Lorsque son mari meurt dans un accident d'avion, Lisa Baumer (Evelyn Stewart) apprend qu'il lui lègue 1 million de dollars via son assurance vie. Elle se rend à Athènes afin de toucher la somme, pour réaliser être suivie par Peter Lynch (George Hilton), au service de la société d'assurance. Mais également par Lara Florakis (Janine Reynaud), maitresse de son mari, qu'elle accuse d'avoir tué. Mais lorsque Lisa est assassinée, une série de violents meurtres s'enclenche.
Cette nouvelle réalisation de Sergio Martino prend place après quelques oeuvres entre mondo moral et western, mais surtout suivant l'énorme succès de L'ETRANGE VICE DE MME WARDH. Le succès ne sera pas forcément au rendez-vous côté français pour LA QUEUE DU SCORPION, puisque le film connut un échec relatif avec 42 082 entrées (dont 26 060 parisiennes), réparties sur 6 ans (!) d'exploitation où les copies tournèrent jusque fin 1979. A noter que le film sortit le 4 octobre 1973 à Paris à l'Hollywood Boulevard, où le film ne resta qu'une semaine à l'affiche avec une maigrelette recette de 742 entrées, avec un autre cinéma, le Saint-Antoine. Tout le paradoxe d'un genre qui n'intéressa que très modérément les spectateurs français à l'époque hormis les amateurs de films de genre que nous sommes, et qui font perdurer un art du cinéma populaire souvent méprisé (et à tort).
Le sujet du film revêt une apparence classique : une intrigue nouée autour d'une escroquerie à l'assurance entrainant une cascades de morts. Martino et son scénariste quasi attitré Ernesto Gastaldi brodent autour de ces éléments pour verser dans un exercice de suspense particulièrement retors et efficace.
Bien que trois noms soient au générique, il apparait que Sauro Scavolini ne sera consulté que pour quelques réécritures et que le nom du producteur Eduardo Brochero ne correspond qu'à un accord de co-production. Il n'a rien fait sur le scénario, un peu le même genre d'accords qui poussèrent la co-production française d'UNE FOLLE ENVIE D'AIMER de placer Bertrand Tavernier comme assistant réalisateur alors qu'il fut absent du tournage. Quand même... Tavernier assistant de Lenzi, ça aurait eu de la gueule. Bref.
D'un point de vue de l'écriture, Gastaldi ne s'embarrasse pas de préjugés. Il surfe sur des modes opératoires de plus en plus violents, et s'inspire (copie') de deux maitres du thriller : Alfred Hitchcock et Dario Argento. Un début particulièrement Hitch reprenant la narration de PSYCHOSE en éliminant celle qu'on croit être l'héroïne au bout d'un tiers du film. La comparaison ne s'arrête pas là, puisque le parallèle Marion Crane/Lisa Baumer se poursuit via également la somme d'argent qu'on comprend dérobée de manière illégale - et une mort particulièrement atroce. On pousserait presque le vice, pas étrange celui-ci, à comparer Norman Bates et John Lynch dans la caractère scénarisé jusqu'à la révélation de leur culpabilité. Un scénario au final assez outré, aux rebondissements et fausses pistes ingénieuses. Puisant copieusement toutefois dans divers éléments existants. Y compris un repiquage (hommage') de L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, via l'agression de Lara Florakis et la scène de la porte' tout comme trouvant comme moteur un héros argentesque typique - le quidam enquêtant sur des meurtres dont il lui semble que quelque chose de primordial lui échappe. Martino et Gastaldi vont d'ailleurs jouer sur cette idée et la pousser un peu plus loin - au détriment d'une logique déjà bien mise à mal! Tout en jouant égalent sur les règles tarabiscotées du Giallo alors bien en place - voir la scène où Cleo, Stavros et Lynch conversent sur les mobiles possibles, tout en égrenant quelques possibilités de ce qui ressemble à des scénarii à éprouver (ou qui l'ont déjà été!). Une savoureuse mise en abyme.
Du côté visuel, Martino verse dans une expérimentation quasi vernaculaire. Quitte à prendre des risques stylistiques. Il livre un norme jeu sur les couleurs : appartement vert et jaune de l'hôtesse de l'air, éclairage verts clairs nocturne lors de l'agression de Cleo Dupont, et les inévitables codes rouges propres à la violence annonciatrice - comme la robe rouge de Lara Florakis. Il alterne des contre-plongées vertigineuses (à 31mn10), avec des jeux sur la verticalité du plan, de la mobilité/caméra à l'épaule. Il ose également révéler la tête de l'assassin à la moitié du film, dans un plan très bref. Un procédé qu'Argento reprendra par ailleurs de manière beaucoup plus élaborée dans LES FRISSONS DE L'ANGOISSE.
Martino n'oublie pas que l'ensemble demeurerait incomplet sans un accompagnement musical lui aussi en rupture. Le choix de Bruno Nicolai, ici maitre de la menace, s'avère parfait. Qu'il s'agisse de pizzicati, sons monocordes aux motifs répétitifs, une musique atonale et bruitiste par instants. L'ensemble musical inquiétant, hormis un rare morceau romantique (« Foglie Rosse » sur le CD de chez Digitmovies) colle parfaitement au prisme visuel audacieux que Martino tente d'imprimer à l'ensemble. Comme ce superbe ralenti de Janine Reynaud ponctué d'une piste sonore sourde à écho qui sublime la scène.
LA QUEUE DU SCORPION se (re)visite comme un vieil ami sur lequel on peut compter. On connait le bonhomme, où il veut nous entrainer et'on le laisse faire avec un plaisir renouvelé. Il croise un humour de bon aloi, avec un commissaire Stavros manipulant un puzzle le long du film, avec les stéréotypes attendus, comme un bon Giallo J&B en mode full force, (la marque-sponsor apparaissent de manière explicite et gratuite a au moins 3 reprises). Il offre également un personnage féminin de Cleo Dupont aux antipodes de l'oie blanche en péril comme Edwige Fenech pouvait en être. Cleo/Anita Strindberg reste une femme d'action qui ne subit pas - son métier de photographe journaliste le révèle plutôt bien. Le tout bercé par des dialogues assez fins, concis, peut être parmi les mieux écrits. Malgré des emprunts outranciers et ses scories, LA QUEUE DU SCORPION,, passe admirablement bien le test des années. Il garde un punch évident et un charme du cinéma populaire emballé avec beaucoup de soin.
LA QUEUE DU SCORPION représente une sorte de sommet qualitatif du Giallo italien, si l'on met à part les oeuvres de Dario Argento, clairement d'une ambition supérieure et d'une trempe narrative plus élaborée. Ceci nonobstant les commentaires désobligeants du scénariste Ernesto Gastaldi dans le commentaire audio du Blu Ray anglais de chez Arrow, sortit le 16 juillet 2018 sous son titre anglais THE CASE OF THE SCORPION'S TAIL.
Il s'agit d'un nouveau scan 2K du négatif original. Le Blu Ray 50G est en 1080p, au format 2.35:1 (tourné en Cromoscope - donc du Techniscope 2 perf. mais avec un tirage hors Technicolor) d'une durée complète de 95mn12, générique de la Titanus inclus - mais 94mn28 de film effectif, en retirant la musique du générique de fin. (à titre de comparaison, la durée du dvd Neo était de 91mn17, provenant également du négatif original. Le générique de début peut laisser dubitatif, avec son grain grisâtre du paysage londonien, le reste demeure sans appel : il s'agit une très nette élévation qualitative par rapport aux éditions DVD connues, qu'il s'agisse du français ou du pénible X Rated allemand. Le gros plan d'Evelyn Stewart (10mn18) étonne de par la qualité des détails, des traits de lumière sur les cheveux, la profondeur du regard. Au même titre que celui de Janine Reynaud à 45mn17 : la précision de traits, pigmentation de peau donnent un plus indéniable Idem pour les splendides plans aux couleurs néo-gothiques : l'agression d'Anita Strindberg baignée de vert luminescent, les plans de nuit américaine avec la poursuite sur les toits entre Luis Barboo et George Hilton. Les niveaux de noirs restent très bien gérés (vers la 48e mn), avec des contrastes au top Si le rouge carmin du chapeau d'Evelyn Stewart ne resplendit pas en extérieur, la robe rouge sang de Janine Reynaud explose à l'écran, en parallèle de sa longue chevelure rousse de feu! Une précision parfois surprenante, allant même jusqu'à pourvoir vérifier les informations sur la boite de paprika (55mn20)! Franchement, Arrow a effectué un très beau job qui donne enfin tout son lustre visuel au film. Un élément à charge toutefois, certains teintes de peau semblent forcées, comme virant parfois au trop orangé.
On redécouvre totalement la musique originale de Bruno Nicolai ici! Elle sort littéralement de l'ombre dans laquelle les précédentes éditions l'avaient laissée. Deux choix, entre le doublage italien et l'autre anglais, tous les deux en LPCM 2.0 mono. Diificle de départager qualitativement parlant des deux doublages. Ils apparaissent avec des dialogues clairs, des bruitages identiques l'ensemble enregistré de manière équilibrée - musique, bruitages et dialogues se détachant parfaitement les uns des autres; Les seules différences notables restent dans l'environnement sonore : la scène avec les journalistes vers la 30e minute produit des éléments divergents (on entend même un journaliste de France Soir sur le doublage anglais, absent du doublage italien, qui prend une autre tournure). Peu de souffle dans les deux cas, ce sera donc à chacun en fonction de sa préférence linguistique d'effectuer son choix.
Un commentaire audio, existant sur le DVD français de feu l'éditeur Neo, du scénariste Ernesto Gastaldi, modéré par Federico Caddeo. Pas vraiment un commentaire en soi, car Gastaldi digresse la plupart du temps sur d'autres sujets. Allant jusqu'à contester les sujets écrits par/pour Dario Argento, «stupides» selon ses dires. En fait, l'exercice tient plus de la conversation entre Gastaldi et son interviewer. Ce dernier tentant quelquefois de revenir au film, pour repartir parfois sur des éléments assez curieux. comme la possibilité d'avoir des relations entre acteurs suite aux scènes de nus tournés ensemble' franchement, quel intérêt' Le reste égrène des souvenirs de Gastaldi, des questions sur la qualité discutable d'acteur de Hilton, de l'aspect ridicule du trailer italien'et de temps à autres, des interventions vraiment intéressantes - sur notamment sur comment Martino a réussi à faire tourner un casting international avec différentes langues. Et sur l'existence de version italiennes ou anglaises comme langue originale. Gastaldi apporte quelques précisions très précieuses sur un débat parfois stérile de puristes' Un moment où on ne s'ennuie cependant jamais, tout allant relativement vite et Gastaldi un excellent client, bourré d'anecdotes.
Un premier entretien face caméra avec George Hilton (20mn56 - HD , en italien avec st anglais) survolant de manière précise les relations avec ses collègues, le travail avec sergio Martino, son amitié avec Luciano Martino et surtout sur le fait qu'il tentait avec LA QUEUE DU SCORPION de modifier son image Western et de héros' il mélange quelque peu la chronologie des événements, mais il donne un très beau voyage dans le temps, emprunt d'une certaine autosatisfaction et beaucoup de nostalgie.
Avec The Scorpion Tales, nous passons un peu plus de 3/4 d'heure en compagnie de Sergio Martino (en italien avec sous-titres anglais). Et une énorme surprise : dès le début, il indique avoir été influencé par Z de Costa Gavras, tentant de recréer le sens de l'urgence dans le rythme. Tout comme il révèle que, malgré l'avertissement final, le film a bien été basé sur un cas réel - qui inspira aussi L'ADORABLE CORPS DE DEBORAH. il Il révèle par ailleurs que certains éléments rajoutés après le tournage du film, comme la partie londonienne du début. (quiconque aura écouté soin entretien de 19mn dans le DVD Neo version avec bonus n'en sera pas étonné) Ce fut après avoir commencé à monter les rushes que Martino se rendit compte que a durée ne serait pas suffisante. Il fallut donc rallonger la sauce, quitte à Martino d'endosser la silhouette de Luis Barboo pour une scène, celui-ci étant indisponible pour revenir sur le tournage! Il lève également le voile sur certaines techniques de tournage et de placement de caméra afin de rendre le plus invisible possible certains acteurs ne sachant pas jouer correctement, de l'utilisation économique des zooms, les secrets de tournage du film et des acteurs' et le mystère enfin résolu des bouteilles de J&B! Un homme absolument passionnant à écouter mais attention : il parle à une vitesse supersonique!
On passe ensuite à un segment plus analytique avec le critique Troy Howarth, revenant sur Ernesto Gastaldi et son apport au cinéma de Sergio Martino. Très bien vu! Le tout complété par le film annonce italien original en HD, qui rattache (ni plus ni moins) la qualité excessive de LA QUEUE DU SCORPION à L'AGE D'OR de Bunuel ou encore M LE MAUDIT de Fritz Lang!? ainsi qu'une galerie de photos, une jaquette réversible. On n'oubliera pas non plus livret qui accompagne le Blu Ray, faisant un focus sur la réévaluation du film, tout comme effectuant un survol de l'oeuvre de Bruno Nicolai.
Une très belle édition, en définitive. Complète avec une vue de l'intérieur du produit fini (réalisateur, acteur et scénariste compris), ainsi que des prismes de lecture analytiques replaçant le contexte de LA QUEUE DU SCORPION, à la fois dans le travail du scénariste, dans la carrière du cinéaste. Le seul bémol : Arrow réserve cette édition aux anglophones. On recommande malgré tout fortement ce Blu Ray, en attendant qu'un éditeur français puisse s'intéresser à la sortie en HD de ce Giallo haut de gamme.
Remerciements à Didier Noisy et Renaud Soyer de Boxofficestory.com