Luisa (Britt Nichols) revient au manoir familial car sa mère (Carmen Carbonell) se meurt. Elle lui révèle l'origine de sa famille et qu'une terrible malédiction plane sur elle. Son ancêtre serait un vampire qui sommeille toujours au fond du château! Aussitôt dans la crypte, le baron Karlstein (Howard Vernon) se lève de son cercueil et mort Luisa.
LA FILLE DE DRACULA complète un trio de films produits par Robert de Nesle avec Jess Franco à sa tête. On retrouve ainsi la troupe qui joue et travaille sur LES EXPERIENCES EROTIQUES DE FRANKENSTEIN et DRACULA PRISONNIER DE FRANKENSTEIN. Le film sort à Paris le 14 décembre 1972 dans de petites salles de quartier - comme ceci était de coutume pour les séries B de cette époque. Comme le précise Jean-François Rauger dans son segment, le film fut très mal reçu par la critique - et le public. Si le film totalise 118 651 entrées (on est donc très loin des 325 458 entrées des EXPERIENCES EROTIQUES DE FRANKENSTEIN sorti 6 mois après), ce n'est qu'au bout des 11 ans d'exploitation des copies qui tournèrent jusqu'en 1983, où cette année vit cumuler les 53 dernières entrées pour ce long-métrage. Une économie du cinéma quelque peu logique pour l'ensemble des films Bis de l'époque qui trouvaient leur public au gré des copies transbahutées de régions en salles parisiennes spécialisées.
Si l'on omet la voix off plantant le décor tout au début, Franco décide de privilégier le langage visuel. Les premières minutes du film apparaissent muettes, avec en exergue l'oeil voyeur de la caméra se substituant au point de vue de l'agresseur de la jeune femme se dénudant. Puis il devient évident, avec le nom de Karlstein (malgré le «l» qui remplace le «n»), de malédiction ambiante et de scènes lesbiennes, que le film s'empare à la fois de l'héritage vampire de la Universal (comme Franco le fit avec ses deux autres adaptations du mythe Frankenstein) mais également de la mode des lesbiennes vampires post THE VAMPIRES LOVERS. Un thème que Franco affectionna avec VAMPYROS LESBOS et va revisiter avec LA COMTESSE AUX SEINS NUS.
Il tente le mélange : érotisme titillatoire, fantastique et quasi-simulacre de films art et essai. Des déambulations de vampire solitaire dans un cadre maritime et de réflexion sur un monde propre qui s'auto-nourrit des fantasmes à répétition du cinéaste. Franco joue la carte de la théâtralisation de l'anodin, au milieu de surprenantes envolées de dialogues ampoulés. Mais qui risquent de décevoir les amateurs de films d'horreur. Franco va à contresens dans cette adaptation biaisée du mythe de vampire. Comme s'il s'en désintéressait au profit de son allitération narrative. Des digressions érotiques qui oscillent entre le désir de filmer les corps exaltés, de monstrueuses incohérences scénaristiques, la variation sur le vampirisme et les besoins de montrer de l'exploitation destinée à fourguer du sexe qui marchait plutôt bien à l'époque. D'autre part, LA FILLE DE DRACULA drague d'autres genres, comme le quasi-Giallo via son ombre menaçante s'échappant des lieux des agressions. Les corps faisant surface, et le commissaire Ptuschko (Alberto Dalbes) qui enquête et dont la démarche suinte par ailleurs celle campé par Horst Tappert dans SIE TOTETE IN EKSTASE. Un film dont la forme de l'enquête policière semble inspirer quelque peu celle de LA FILLE DE DRACULA. Tout en se parant d'emprunts à la déjà riche filmographie de l'auteur. Ainsi par exemple le strip tease qui arrive comme un cheveu sur la soupe rappelle invariablement celui du DIABOLIQUE DOCTEUR Z ou encore de VAMPYROS LESBOS, au choix.
Le zoom est l'arme de combat du cinéaste privé de moyen. Il s'agit d'un élément que Franco aura admirablement compris, puisque permettant de créer un mouvement alors que toute éventualité de travelling latéral ou autre déplacement physique de la caméra demande du matériel et du temps. Ce que le metteur en scène ne possède que trop peu ici. il faut donc compenser, ce qu'expliquait très bien Sergio Martino dans son entretien contenu dans le Blu Ray Arrow de THE CASE OF THE SCORPION'S TAIL. Et Franco s'en donne à coeur joie, zoomant et dezoomant sur des visages, yeux, seins, décors à ne plus savoir qu'en faire quitte à provoquer une saturation de ces mouvements artificiels. Comme s'il tentait de donner vie à une scène (qui n'en a pas forcément besoin), comme le dialogue entre le journaliste (Fernando Bilbao) et le commissaire, à la 15e minute.
Gros paradoxe, tout de même, avec un film qui cherche à proposer du fantastique aux amateurs venus chercher des sensations - pour se retrouver avec un film d'une lenteur parfois déroutante, aux visuels tantôt spectaculaires, tantôt d'une tristesse contemporaine morne et languide. Une contextualisation moderne des codes gothiques qui déroute. On y retrouve bien le château abandonné, le caveau sinistres, les escaliers de pierre ombrés, les toiles d'araignée, les gros plans sur les visages terrorisés, les canines proéminentes des vampires, le nom de Karlstein (en hommage à une lettre près au récit de Sheridan le Fanu et à sa Carmilla déjà abonnée aux penchants féminins)' mais au profit d'une redistribution de ces éléments dans un univers propre à Jess Franco. Aucune peur particulière à attendre, ni d'orgie gore : le regard de Franco reste ailleurs. Fixé sur un immuable intérêt pour le corps féminin, le lascif et la quête d'une durée de long métrage propre à satisfaire les exigences économiques. d'où cette sensation que le réalisateur allonge inutilement certaines scènes.
Et dire qu'Howard Vernon n'a presque rien à faire que d'attendre dans son cercueil, c'est quand même un comble. En fait, il aurait peut-être fallu accompagner l'ensemble par la version espagnole (si celle-ci est disponible ?), où Howard Vernon communique par télépathie mais en voix off avec Luisa, alors qu'il reste muet dans la copie française. Tout comme, également, la partition s'avère différente. Ce qui expliquerait peut-être le nom du musicien au générique, René Sylviano - auteur de musique pour les films de Maurice Cloche, Jean Stelli mais aussi des productions de Robert de Nesle, comme LES DEUX ORPHELINES de Riccardo Freda. Egalement Daniel White, non crédité ici à la musique mais sur d'autres copies hors France. Mais le décalage entre certaines scènes (notamment la deuxième scène d'amour vers la fin) et le contenu musical fait penser à une reprise de musiques préexistantes (une librairie sonore, sans doute). Le ton musical fait très (trop) années 60 pour un film de 1972 et ressemble assez peu au style de Sylviano au final.
Franco parsème son long-métrage de plans parfois sublimes, et totalement gratuits, Au milieu de regards perdus et de focus au bord du flou. Dans ce fatras stylisé émerge Britt Nichols (redevenue Carmen Yazalde depuis et désormais célébrité à la TV argentine), altière, expressive, carnassière. Qui donne ici sa plus belle prestation de sa courte carrière. Franco la filme merveilleusement bien, elle donne une épaisseur à un film claudicant, traversé par les fulgurances visuelles et délires fantasmagoriques, une certaine laideur du moderne filmé - tout autant que par des choix hasardeux, pour ne pas dire bordéliques et cheap. Tout le charme du cinéma de Jess Franco, en somme.
Le Blu Ray français de chez Artus Films arrive en 1080p, codé région B, au format respecté 2.35:1 et d'une durée complète de 82mn07. A noter que le film était déjà sorti en 2016 chez le label Redemption aux USA et Canada, sous le titre DAUGHTER OF DRACULA. Il s'agit en tous cas d'une première en France, le tout dans un combo avec un DVD zone 2 à l'intérieur, contenant les mêmes éléments que le Blu ray. A noter une petite erreur au dos de la jaquette concernant les durées du film. Celle du DVD est erronée :il ne s'agit non pas de 85mn, mais bien de 78mn50. A noter que le DVD ne permet pas de voir la séquence pre-menu du Blu Ray, présentant la collection Jess Franco. A l'instar du blu ray des EXPERIENCES EROTIQUES DE FRANKENSTEIN, l'accès par chapitres est absent, mis le film est bien découpé en douze séquences.
Oubliée, votre vieille VHS Videobox sortie en 1982, avec sa copie recadrée, percluse de griffures et de plans aux contrastes suspects. Dès le générique de début, on semble être en présence d'un beau travail. Presque aucune griffure ou poussière, une fixité des couleurs. Les décors et costumes bénéficient de couleurs vives, un net changement des copies connues jusqu'à présent. Voire par exemple la tenue de Britt Nichols/Carmen Yazalde lorsqu'elle descend au caveau, qui ressort vraiment de manière attrayante. Un niveau de détail agréable à l'oeil. Les ayatollahs du grain filmique vont certainement monter dans leurs tours en hurlant, mais entre la version Redemption et ses rayures et ce Blu Ray-ci, on choisit sans peine la version Artus. Même s'il faut reconnaitre un usage évident de réduction du bruit visuel et des couleurs parfois poussées de manière trop outrancière : la couleur de peau de la première victime (Yelena Samarina) tire sur l'orange, tout comme les premières images du château en gros plan. On y dénote des pertes de contrastes, avec des noirs parfois bouchés. Et la scène de strip-tease (à partir de la 26e minute) verse dans un rouge beaucoup trop saturé. Pour être honnête, peu de monde se souvient de l'expérience de projection cinéma du film. Donc de là à savoir ce qui est de bon aloi ou pas, il faut être un chouïa de mauvaise foi pour savoir ce qui correspondait vraiment à la volonté de l'auteur. De ce fait, malgré les réserves exprimées juste avant, cette copie devrait rester la meilleure possible à ce jour. Moins de grain certes, mais il faut savoir raison garder et mettre en perspective : on n'est pas au désastre DNR du premier Blu Ray de PREDATOR (parmi les pires exemples)- très loin s'en faut. Un autre regret : de ne pas bénéficier de la version alternative «habillée», telle que tournée pour le marché espagnol. (certaines de ces scènes sont présentes en bonus sur le BD américain).
Une version française en LPCM 2.0, pas de version espagnole, sans aucun sous-titres. Là aussi, un joli boulot. Très peu de souffle, musique bien en avant, dialogues très clairs. Un vrai plaisir et un rendu monophonique agréable. Pas de sous-titres, par contre.
En suppléments, un entretien analytique avec Jean-François Rauger, programmateur de la Cinémathèque Française, qui, après un bref rappel chronologique et posant le décorum du tournage et des conditions du cinéma de Franco, entre dans le vif du sujet. Passionné et passionnant, avec une véritable valorisation du film et de son sujet. Il réussit à propulser le cinéma de Franco dans la beauté de la mémoire collective cinéphile, tout en le replaçant dans la «banalité du monde contemporain». Rauger aime le film et le cinéma de transe made in Franco, et il en parle remarquablement bien. On retrouve également les mêmes films films annonce que sur le Blu Ray des EXPERIENCES EROTIQUES DE FRANKENSTEIN, à savoir des films de Jess Franco disponibles chez l'éditeur, ainsi qu'un diaporama de près de 3mn.