Header Critique : MOULIN DES SUPPLICES, LE (IL MULINO DELLE DONNE DI PIETRA)

Critique du film et du Blu-ray Zone B
LE MOULIN DES SUPPLICES 1960

IL MULINO DELLE DONNE DI PIETRA 

Hans Van Arnem (Pierre Brice) vient travailler sur l'art populaire hollandais auprès du Professeur Wahl (Wolfgang Preiss), un sculpteur vivant reclus. Célèbre localement pour son « Moulin des femmes de pierre », sorte de carrousel représentant des femmes suppliciées. Il rencontre sa fille, Elfie (Liana Orfei), belle et mystérieuse, mais ne peut s'empêcher d'en pincer pour la plus virginale Liselotte (Dany Carrel). A la lumière de la disparition de jeunes femmes, Hans commence à douter de ce qui ce trame au sein du moulin.

Parmi la cohorte de films gothiques qui déferlèrent sur l'Italie pendant les années 60, LE MOULIN DES SUPPLICES reste indubitablement l'un des plus élégants et des plus richement élaborés. Cette co-production franco-italienne ne remporta cependant qu'un modeste succès en France avec ses 260 045 entrées, bien loin du presque million de tickets vendus en Italie. 

Un romantisme macabre des plus virtuoses, à la belle ambiance mortifère. Première incursion dans le film de genre de Giorgio Ferroni, qui manie un vrai savoir-faire. Il anticipe d'une dizaine d'années les thèmes récurrents qui parcourront LA NUIT DES DIABLES sur le désespoir et la solitude, renforçant quelque peu le sentiment qu'avant d'être un film d'horreur gothique, LE MOULIN DES SUPPLICES reste avant tout un drame humain, le scénario prenant clairement pitié du destin de la pauvre Elfie.

Ce qui ne l'empêche pas d'entremêler des courants fantastiques alors bien en vogue. On y retrouve pêle-mêle des attraits au vampirisme, à la quasi-nécrophilie et le théâtre macabre de la vie et de la mort. La mise en abime de la mort représentée demeure une des plus belles mise en image. A noter que cette théâtralisation de la mise à mort reviendra à plusieurs reprises dans le cinéma italien, aussi bien dans L'ASSASSIN A RESERVE NEUF FAUTEUILS que BLOODY BIRD par la suite. Pour se poursuivre aisément ailleurs, comme dans le MORTUARY d'Howard Avedis en 1983.

Le film recycle malgré tout quelques idées provenant de films préexistants. Tout d'abord le docteur qui entreprend de redonner la vie à la mort fait penser, pour le lieu et le thème, au FRANKENSTEIN de James Whale. Il y a aussi MASQUES DE CIRE et son remake en 3D L'HOMME AU MASQUE DE CIRE comme une matrice évidente. Puis s'y greffe l'influence des YEUX SANS VISAGE et son père fou de douleur qui kidnappe et tue de jeunes femmes pour tenter de refaire une beauté à sa fille défigurée. ON y trouvera également d'autres exemples qui paralysent quelque peu la tentative radicale d'horreur en couleurs que le film tente, masquant ainsi son originalité visuelle à travers des subterfuges d'écriture pompant allègrement sur ses voisins.

Le choix des Pays-Bas comme lieu de l'action étonne en premier lieu - mais en plaçant en perspective l'oeuvre de Ferroni et du cinéma de genre transalpin, pas tant que cela A l'instar de LA NUIT DES DIABLES tournée en pleine région Frioule, Ferroni choisi « l'exotisme » de la délocalisation vers un pays plus au Nord. Cette tentation de l'ailleurs a toujours été présente cependant dans le cinéma gothique italien. La Moldavie pour LE MASQUE DU DEMON, La Grande-Bretagne pour LA VENGEANCE DE LADY MORGAN... L'Italie ne semblait pas bien vendre son propre territoire! Pour l'anecdote, l'un des moulins utilisés se trouve être le même que celui du DIABLE A SEPT VISAGES pour sa scène finale.

Qui plus est, Ferroni, son chef décorateur et son directeur photo Pier Ludovico Pavoni s'inspirent du baroque flamand pour la composition scénique: voir l'éclairage typique effectué pour le plan à 48mn26. Une prolongation celluloidale idéale de la définition même du baroque, sur la polychromie, les couleurs profondes et riches, les éclairages intenses et les jeux d'ombre et de lumière. On se situe beaucoup plus sur le travail de Rembrandt ou de George de la Tour (un peintre français d'influence de l'école hollandaise pour les éclairages) que de la représentation de Delft de Vermeer et de sa lumière unidirectionnelle. Ici, les sources de lumières multicolores éclaboussent l'écran de jets qui rendent les décors presque surréalistes. Et surtout qui offrent plusieurs niveaux de lectures sur un seul et même plan. Le parcours quasi expérimental d'Hans accède au savoir via la reconnaissance du vivant (et du mort) à travers sa variété dynamique de l'un à l'autre. Un peu comme le bateau au début du film, image d'un Charon le portant vers le monde des morts?

Un des nombreux signes de la supériorité artistique du MOULIN DES SUPPLICES sur un très grand nombre de ses congénères. Ferroni ne se contente pas d'appliquer un modèle ou des schémas, il enrichit le récit de manière constante. A l'instar de Luigi Bazzoni quelques années plus tard, Ferroni opère une vision architecturale du macabre via l'endroit clos du moulin. Ses diagonales charpentées, les portes ouvertes donnant accès à des espaces supplémentaires, la symétrie de l'organisation des plans en plongée (comme pour la séquence de transfusion). Ferroni constitue son film comme une véritable expérience visuelle, explorant le monde des possibles. Il possède un savoir faire de la mise en scène de l'épouvante et de l'effroi qui le place au dessus de la mêlée de manière immédiate. Cette symétrie des plans se retrouve à plusieurs reprise dans le film, jusqu'à se prolonger dans le récit narratif, où le final voit les deux héros du film transporter en parallèle les corps de leurs aimées respectives afin de les sauver.

Il faut également pointer un traitement particulier de la nudité mise en avant par le film. D'abord à travers les sculptures - hommes comme femme, et qui réussirent à passer les ciseaux de la censure. Etonnant, aussi, le court plan du sein légèrement dévêtu de Dany Carrel. Le film de Ferroni repousse ceci posé bon nombre de frontières, comme si l'art excusait la nudité - mais pas le 7e. Une boucle bouclée sur la censure avec, pour mémoire, le tableau de Gustave Courbet L'Origine du Monde qui fut bouté hors des réseaux sociaux en ce début de XXIe siècle du fait de sa représentation du sexe féminin. Ce qui passait en 1960 ne passe plus plus de 50 ans après.

Ajoutons à ce panorama visuel l'étrange musique composée par Carlo Innocenzi, parmi les plus étranges de cette décade. Avec ses choeurs de lamentation, ses notes de piano inquiétantes et, par moments, qui rappellent étrangement un des thèmes de... VENDREDI 13. Ecoutez à partir de 52mn55: saisissant.

LE MOULIN DES SUPPLICES arrive chez Artus Films dans un très beau coffret Livre/Blu Ray/DVD, indiqué à partir d'un nouveau master 2K restauré. Les erreurs commises sur le rangement des disques de L'ENFER DES ZOMBIES ont bien été corrigées. On a le droit ici à un magnifique objet collector à l'ouverture facile et aux accès disques et livres qui se tiennent superbement.

Suivant la route tracée par certains éditeurs, on ne trouve plus l'accès par chapitre depuis le menu, un grand dommage. Si bien que le menu principal voit simplement l'accès au film (puis les versions) ou les suppléments. Le film se présente au format 1.66:1, d'une durée complète de 96mn55, sur un BD 50 en 1080p, codé région B. Concernant le DVD (zone 2, 16/9e, durée du film : 93mn avec pistes audio française, italienne et anglaise en Dolby Digital encodées sur 2 canaux, à 192 kb/s), le menu offre l'accès au film, versions et suppléments. Les sous-titres français sont optionnels.

Concernant le produit proposé, on va émettre les mêmes réserves que celles notées dans notre critique du Blu Ray américian de PERVERSION STORY sorti chez Mondo Macabro. A savoir qu'il s'agit d'une version composite de plusieurs versions du film de différents pays, et qu'au final, le produit proposé n'a jamais existé. (Pour PERVERSION STORY, on attend de voir le traitement que lui réservera Le Chat Qui Fume en France) Cela se voit d'ailleurs en focntion des différences de définition, couleurs, tons changeant selon certains plans - donc en fonction des origines qui ont recomposé le puzzle. On peut de ce fait regretter que l'éditeur n'ait pas offert, comme son comparse allemand Subkultur, les sources disponibles (dont la version italienne remastérisée 2K depuis le négatif original), avec les différents montages d'origine. Montages présents d'ailleurs sur l'édition Neo Publishing en son temps, lors de la sortie en DVD du film en janvier 2006. Le moins de chez Subkultur ayant été le fait de compresser toutes les versions sur un seul disque de 50gb, pas franchement optimal pour l'oeil. Ce sera à vous, spectateur (les puristes hurleront, les amateurs et curieux se réjouiront), de faire le choix sur ce que estimez être juste pour l'oeuvre ou non.

Concernant la copie, on notera un respect du grain initial plaisant, avec une quasi absence de poussières et autres signes du temps. Même si toutefois la définition n'est pas au top sur les détails. Voir les premières séquences d'Hans dans le bureau du sculpteur, les contours des objets et du personnage apparaissent comme flous. Ce qui change en fait nettement par la suite - mais comme cette version provient de plusieurs sources, vous noterez quelques différences en fonction des plans. Grosse différence sur les gros plans, notamment à 20mn42, où les détails concernant Pierre Brice s'avèrent plus précis qu'au tout début. Les scènes intérieures éclantantes de couleurs bleues et rouges sont splendides à l'oeil, tout comme les scènes aux éclairages baroques, et en clair obscur. l'ensemble reste bien plaisant à l'oeil.

A la différence de l'édition Subkultur qui proposait les pistes sonores en DTS HD MA mono, Artus propose trois pistes sonores en LPCM mono, avec sous-titres français optionnels. A noter que vue la version composite, en fonction de votre choix de voir le film en italien ou anglais, la scène du pont (qui était en bonus sur le DVD de chez Mondo Macabro) est exclusivement en français donc non sous-titrée. Mais d'autres éléments expurgés de la version française apparaitront sous-titrés du fait de la réintégration des plans - et qui donc n'avaient jamais été doublés en VF auparavant.

En écoutant les trois pistes proposées, le doublage français s'avère le plus problématique. Du souffle, des craquements et griffures sonores parsèment le film. Rien de rédhibitoire, car les dialogues s'entendent de manière très claire. Mais si l'on souhaite une meilleure expérience audiophile, il vaudra mieux se diriger vers la piste italienne, plus limpide et dépourvue de grésillements et autres soucis de la piste française. A noter que le a piste audio anglaise, se situant qualitativement entre les deux, offrait des modifications en agrémentant des scènes avec une autre musique: à partir de 64mn58, par exemple, une mélodie dramatique est superposée - alors que seuls bruitages et dialogues transparaissent sur la piste audio française et italienne. Près de 2mn30 où le ton du film change radicalement : là où les américains choisissent l'emphase musicale pour faire monter la pression, les auteurs européens préfèrent l'angoisse du silence et des bruits générés. Idem pour l'ajout de voix off explicatives à 53mn: cette voix off est absente des VF et VI.

Concernant les suppléments, un beau témoignage de Liana Orfei (Annelore), artiste complète de la famille du cirque Orfei, toujours fonctionnel en Italie. Croisé avec des interventions du journaliste Fabio Melelli, elle raconte sa carrière et les divers secrets de tournage. Une « bonne cliente » comme on aime à dire : vivace, drôle, pleine de clins d'oeil et avec une meilleure mémoire qu'elle prétend avoir. Un vrai plaisir de l'écouter. Des anecdotes passionnantes bien que petites mais plaisantes, surtout sur le tournage en multilingue! Concernant Melelli, il aurait été intéressant de poursuivre son point de vue car ses idées d'analyse auraient apporté une belle mise en perspective, comme il sait si bien le faire dans ses divers livres et écrits.

Un entretien avec Alain Petit sur un peu plus de 40mn, revenant grandement sur les origines, la genèse et les différentes versions du film. A l'instar du livret qu'il écrit pour cette édition, cela se veut surtout informatif sur le film et le genre auquel le long métrage se rattache. Une somme d'informations et de références, comme à son habitude, allant du focus sur la carrière allemande de Pierre Brice en passant par Dany Carrel, Scilla Gabel et tous les participants au film. Un peu dommage cependant de ne pas avoir quelque chose de plus analytique sur le film.

Artus Films a également choisi de présenter les scènes alternatives américaines et italiennes, le film annonce américain et une galerie photos.

Malgré la réserve quant au choix de présenter une version composite, Artus Films apporte un bel objet, au livret agréable à la consultation, généreux en informations autour du film, avec trois versions audio pour les plus curieux - et de jolis compléments. LE MOULIN DES SUPPLICES reste un joyau gothique qui mérite une (re)découverte. On recommande.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
56 ans
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Un splendide film gothique aux couleurs riches
Une ambiance macabre réussie
Un très bel objet de collection
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Un manque de point de vue analytique
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L'édition vidéo
IL MULINO DELLE DONNE DI PIETRA Blu-ray Zone B (France)
Editeur
Artus Films
Support
Blu-Ray (Double couche)
Origine
France (Zone B)
Date de Sortie
Durée
1h37
Image
1.66 (16/9)
Audio
Anglais PCM Mono
Francais PCM Mono
Italien PCM Mono
Anglais Dolby Digital Mono
Francais Dolby Digital Mono
Italien PCM Mono
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Les Femmes de Pierre : entretien croise avec Liana Orfei et Fabio Melleli (25mn25 - vostf - HD)
    • Le Docteur et les Femmes - entretien avec Alain Petit (42mn05 - VF - HD)
    • Scenes alternatives americaines (4mn07)
    • Scenes alternatives italiennes (2mn55 - Vostf 4/3)
    • Film annonce americain (2mn - vo)
    • Galerie photos (3mn54)
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