Chassé d'un village à cause de ses travaux blasphématoires, le docteur Frankenstein se rend à Karlstaad où il a séjourné une décennie auparavant. Il y retrouve, conservée dans un glacier, la créature qu'il avait fabriquée alors et que les habitants de la ville avait abattue...
En 1964, lorsque sort L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN, la Hammer a déjà produit avec succès deux aventures du docteur Frankenstein : FRANKENSTEIN S'EST ÉCHAPPÉ ! et LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN, Ces deux réussites sont réalisées à la fin des années cinquante par Terence Fisher, metteur en scène emblématique de cette maison. Au début des années soixante, la Hammer s'éloigne de ses Stars Frankenstein et Dracula pour s'attaquer à d'autres mythologies : LES DEUX VISAGES DU DOCTEUR JEKYLL, LA NUIT DU LOUP-GAROU ou LE FANTÔME DE L'OPÉRA, tous trois signés Terence Fisher, se succèdent. Mais ces nouveaux films ne convainquent pas autant que FRANKENSTEIN S'EST ÉCHAPPÉ ! ou LE CAUCHEMAR DE DRACULA. LE FANTÔME DE L'OPÉRA en particulier, gros budget pour la Hammer, se heurte à un échec commercial cinglant. Ce qui refroidit la relation artistique entre Terence Fisher et ce studio.
A partir de 1963, la Hammer revient à ses succès. Arrivent ainsi LE BAISER DU VAMPIRE de Don Sharp, LES MALÉFICES DE LA MOMIE de Michael Carreras, et cette troisième aventure cinématographique du baron Frankenstein : L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN.
Nous retrouvons dans le rôle du savant l'incontournable Peter Cushing qui l'interprète pour la troisième fois consécutive. Terence Fisher cède son fauteuil à Freddie Francis. Le monstre est interprété par Kiwi Kingston, un catcheur néo-zélandais d'un mètre quatre-vingt quinze, qui ne tournera qu'un autre film au cinéma (HYSTERIA en 1965). L'hypnotiseur est incarné par Peter Woodthorpe qui, entre autres, prêtera sa voix à Gollum dans la version animée du SEIGNEUR DES ANNEAUX.
Comme Terence Fisher, Don Sharp ou John Gilling, le réalisateur Freddie Francis est un nom respecté du cinéma fantastique britannique des années 1960. Nous vous avions déjà parlé de sa carrière de chef-opérateur prestigieux dans notre texte sur LES INNOCENTS de 1960. Il signe ensuite ses premières mises en scène au début de la même décennie. PARANOÏAQUE, thriller horrifique de 1963, est son premier film pour la Hammer, avec laquelle il collabore régulièrement ensuite (HYSTERIA, DRACULA ET LES FEMMES...). Il travaille aussi avec l'Amicus, autre compagnie anglaise, notamment pour des films à sketchs comme LE TRAIN DES ÉPOUVANTES et HISTOIRES D'OUTRE-TOMBE. Mais la carrière de Francis suivra le déclin de l'épouvante britannique au cours des années 1970, et il retournera, avec succès, au poste de directeur de la photographie pour ELEPHANT MAN de David Lynch en 1980.
Revenons au film lui-même : L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN. Comme dans les deux épisodes précédents produits par la Hammer, le personnage principal du film n'est pas le Monstre, mais bien le professeur lui-même. Son statut de héros devient de moins en moins ambigu. En effet, FRANKENSTEIN S'EST ÉCHAPPÉ ! et LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN insistaient sur le cynisme et la folie du savant, sur sa froideur et sa cruauté. Dans L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN, ces éléments disparaissent. Frankenstein est dépeint comme un bienfaiteur de l'humanité, un homme droit persécuté par des bourgeois arrivistes et l'obscurantisme des religieux.
Pour renforcer cette impression d'héroïsme, le professeur bondit, galope et se bat comme un personnage de film d'aventures. Néanmoins, la manière dont il traite sa Créature reste impitoyable.
Le passage du professeur Frankenstein du statut de personnage ambigu à celui de héros (presque) irréprochable force les scénaristes a introduire un véritable "méchant" : Zoltan l'hypnotiseur, indispensable à Frankenstein pour réanimer sa Créature en hibernation. Opportuniste, Zoltan emploie son pouvoir de suggestion sur la Créature pour lui faire commettre des vols et des agressions, ainsi que pour faire chanter Frankenstein (le monstre n'obéissant qu'à Zoltan).
L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN humanise aussi le Monstre. Une mendiante muette, rejetée comme lui, se prend d'affection pour ce malheureux avec lequel elle "discute" alors qu'il est encore pris dans la glace (scène très touchante). Elle seule le traite avec humanité. Par quelques signes fugaces (il la porte dans les montagnes), le Monstre prouve son attention à cette petite mendiante.
Cela nous rappelle LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN de James Whale, notamment la rencontre entre le Monstre et un ermite aveugle. Mais ici, ces passages émouvants se voient relégués au second plan et ne sont pas assez développés pour convaincre.
La Hammer n'a jamais conservé deux fois de suite le même aspect du Monstre de Frankenstein. Contrairement à la Universal chez laquelle le fameux look inventé par Jack Pierce pour FRANKENSTEIN a été ré-utilisé dans tous ses épisodes. Universal, distributeur américain de L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN, autorise ici la Hammer à reprendre ce visuel mythique. Le Monstre retrouve donc sa grande taille, son haut front, ses lourdes paupières et ses membres disproportionnés. Pourtant, le maquillage bâclé souffre d'être comparé à celui de Jack Pierce.
De nombreux autres clins d’œil aux films Universal sont apparents. Comme dans FRANKENSTEIN, le professeur occupe un vaste laboratoire en forme de tour et capte l'énergie de la foudre grâce à un énorme paratonnerre placé à son sommet. Quant à la conservation du monstre dans la glace, elle renvoie à FRANKENSTEIN RENCONTRE LE LOUP-GAROU et LA MAISON DE DRACULA, où la Créature est aussi retrouvée congelée.
Très habile technicien, Freddie Francis propose de magnifiques images, avec la campagne imprégnée de teintes brunes et vertes, ou les délires colorés accompagnant la création du monstre. Les décors sont somptueux (la fête foraine multicolore, les deux laboratoires très spectaculaires du professeur, les montagnes, le château...). L'interprétation est homogène et irréprochable.
Pourtant, L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN souffre de sa narration. Sa construction est très chaotique (le long (mais superbe) flash back), le récit ne semble prendre ses marques qu'en milieu de métrage, à partir de la rencontre avec le "docteur" Zoltan. Il s'en dégage une lenteur hésitante. Nous regrettons aussi un manque d'originalité dans cette histoire tout de même rabâchée, bien éloignée des trouvailles audacieuses de LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN
L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN n'est pas très apprécié par les fans de la Hammer. Ils lui reprochent de s'éloigner de l'esprit des autres Frankenstein produits par cette compagnie, en particulier des cinq films signés Terence Fisher. Pourtant, grâce à ses splendides qualités plastiques, son interprétation solide et ses séquences spectaculaires (création du monstre, incendie du laboratoire), il reste un divertissement réjouissant, auquel il manque juste une construction plus rigoureuse pour vraiment convaincre.