Header Critique : INVASION DES PROFANATEURS, L' (INVASION OF THE BODY SNATCHERS)

Critique du film
L'INVASION DES PROFANATEURS 1978

INVASION OF THE BODY SNATCHERS 

Matthew Bennell et Elizabeth Driscoll, agents des services sanitaires du gouvernement fédéral, travaillent à San Francisco. L'attitude de leur entourage change mystérieusement. Une machination d'outre-espace semble à l'origine de ces étrangetés...

L'INVASION DES PROFANATEURS de Philip Kaufman est un remake de L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES de Don Siegel, grand classique de la science-fiction paranoïaque, genre ayant fleuri aux USA pendant la Guerre Froide. Cette nouvelle version, elle aussi basée sur le roman «L'invasion des profanateurs» de Jack Finney, s'inscrit dans la vague du cinéma fantastique des années soixante-dix, qui introduit des sujets d'épouvante dans un quotidien réaliste (LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, L'EXORCISTE, CARRIE).

Le casting est composé d'excellents acteurs : Don Sutherland (NE VOUS RETOURNEZ PAS), Leonard Nimoy (le mythique Monsieur Spock de la série « STAR TREK »), Jeff Goldblum (LA MOUCHE, JURASSIC PARK), Veronica Cartwright (LES OISEAUX, ALIEN).

Le réalisateur Don Siegel apparaît en chauffeur de taxi, ainsi que Kevin McCarthy (respectivement réalisateur et vedette de L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES). Ce dernier tient le rôle d'un homme paniqué qui tente d'avertir les héros au début du métrage, au cours d'une séquence évoquant la célèbre scène de l'autoroute du film de 1956.

Le réalisateur américain Philip Kaufman se fait connaître avec GOLDSTEIN en 1964, comédie à tout petit budget contenant des scènes improvisées : ce film lui vaut une belle reconnaissance critique en France et il enchaîne sur une autre comédie, FEARLESS FRANK. Puis il suit la mode des westerns crépusculaires et mélancoliques avec LA LEGENDE DE JESSE JAMES et le film d'aventures WHITE DAWN, dans lequel des explorateurs affrontent des eskimos. Le succès ne vient vraiment qu'avec L'INVASION DES PROFANATEURS en 1978. Il réalise ensuite un film sur les gangs de jeunes dans les années soixante, LES SEIGNEURS, qui mélange la mode de la nostalgie (AMERICAN GRAFFITI) à celle du film de gangs (LES GUERRIERS DE LA NUIT). Le triomphe vient vraiment avec L'ÉTOFFE DES HÉROS de 1983, ample fresque couronnée par 4 Oscars, relatant la conquête spatiale par les cosmonautes américains dans les années cinquante et soixante.

Dans L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES de 1956, de sournois extra-terrestres prenaient l'apparence et la place des habitants d'une petite ville américaine. Néanmoins, à l'exception de la vision d'un cocon d'outre-espace, le film fournissait peu de détails sur la manière dont les envahisseurs se changeaient en êtres humains. L'INVASION DES PROFANATEURS de 1978 est autrement plus explicite.

Grâce aux progrès des effets spéciaux et du maquillage au cours des années 1960-1970 (LA PLANÈTE DES SINGES, L'EXORCISTE), le film suit les moindres détails de ce processus de transformation peu ragoûtant. Le cocon extra-terrestre profite du sommeil de sa victime pour la vampiriser. Celle-ci se vide de son énergie et devient une enveloppe de chair pourrie. Tandis que surgit du cocon un être prenant progressivement son apparence. Dans la plus explicite des séquences, les clones visqueux et gémissants apparaissent dans le jardin de Matthew, lorsque celui-ci s'est malencontreusement assoupi.

Une fois la mutation arrivée à son terme, les extra-terrestres peuvent donc se promener sous forme humaine sans qu'aucun détail physique ne les trahisse. Néanmoins, le cri terrible qu'ils poussent pour signaler à leurs compagnons qu'ils ont repéré un authentique terrien n'a rien d'humain. L'idée de ce cri glaçant est une formidable invention de cette version, absente du film de 1956.

L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES s'inscrivait dans la tradition de la science-fiction paranoïaque américaine des années cinquante, typique de la Guerre Froide (LES ENVAHISSEURS DE LA PLANÈTE ROUGE de William Cameron Menzies par exemple). Elle mettait en garde le spectateur contre les complots, les espions communistes et autres ennemis intérieurs.

L'INVASION DES PROFANATEURS se situe dans un courant bien différent : celui de la science-fiction contestataire des années 1960-1970 (LA PLANÈTE DES SINGES de 1968, ORANGE MÉCANIQUE de 1971). Elle dénonce sur un ton pessimiste les problèmes sociaux de la civilisation occidentale (racisme, violence, pollution). C'est avec ce film de 1978 que le thème des "profanateurs", sorti du contexte de la guerre froide, prend une signification universelle et allégorique.

Les extra-terrestres proposent un monde harmonieux, pacifié, sans tension ni conflit. Mais le prix de cette société "parfaite" est la disparition des individualités, la fusion des personnalités dans un tout homogène et sans aspérité. L'INVASION DES PROFANATEURS invite à la vigilance, à ne jamais nous laisser "endormir" (c'est dans leur sommeil que les humains se font assimiler pas les extra-terrestres), et à nous méfier de toutes les formes de conformisme.

Un autre élément de sa période qui influence la paranoïa de L'INVASION DES PROFANATEURS est l'affaire du Watergate. Elle aboutit à la démission du président américain Nixon en 1974 et génère une défiance élevée vis-à-vis de la classe politique américaine. Cela est reflété par des thrillers paranoïaques classiques comme LES HOMMES DU PRÉSIDENT d'Alan J. Pakula et LES TROIS JOURS DU CONDOR de Sydney Pollack. A sa façon moins réaliste, L'INVASION DES PROFANATEURS s'inscrit dans cette tradition.

Une des grandes forces de ce film est de placer l'action à San Francisco (celui de 1956 se déroulait dans une petite ville). L'invasion extra-terrestre devient d'autant plus spectaculaire qu'elle se déroule à l'échelle d'une grande cité américaine. Ce ne sont plus quelques camions de cocons qui partent hors de la ville, mais des cargos entiers, tandis que de vastes entrepôts servent d'immenses serres aux envahisseurs.

La réalisation distille avec une habileté diabolique une impression de paranoïa urbaine prenante. Des passants se retournent imperceptiblement sur le passage de Matthew, la caméra se place à la manière d'un inquiétant observateur embusqué. Parmi les séquences les plus fortes, citons celles où Matthew est confronté en plein jour à la foule quotidienne inquiétante, qui arpente sans cesse les rues, prête à dévorer et à assimiler l'individu singulier et isolé.

Les scènes de nuit sont aussi extraordinaires. Elles transforment San Francisco en une ville fantôme dans les rues de laquelle se jouent d'implacables chasses à l'homme. Kaufman joue habilement avec la monumentalité des gigantesques bâtiments et la géométrie étrange de la ville (en partie bâtie à flanc de colline). Nous apprécions aussi une bande-son minimaliste composée de bruitages électroniques inquiétants et très efficaces.

L'INVASION DES PROFANATEURS propose un remake original et réussi d'un classique de la science-fiction. Son excellent travail sur l'atmosphère et sa réalisation, aussi imaginative que soignée, font oublier sans difficultés ses rares petites longueurs.

L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES va encore connaître deux nouvelles versions par la suite, mais elles n'auront pas la même notoriété que L'INVASION DES PROFANATEURS. En 1993, Abel Ferrara signe l'intéressant mais inégal BODY SNATCHERS. En 2007 arrive THE INVASION avec Daniel Craig et Nicole Kidman, ratage total, à la conception conflictuelle (commencé par Oliver Hirschbiegel et terminé par James McTeigue).

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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