En 1927, en Louisiane, un sorcier est lynché par la foule dans l'hôtel où il réside. Cinquante ans plus tard, une jeune fille hérite de cette bâtisse, abandonnée et délabrée.
L'AU-DELÀ est le troisième volet de la trilogie consacrée aux zombies par le réalisateur italien Lucio Fulci, trilogie qui le rend célèbre parmi les amateurs de cinéma d'horreur. Les deux titres précédents étant L'ENFER DES ZOMBIES de 1979 et FRAYEURS de 1980.
Après FRAYEURS, Fulci tourne, en partie en Grande-Bretagne, le thriller gothique LE CHAT NOIR, enquête surnaturelle inspirée par Edgar Allan Poe. Ce titre mineur lui permet de creuser le sillon de l'horreur gothique entamé avec FRAYEURS.
Pour L'AU-DELÀ, il retrouve une équipe déjà rodée. Ainsi, il travaille avec le producteur Fabrizio De Angelis et sa compagnie Fulvia Films, déjà responsables de L'ENFER DES ZOMBIES. Il est entouré de fidèles collaborateurs comme le directeur de la photographie Sergio Salvati, le scénariste Dardano Sacchetti, le compositeur Fabio Frizzi et le maquilleur Giannetto De Rossi. Parmi les comédiens, il retrouve Catriona MacColl (FRAYEURS), David Warbeck (LE CHAT NOIR) et Al Cliver (L'ENFER DES ZOMBIES).
Nous croisons aussi d'autres seconds rôles du cinéma italien comme Antoine Saint-John (IL ÉTAIT UNE FOIS LA RÉVOLUTION de Sergio Leone), ou Veronica Lazar dans un rôle énigmatique découlant de celui qu'elle tient dans INFERNO de Dario Argento, sorti l'année précédente.
FRAYEURS a déjà exploré les souvenirs de l'horreur gothique américaine, notamment en invoquant ceux de Dunwich, ville inventée par l'écrivain H.P. Lovecraft. Fulci approfondit cette veine dans L'AU-DELÀ avec une abondance de références à l'écrivain de Providence. Le grimoire de sorcellerie qui sera l'enjeu de cette histoire n'est autre que «Le Livre d'Eibon», ouvrage imaginaire créé par Clark Ashton Smith (sans doute inspiré par le «Necronomicon») et présent dans des textes de Lovecraft. L'intrigue rappelle les aventures de Joseph Curwen dans «L'affaire Charles Dexter Ward» : un sorcier pratique des expériences innommables avant de se faire lyncher par des villageois ; puis il revient hanter la ville cinquante ans plus tard.
Ce même sorcier est ici aussi un peintre, réalisant des œuvres macabres et fantastiques qu'on pourrait croire imaginaires. Mais, comme dans «Le modèle de Pickman» ou «L'Appel de Cthulhu», l'artiste ne fait que recopier fidèlement une atroce réalité. Nous trouvons encore un vieux bouquiniste ricanant et inquiétant, qui correspond à la description du libraire de «Le livre». Enfin le titre du film lui-même paraît une référence à la nouvelle «De l'au-delà» / «From Beyond».
Les références cinématographiques ne manquent pas non plus. Évidemment, cette affaire d'hôtel hanté évoque le SHINING de Stanley Kubrick sorti l'année précédente. Et l'idée d'une maison bâtie sur une porte de l'enfer rappelle AMITYVILLE, LA MAISON DU DIABLE, lui aussi récent.
Nous pensons aussi à SUSPIRIA et INFERNO, deux grands classiques de l'horreur italienne ésotérique réalisés par Dario Argento. Ces deux films traitent aussi de la sorcellerie et des grimoires interdits (le livre des "Trois Mères" dans INFERNO).
L'AU-DELÀ a plusieurs points communs avec ces deux métrages. Des voix mystérieuses murmurent des incantations menaçantes comme dans SUSPIRIA, la narration traditionnelle est abandonnée pour laisser place à une succession de révélations magiques et poétiques comme dans INFERNO, la musique nous propose un rock latin infernal, le récit est ponctué par l'énoncé de mystérieuses formules magiques ("Et tu devras affronter la Mer des Ténèbres..."). Nous retrouvons le meurtre d'une aveugle par son chien-guide, décalquant presque la mort du pianiste Daniel dans SUSPIRIA.
Ces similitudes peuvent s'expliquer par le fait qu'Argento est alors aussi très influencé à cette période par Lovecraft, qu'il envisage d'adapter au cinéma à un moment. Les deux réalisateurs portent un regard poétique et macabre sur la magie noire et ses grimoires occultes, emprunt du même lyrisme dément que les pages les plus folles de l'écrivain (les courtes nouvelles «Nyarlathotep» ou «Dagon» par exemple).
Fulci met habilement en place des ambiances étranges, lourdes et maléfiques. Nous nous rappelons des îles dominicaines désolées de L'ENFER DES ZOMBIES ou de la Dunwich sinistre de FRAYEURS. Dans L'AU-DELÀ, l'action est placée en pleine Louisiane, dans une Nouvelle-Orléans rongée par une humidité malsaine et oppressante. Les cadavres oubliés, les boiseries des vieilles maisons, les briques des murs ou la terre des sols paraissent faits d'une même glaise verdâtre, informe et suintante.
Affinant et perfectionnant les recherches entamées dans FRAYEURS, L'AU-DELÀ marque le triomphe de l'atmosphère sur les autres éléments composant, en principe, un film. Les personnages sont presque tous dénués d'épaisseur, l'histoire n'a que peu de sens. Le spectateur doit accepter de se laisser entraîner par cette ambiance singulière et étrange, rendue à la perfection par la réalisation, la photographie et la musique.
Fulci, c'est aussi le "Monsieur Gore" du cinéma italien. Il propose ici deux orientations nettes dans la destruction du corps humain en tant qu'art cinématographique. D'une part, à l'aide d'acides, de mygales carnivores et d'autres moyens d'attaquer petit à petit la peau, il propose de suivre, comme en accéléré, les effets de la pourriture et de la décomposition attaquant les visages des morts et les démolissant sans pitié. D'autre part, Fulci est fasciné par la destruction des yeux, qui sont éjectés ou crevés avec lenteur et acharnement (comme des échos de la fameuse séquence de l'écharde dans L'ENFER DES ZOMBIES).
Ce qui nous amène à un élément commun à FRAYEURS et L'AU-DELÀ, et qui fait encore penser à Lovecraft. Celui qui porte son regard sur l'Indicible peut en avoir l'esprit irrémédiablement détruit. Ainsi, dans FRAYEURS, ceux qui voient l'Horreur pleurent des larmes de sang tandis que leurs âmes se désagrègent. Dans L'AU-DELÀ, ceux dont les yeux voient les savoirs impies et interdits en ont les pupilles brûlées et deviennent d'inertes statues de chair au service de puissances mystérieuses.
Au cours du prologue, une jeune fille a les yeux détruits par les révélations du « Livre d'Eibon ». Dans cette thématique du regard, de l'image porteuse de connaissances occultes et dangereuses, le terrible tableau réalisé par Schweick, le peintre-sorcier, tient un rôle important. Quiconque le contemple ou le manipule déclenche des événements horribles, rapprochant le monde des vivants de celui des morts. Même une aveugle qui en caresse la surface a les mains déchiquetées par sa force magique.
Comme ce peintre, Fulci a le sens de l'image macabre, de la mise en scène poétique et morbide à la fois. Sa fascination pour les cimetières terrifiants, lieux de dénouement idéaux des films de zombies, est connue. Nous nous souvenons des sépultures de conquistadors en pleine jungle dans L'ENFER DES ZOMBIES, ou de la crypte gothique de FRAYEURS. Ici, dans une morgue sinistre (évoquant irrésistiblement LE MASSACRE DES MORTS-VIVANTS, classique antérieur du cinéma européen zombiesque), les corps sont exposés de manière théâtrale, en demi-cercle, comme pour un rituel funèbre.
Enfin, l'Au-delà lui-même est dépeint comme un désert grisâtre, jonché de cadavres nus, balayé par le même vent pestiféré qui soulevait la poussière dans les villages antillais de L'ENFER DES ZOMBIES ou dans les rues désertes de Dunwich dans FRAYEURS. Cette effroyable vision de l'Enfer n'est pas sans rappeler les images des camps de concentration de la seconde guerre mondiale. Fulci, de son côté, dit avoir été inspiré pour cette image par les ruines de Pompéi et ses cadavres moulés dans les cendres brûlantes.
Souvent considéré comme le chef-d'œuvre de Fulci, L'AU-DELÀ est son grand poème morbide et dément. Plutôt que raconter une histoire, il emporte le spectateur dans une atmosphère lyrique, gothique et envoûtante. En ce sens, il propose un cinéma non narratif, une expérience plus sensorielle qu'intellectuelle.
Le réalisateur va alors continuer à battre le fer tant qu'il est chaud puisque après LE CHAT NOIR et L'AU-DELÀ, il sort son troisième film gothique de 1981 : LA MAISON PRÈS DU CIMETIÈRE.