA FORTERESSE NOIRE propose une photographie essentiellement monochrome, aux couleurs éteintes, s'exprimant dans des valeurs proches du noir et blanc et exploitant des moyens atmosphériques comme la fumée ou les jeux d'ombre. Là encore, nous retrouvons les souvenirs du cinéma expressionniste, mais aussi de sa descendance, à savoir les films d'horreur et les Films Noirs hollywoodien des années trente et quarante.

Assez rapidement, l'histoire de LA FORTERESSE NOIRE s'enlise. Des personnages sans grande importance apparaissent et ralentissent l'intrigue. Le film se perd dans des considérations philosophiques floues et maladroites sur l'essence du mal et la psychanalyse. Des acteurs médiocres et des personnages ridicules (le "messie") gâchent encore le film. Nous avons aussi le droit à une scène mystico-onirico-érotique ringarde.

La narration devient confuse, donnant l'impression qu'il manque des scènes au métrage. La post-production de LA FORTERESSE NOIRE est en effet conflictuelle, Paramount ayant remonté le métrage contre la volonté de Michael Mann. Son film se trouve substantiellement raccourci contre son avis.

Les ambitions de Michael Mann pour LA FORTERESSE NOIRE sont aussi techniques. Avec 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE en 1968, Stanley Kubrick démontre que les progrès des effets spéciaux peuvent s'harmoniser avec l'expression cinématographique pour proposer un spectacle fantastique inédit et personnel. Il s'ensuit des progrès exponentiels dans les trucages optiques et l'apparition de films à gros budgets misant de plus en plus sur eux, comme LA GUERRE DES ÉTOILES, RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE ou SUPERMAN.

Michael Mann compte faire de LA FORTERESSE NOIRE un tel projet. Prévoyant un dénouement spectaculaire en la matière, il recrute Wally Veevers, technicien britannique renommé des effets spéciaux, ayant collaboré avec Kubrick sur DOCTEUR FOLAMOUR et 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE, ainsi que sur d'autres films majeurs riches en trucages comme LA BATAILLE D'ANGLETERRE ou SUPERMAN. Mais il décède en cours de tournage, laissant Michael Mann revoir ses projets à la baisse.

Le final s'avère finalement un espèce d'opéra moderne, au cours duquel la musique électronique et répétitive agace. La photographie à base de projecteurs bleus, de lasers et de fumigènes fait penser à un clip des années 1980. Tout cela a vieilli.

LA FORTERESSE NOIRE est film très original, avec des décors uniques, qui commence remarquablement bien. Mais il dégénère en une bouillie philosophique et prétentieuse, handicapée par une réalisation démodée. C'est dommage car il y a des acteurs talentueux et des idées singulières.

LA FORTERESSE NOIRE connaît un sévère échec commercial à sa sortie. Suite à cette déconvenue, Michael Mann se rabat sur la télévision, avec la série «DEUX FLICS À MIAMI» qui connaît un gros succès. Succès sur lequel Michael Mann s'appuiera pour revenir au cinéma avec son film suivant : LE SIXIÈME SENS en 1986.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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