Header Critique : EXORCISTE, L' (THE EXORCIST)

Critique du film
L'EXORCISTE 1973

THE EXORCIST 

Regan, fille d'une célèbre actrice de cinéma, se conduit d'une manière de plus en plus étrange et agressive. Elle doit être attachée à son lit et subit des tests médicaux très lourds. La science se révélant impuissante à la soigner, les médecins conseillent de faire appel à un exorciste.

William Friedkin a longtemps travaillé pour la télévision aux USA où il est devenu un réalisateur de documentaires réputé. Pour le cinéma, il commence par tourner des comédies légères et musicales : GOOD TIMES de 1967 avec Sonny et Cher et THE NIGHT THEY RAIDED MINSKY'S. Avec THE BIRTHDAY PARTY de 1968, il s'attaque à un projet plus ambitieux : l'adaptation d'une pièce de Harold Pinter avec Robert Shaw. Il commence à approcher des sujets sensibles et originaux : LES GARÇONS DE LA BANDE de 1970 parle d'un groupe d'amis homosexuels, FRENCH CONNECTION de 1971 est un polar réaliste, décrivant crûment l'univers des trafics de drogue.

Ce dernier connaît un beau succès et lance pour de bon la carrière de réalisateur hollywoodien de Friedkin. Juste après, il se tourne vers l'horreur avec L'EXORCISTE, adaptation d'un roman à succès de William Peter Blatty, qui deviendra le plus célèbre de ses films. Friedkin n'abordera pourtant l'horreur que rarement dans sa carrière par la suite. Pour L'EXORCISTE, il choisit un casting dont la qualité est pour beaucoup dans sa réussite. Le père Merrin est interprété par Max von Sydow, acteur suédois indissociable des plus belles réussites d'Ingmar Bergman comme LE SEPTIÈME SCEAU. Le succès de L'EXORCISTE en fait une vedette de stature internationale dont la carrière s'étendra sur encore une quarantaine d'années, croisant souvent la fantastique.

Pour le rôle de la mère de Regan, Friedkin choisit Ellen Burstyn, ancienne élève de l'Actor's Studio. Pour le personnage central du père Karras, il sélectionne encore (très bien) Jason Miller, un dramaturge-acteur qu'il a découvert au théâtre. Regan, la fillette possédée, est interprétée par l'étonnante Linda Blair, qui se retrouve ensuite, un peu malgré elle, cantonnée dans le cinéma d'horreur et d'exploitation.

L'EXORCISTE s'inscrit dans un courant du cinéma d'épouvante inspiré par un folklore purement chrétien, mettant en scène Satan et ses démons. L'abondante production fantastique des années soixante n'a qu'assez peu abordé cette voie. En Grande-Bretagne, on relève à la limite RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR de 1957 (bien qu'il mélange la sorcellerie médiévale et la magie païenne scandinave) et surtout LES VIERGES DE SATAN de Terence Fisher pour la compagnie Hammer.

Mais c'est bien entendu ROSEMARY'S BABY de Roman Polanski, sorti en 1968, qui s'avère le plus influent : une femme enceinte s'y croit persécutée par des satanistes. Par son sujet, son cadre urbain et contemporain, son refus des oripeaux folkloriques du cinéma d'horreur traditionnel (bien qu'il ne renonce pas complètement à une certaine poésie du fantastique), ROSEMARY'S BABY annonce clairement le style de L'EXORCISTE.

En effet, celui-ci se caractérise par la crudité documentaire de sa réalisation. Friedkin ne cherche pas à créer une atmosphère poétique et irréelle. Au contraire, son cinéma vigoureux et tendu est plus proche dans la forme d'un thriller agressif comme FRENCH CONNECTION. Le réalisme se trouve aussi dans la peinture sans concession des personnages et de leur environnement social : l'hôpital misérable dans lequel est placée la mère de Karras, le personnage médiocre du réalisateur de cinéma...

De leur côté, les effets spéciaux qui accompagnent les manifestations démoniaques du démon frappent par leur vérité. Friedkin a recours aux services de Dick Smith, maquilleur prestigieux qui vient d'accomplir les vieillissements spectaculaires de Dustin Hoffman dans LITTLE BIG MAN et de Marlon Brando dans LE PARRAIN. Smith poursuit ici les innovations techniques mises au point par John Chambers pour les maquillages de LA PLANÈTE DES SINGES en 1968 (notamment l'usage du latex pour créer des masques souples). Le visage possédée de Regan reste proche de celui d'une petite fille, bien qu'il soit couvert de griffures et de brûlures crédibles et répugnantes. De même, la scène où la fillette est soumise à des tests douloureux à l'hôpital fonctionne grâce à son vérisme âpre. L'EXORCISTE confronte des manifestations horrifiques surnaturelles presque moyenâgeuses à un univers contemporain et urbain très sombre. Cette façon d'appréhender l'épouvante de manière documentaire, en renonçant aux caractéristiques de l'horreur cinématographique traditionnelle, a été employée peu avant avec succès dans LA NUIT DES MORTS-VIVANTS (1968), le chef d’œuvre de George Romero.

Par sa structure, L'EXORCISTE se compose d'une introduction et de deux parties bien distinctes. Le prologue, peut-être le passage le plus réussi à notre avis, nous entraîne en Irak où le père Merrin, un prêtre archéologue, découvre sur le site de Ninive une petite statue du dieu assyrien Pazuzu et une étrange médaille paléochrétienne.

Puis, dans la première partie du métrage, des médecins tentent en vain de soigner la schizophrénie de Regan à l'aide de sciences rationnelles. Enfin, dans la deuxième heure du film, des religieux catholiques affrontent la présence démoniaque qui possède la fillette, la transformant en un être monstrueux, être qui prolonge l'idée des enfants maléfiques du cinéma fantastique.

C'est dans cette dernière partie que Friedkin attaque le thème central de son récit : la problématique de la foi et du doute. Il dit avoir rencontré de nombreux catholiques pour préparer la réalisation de son œuvre

Tout au long de L'EXORCISTE, les manifestations du Diable sont spectaculaires, mais au fond peu efficaces. Le Mal absolu reste attaché sur son lit par quelques liens et ne parvient que rarement à commettre des actes violents (nous ne voyons pas comment meurt le père Merrin, et nous n'avons aucune certitude que Regan ait assassiné le réalisateur). De même, quelques gouttes d'eau bénite suffisent à le neutraliser.

La puissance du démon se situe plus dans ses manœuvres pour faire douter les hommes de la bonté de Dieu, ainsi que pour leur prouver qu'ils sont des pécheurs faibles et corrompus. Dans chaque confrontation, il s'adapte aux failles de sa proie. La mère de Regan, qui élève seule sa fille adolescente, assiste à une séance obscène de masturbation. Pour le père Karras, le Diable prend l'apparence de sa mère décédée alors qu'il n'a pas pu lui payer un hôpital décent. Pour le père Merrin, le démon invoque la statue de Pazuzu, redoutable présence démoniaque qui angoisse le prêtre depuis son expédition à Ninive. Ce n'est qu'en concrétisant la doctrine enseignée par le Christ dans ses actes (le sacrifice pour autrui) que le père Karras vainc le démon, donnant enfin un sens à sa vocation chancelante.

Une force de L'EXORCISTE est de jouer avec adresse la carte de l'ambiguïté,  cette carte maîtresse du cinéma de Friedkin. Il n'est pas exclu que l'ensemble de la tragédie à laquelle nous assistons ne soit que la vision très subjective de cette histoire telle que la perçoivent ses protagonistes, entraînés dans une spirale angoissante de doute et d'hystérie collective. Le discours des médecins à propos de la schizophrénie et de l'efficacité des exorcismes prend alors une résonance particulière. Cette dimension singulière apporte une épaisseur supplémentaire à ce récit qui pourrait alors s'avérer plus complexe qu'il n'en a l'air.

Malgré toutes ses idées, très nouvelles dans le cadre d'un film d'horreur, L'EXORCISTE n'est pas un film sans défaut. Les manifestations démoniaques spectaculaires reposent, certes, sur d'excellents effets spéciaux et sur un travail novateur sur la bande-son (bruitages peu ragoûtants, bandes passées à l'envers et à diverses vitesses).

Mais leur réalisation manque parfois de subtilité. Elles donnent une impression d'excès dans le sensationnalisme racoleur qui finit par les faire sombrer dans une représentation ridicule des croyances chrétiennes. Même un fanatique de cinéma d'épouvante a bien du mal à garder son sérieux lorsque la petite Regan éructe des "Ta mère suce des bites en Enfer !" à tout va. Certains passages (notamment la fin) paraissent inégaux et décevants.

Néanmoins, grâce à la qualité de sa réalisation énergique, à ses innovations et à ses interprètes excellents, L'EXORCISTE reste une œuvre puissante et unique. Il est un énorme succès pour la Warner Bros, qui ne regrette donc pas d'avoir été la première grande compagnie à produire une œuvre d'horreur tendant aussi ouvertement vers le gore ! C'est le second et dernier gros succès de William Friedkin dont la carrière va ensuite devenir chaotique et inégale.

Ce triomphe public engendre une vague d'épouvante sataniste dans le cinéma mondial, que ce soit en France (EXORCISME de et avec Jesus Franco), en Italie (L'ANTÉCHRIST), en Grande-Bretagne (la série des Damien, inaugurée par LA MALÉDICTION de Richard Donner)...

Warner lance donc rapidement une suite à L'EXORCISTE avec L'EXORCISTE II, L'HÉRÉTIQUE, grosse production à la genèse chaotique, très décevant malgré la présence de l'acteur Richard Burton et du réalisateur John Boorman au générique.

Bien plus tard, alors que le cinéma d'horreur s'égare dans une frénésie de suites à la fin des années quatre-vingts, arrive en 1990 un troisième film : L'EXORCISTE, LA SUITE de William Peter Blatty (auteur du roman original). Très intéressant bien qu'élaboré sur fond de conflit entre le metteur en scène et son studio, sa sortie se fait dans une indifférence injuste.

En 1998, George Lucas connaît un certain succès en ressortant les trois premiers STAR WARS dans des « éditions spéciales », avec ajout de nouvelles scènes et effets spéciaux. William Friedkin propose alors en 2001 une version un peu allongée et modifiée de L'EXORCISTE, qui marche très bien en salles. Warner se sent alors l'envie d'ajouter un quatrième volet à la saga, se déroulant avant les événements du film de Friedkin. A nouveau, la production n'est pas sereine, pas moins de trois réalisateurs se succédant (John Frankenheimer, Paul Schrader et Renny Harlin). Pour un résultat peu emballant, que ce soit dans la version bourrine de Harlin (L'EXORCISTE : AU COMMENCEMENT sorti en salles en 2004) ou plus méditative de Schrader (DOMINION : PREQUEL TO THE EXORCIST, distribué en DVD).

Et ce n'est pas fini car en 2016, en pleine obsession pour les séries TV consécutives à de gros succès comme « GAME OF THRONES », les recyclages pour le petit écran de classiques du cinéma se multiplient. Arrive alors une série TV Fox «L'EXORCISTE», se déroulant après le film original. Cette série disparaît assez vite, le temps de sortir deux saisons.

Hollywood retournera régulièrement aux souvenirs de L'EXORCISTE au cours des années, avec deux vagues en particulier. D'abord pour les œuvres voulant exploiter la peur millénariste du passage à l'an 2000 (STIGMATA de Rupert Wainwright, LES ÂMES PERDUES de Janusz Kaminski). Puis avec la mode des Found Footage lancée par PARANORMAL ACTIVITY en 2009, vite suivie de la série des THE CONJURING et ses héros accrocs à la Bible et leurs multiples imitateurs !

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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