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Critique du film et du Blu-ray Zone A
DELIRIUM 1987

LE FOTO DI GIOIA 

Difficile pour moi de porter un regard objectif sur DELIRIUM, l'avant-dernier Giallo que Lamberto Bava tourna pour le cinéma. Tant le film s'avère un regard définitif sur la suprématie du grotesque fantasmatique made in 80's. A la fois les stigmates du thriller en fin de vie, mais cultivant en parallèle ce qui en fit ses marques de fabrique.

Un produit lorgnant à la fois vers le salace - l'intrigue se noue au coeur d'un revue érotique nommée Pussycat. Mais aussi vers le violent, avec l'originalité du point de vue du tuer dont la vision change de couleur au gré de la construction des meurtres. 

Ces Photos de Gioia (jeu de mots sur «photos de joie» en traduction littérale, mais également sur le prénom de l'héroïne) arrivent dans un univers cinématographique italien en pleine crise. Aux trois quarts absorbés par un télévision-poubelle qui a vidé le Bis transalpin de sa substance première. Rares étaient les cinéastes qui arrivaient encore à produire, écrire et réaliser des films de genre. Le cas Dario Argento mis à part, l'exception qui confirme la règle. Ruggero Deodato pondait péniblement LE TUEUR DE L'ECLIPSE ou son lamentable THE WASHING MACHINE. Sergio Martino s'en est retourné à la comédie popu ou le film d'aventures familial genre CASABLANCA EXPRESS… tout est parti en lambeaux.

Pourtant, aussi médiocrement écrit qu'il soit, DELIRIUM fait encore office de résurgence heureuse du genre. Quota de filles dénudées en danger, armes blanches, symboles phalliques en veux-tu en voilà, frustrations, transgressions punitives… et singularité des meurtres. Une photographie hors norme de Gianlorenzo Battaglia, une construction adroite des scènes de suspens - voir ainsi celle du centre commercial, utilisé à merveille pour sa géographie assassine. Contre-plongée des escalators, ralentis salvateurs, travellings latéraux dans l'urgence. 

On notera également, vers 64mn50, la très belle scène où Gioia (Gloria dans la version anglaise) se retrouve prise au piège dans l'ascenseur, une hache à la main. Lumières rougeoyantes, clairs obscurs :l'espace clos rêvé, nimbé de ténèbres. En fait, le réalisateur amateur d'espaces confinés n'a pas son pareil pour élaborer l'angoisse, l'attente de l'attaque à venir. 

Hormis les quelques exigences dus au genre, Bava tente quelques éléments d'auto-dérision. Voire de désacralisation de ce qu'est devenu l'apparenté au cinéma : les studios de cinéma servent désormais aux videoclips, tout comme la visite des studios de cinéma tentent de recréér la belle époque des films d'aventures ou de SF à l'italienne. Un brin de nostalgie, et de montrer - du magazine, des séances de photos ou de tournage - l'envers du décord.

Bava doit cependant colmater les trous scénaristiques (et le sempiternel côté hypocrite transalpin) à l'arrache et compense le jeu limite de son actrice principale - choisie suite à la défection d'Edwige Fenech. Serena Grandi reste généreuse, mais pas son jeu. Elle ne doit sa présence que suite aux succès faramineux de MIRANDA de Tinto Brass, RIMINI RIMINI de Sergio Corbucci et de LA SIGNORA DELLA NOTTE de Piero Schiavazappa. Le tournage ne se passa d'ailleurs pas très bien, Bava devant coller aux exigences de diva de sa star sans broncher, tout comme éviter de fâcher le petit ami visiblement assez violent de Sabrina. Lamberto Bava indiqua quoiqu'il en soit entretenir un rapport hétéroclite avec le film, ne correspondant pas tout à fait à ce qu'il espérait. Entre les lignes, on comprend aussi qu'il s'agissait d'une oeuvre de commande pour le producteur Luciano Martino... par ailleurs mari d'Edwige Fenech pendant 8 ans. CQFD.

Pour la France, rien à espérer pour le moment : aucun éditeur ne parait s'intéresser à cette perle Bis. Mais deux éditeurs anglophones se mordent le mollet pour sortir les mêmes films : Code Red aux USA et Films 88 au Royaume Uni. Et ils se détestent. Enfin, plus l'un vus les vifs échanges perdus dans le cyberespace. Et pour DELIRIUM… Code Red : 1, 88 Films: 0. L'éditeur américain a effectivement effectué un travail bien meilleur en qualité de correction de couleurs par rapport à l‘éditeur anglais qui a pantouflé de ce côté-là; Y compris pour les bonus, quasi absents de l'autre côté de la Manche.

Pourtant, ça commence mal. La jaquette réversible de l'édition Code Red emporte haut la main la palme 2017 du pire visuel de l'année. Totalement répulsifs. Et quand on enfourne la galette, ce n'est guère mieux. Le menu fixe avec son pauvre montage photoshoppé de l'affiche italienne d'origine (égalament utilisé par ailleurs par Shriek Show pour son menu) fait mal aux yeux On se croirait revenu à un menu de DVD de 1998. Heureusement, le contenu de l'édition s'avère bien plus passionnant que l'affreux emballage.

La durée complète est de 93mn47, au format 1.85:1, en 1080p et encode AVC -MPEG4, double couche et doté d'un débit plutôt régulier. Ce qui représente à ce jour la version la plus complète à notre connaissance. Et excellente surprise : une copie 2K qui restitue enfin à merveille le splendide job de la photographie du film. Des nuits bleutées aux contrastes réussis, les intérieurs rococo de la villa où abondent les détails.

Le film est sorti au cinéma en Italie en version doublée en italien et mixée en Dolby Stereo. Autre doublage ici, anglais, en DTS HD MA 2.0. Sans aucun sous-titre optionnel, il faudra donc connaitre la langue de Mark Twain pour profiter des merveilleux dialogues du film. Linéaire, dépourvu de souffle, il s'agit une amélioration considérable pour qui possède le DVD Z1 de chez Shriek Show, chroniqué par ailleurs sur le site. La musique trépidante de Simon Boswell dynamise avec force les scènes de meurtres, et parvient à tirer son épingle du jeu. idem pour les dialogues, clairs, se détachant agréablement du fond sonore.

Code Red a préparé par ailleurs une belle salve de suppléments, tous produits et réalisés par Federico Caddeo, pour le compte de Freak-O-rama. Un certain gage de qualité, aux vues des nombreux éléments déjà produits sur certaines éditions récentes sorties en France (EXORCISME TRAGIQUE ou encore LA NUIT DES DIABLES). L'ensemble se présente en version italienne avec sous-titres anglais forcés.

Une entretien de presque 13mn avec Massimo Antonello Geleng qui possède curieusement des souvenirs très précis sur son expérience de directeur artistique. Beaucoup de frustrations sur la villa qu'il n'a pas choisie, mais qui était prête à l'emploi via un décorateur très en vogue à l'époque, nommé Fabian. Avec une multitude de détails vénitiens s'accordant parfaitement à l'ambiance quelque peu rococo de film. Tout comme le côté clinquant et vulgaire, collant au monde du personnage principal. Il s'illustre ainsi beaucoup mieux sur les décors des studios De Paolis (notamment sur la scène de danse de Sabrina Salerno, ou la scène de science-fiction).

Poursuivons avec le directeur Photo Gianlorenzo Battaglia, un autre régulier de la tribu Bava, qui explique le traitement de la couleur. Avec son invention géniale du point de vue du tueur avec les couleurs passant du rouge au bleu puis retournant au rouge. Grâce à un filtre rouge de son invention, qui aura donné du fil à retordre aux développeurs du négatif! Il exprime également un certain regret sur le côté baroque des lumières, préférant lui des lumières plus douces. Même si le choix de tourner en nuit bleue ajoute, selon lui, plus de profondeur de champ à la couleur et donne une identité propre au film. En revoyant le film en HD, c'est particulièrement criant sur la scène de poursuite nocturne de Serena Grandi. Ainsi que quelques anecdotes, comme Sabrina Salerno qui fut réellement piquée par des abeilles, ainsi qu'une intervention de nonnes d'un couvent contigu sur le tournage qui firent sortir les enfants présents du fait que Lamberto Bava hurlait à Sabrina le fait d'enlever sa culotte lors de sa scène apicole! A noter un choix très curieux de calligraphie des sous-titres ici, avec quelques erreurs de traductions, en majuscules jaunes. Très bizarre.

Un morceau particulièrement croustillant: le segment avec Luigi Montefiori, alias donc George Estman, mais qui n'utilise plus son pseudo aujourd'hui. Qui se contrefout du film. Cela ne l'intéresse pas: «c'est de la merde», ayant accepté les deux jours de tournage pour l'argent. Il déteste Lamberto Bava, traité d'idiot, de «demi-homme» depuis le tournage de CANI ARRABIATI. Edwige Fenech était aussi l'autre raison pour laquelle il avait accepté le film. Mais il fut terriblement déçu de trouver Serena Grandi à la place «une bien mauvaise actrice». Que de toutes les mauvaises actrices avec lesquelles il a travaillé, il s'agit de la pire. Donc, avec Bava aux manettes et Grandi à l'affiche, c'était selon l'acteur/scénariste impossible de faire un bon film. Il pousse plus loin en précisant en fait que la quasi totalité des films qu'il fit sont «d'énormes merdes», hormis KEOMA, L'ULTIMO KILLER et le REGALO DI NATALE de Pupi Avati. Pas du vrai cinéma. Pas ce qu'il écrit comme scénarii aujourd'hui, en fait. On en peut que le remercier d'avoir un franc-parler assez rare dans ce métier. Mais en même temps, il se dote d'un ego surdimensionné qui le fait passer pour un gros connard. Très décevant, assez méprisant - surtout par rapport aux spectateurs qui ont fait son succès - et qui permet de le retrouver ici sur ce bonus. Vous avez dit cracher dans la soupe?

Pour le reste, Code Red a eu la bonne idée de porter les interviews se trouvant sur l'édition DVD de chez Shriek Show : une interview de Lamberto Bava, de David Brandon et... George Eastman, qui se trouve en mode moins vieux con qu'en 2017. En 2002, il pensait que Lamberto Bava était intelligent, qu'il fit le film par amitié et qu'il est resté ami avec la Grandi. Faux-cul? En fait, il est plus qu'intéressant de comprendre l'évolution du (res)sentiment du réalisateur et de l'acteur à 15 ans de différence des deux interviews réalisées pour l'occasion. Pour ne pas faire de redite, il faut se reporter à la critique effectuée en 2013 du DVD Z1 du film, présente sur le site, où sont mentionnés ces trois segments. La qualité du portage sur Blu-ray reste toutefois réussie.

Avec le film annonce, cela donne à cette édition de DELIRIUM la plus complète à ce jour qu'il soit possible d'espérer.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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Une très belle copie HD
L’abondance de bonus relatifs au film
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Un menu et une jaquette épouvantables
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L'édition vidéo
LE FOTO DI GIOIA Blu-ray Zone A (USA)
Editeur
Code Red
Support
Blu-Ray (Double couche)
Origine
USA (Zone A)
Date de Sortie
Durée
1h34
Image
1.85 (16/9)
Audio
English DTS Master Audio Stéréo
Sous-titrage
  • Aucun
  • Supplements
    • Snapshots of a Murder - entretien avec Lamberto Bava (18mn51)
    • Inside Delirum - entretien avec Massimo Antonello Geleng (12mn52)
    • Murders in red and Blue : entretien avec Gianlorenzo Battaglia (8mn32)
    • Stories from the Bathtub - entretien avec Luigi Montefiori (8mn58)
    • Entretien 2002 avec Lamberto Bava (12mn41)
    • Entretien 2002 avec George Eastman (8mn40)
    • Entretien 2002 avec David Brandon (12mn51)
    • Film annonce
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