Alors qu'elle trace la route en direction de son prochain concert, la chanteuse africaine-américaine Liz Wetherly est victime d'une panne automobile. Perdue dans une zone isolée du sud des Etats-Unis, elle rejoint une petite bourgade afin d'y trouver un mécanicien salvateur. Mais la voiture ne semble pas vouloir redémarrer. La jeune femme est dès lors condamnée à demeurer une nuit au "Bertha's Oasis", un établissement douteux habité par la castratrice Bertha, le géant Keno, et le charmant Eddie, clone local d'Elvis Presley...
Michael Thevis aurait pu être un monsieur tout le monde et se contenter des modestes revenus de son kiosque à journaux. Mais Thevis n'était pas ce genre d'homme. Il aspirait à mieux pour lui-même, sa femme et leur trois enfants. La solution, il l'a trouvée en déroulant la page centrale du magazine Playboy. Il faut dire qu'au début des années 60, la revue de Hugh Hefner représentait un dixième des ventes de son petit kiosque ! Thevis se lance donc corps et âme dans le business du cuissot. De revues spécialisées en vidéos clandestines, le bonhomme finit par côtoyer le milieu de la pègre. Il verse alors dans le louche et fait même fortune avec de la pornographie clairement déviante et illégale. Au début des années 70, Thevis est à l'origine de 40% du marché de la pornographie aux Etats-Unis avec des librairies spécialisées, des peep-shows et des sociétés de production et distribution de vidéos... Un tel succès s'accompagne bien évidemment de quelques casseroles et celles de Thevis font tellement de bruit qu'elles intéressent rapidement le FBI. En 1976, une première incarcération sera synonyme de descente aux enfers. Thevis s'évade, lance un contrat sur l'individu qui l'a balancé et, en grand impatient qu'il est, décide de faire le boulot lui-même ! Condamné à 28 ans de prison, le "Scarface du Porno" aura tout de même tenté une parenthèse "honnête" en tant que responsable d'une maison de disque, et producteur de films "traditionnels". POOR PRETTY EDDIE, mis en boite en 1975, est né de ce bref élan vertueux...
Le projet est donc confié au réalisateur Richard Robinson, lequel vient de briller en réalisant deux perles du septième Art intitulées FANTAISIES SEXUELLES D'UN COUPLE LIBRE (1973) et LA GRANDE PARTOUZE (1974). Tout un programme ! De son côté, le scénario de POOR PRETTY EDDIE est à mettre au crédit du télévisuel B. W. Sandefur, qui a notamment œuvré sur LA PETIT MAISON DANS LA PRAIRIE. Après tant de mièvrerie, nul doute que le scénariste avait besoin d'un exutoire ! Il s'inspire pour cela d'une pièce de théâtre de Jean Genet intitulée "Le balcon". Celle-ci met en scène une galerie de notables qui vont un par un révéler leur vraie nature, au sein d'un bordel. Cette pièce sera adaptée au cinéma en 1963 sous le titre THE BALCONY, avec en tête d'affiche Peter Falk, et Shelley Winters. Et c'est la même Shelley Winters que nous retrouverons 12 ans plus tard en ex-Star du burlesque dans POOR PRETTY EDDIE. La boucle est bouclée ! A ses côtés, nous retrouverons dans le film l'impressionnant Ted Cassidy, bien connu pour son rôle de Majordome dans la série LA FAMILLE ADDAMS. Le rôle titre sera pour sa part tenu par l'acteur assez confidentiel Michael Christian, et celui de l'héroïne / victime par la ravissante Leslie Uggams. L'actrice aura également connu une carrière faite de petits rôles dans de petites productions. Nous noterons toutefois sa performance récente et hilarante dans DEADPOOL, en mamie aveugle au phrasé fleuri !
Dans POOR PRETTY EDDIE, Leslie Uggams interprète une femme de couleur perdue dans un patelin du Sud de Etats-Unis, à la population fortement typée "Redneck". Le malaise naît donc rapidement d'une situation contre-nature, dont on sait qu'elle ne peut que dégénérer... Mais contrairement schéma classique du "Rape & Revenge", le crime se produit assez tardivement au sein du métrage. Il se montre en outre bien moins explicite ou voyeuriste que dans LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE par exemple. En fait, POOR PRETTY EDDIE prend le contre-pied du "genre" et mise sur un ambiance étrange, décalée, dérangeante. Le spectateur sera ainsi confronté à une séquence de copulation canine qui offrira un parallèle pour le moins scabreux. D'autres interventions animales pourront sembler déroutantes mais c'est surtout le final, filmé entièrement au ralenti, qui achèvera de transformer les hommes en bêtes. Les bruitages et les hurlements déformés brossent alors le tableau d'une communauté bestiale, idiote et livrée à ses plus primaires instincts...
Inutile donc d'attendre de POOR PRETTY EDDIE qu'il pousse le curseur de la violence et du sexe au sein du répertoire déjà bien gratiné du "Rape & Revenge". L'identité du film est bien ailleurs et se veut plus subtile dans son approche. Car d'une certaine manière, le personnage d'Eddie n'est pas LE monstre du film. Le titre est du reste évocateur et tend à atténuer, voir légitimer son crime. Un si bel homme, si jeune, et talentueux de surcroît... Ce sont tout d'abord les habitants du "Bertha's Oasis" qui prendront la défense du violeur. Puis rapidement, c'est toute une communauté qui se ralliera à lui, face à une chanteuse noire au tempérament bien trempé. POOR PRETTY EDDIE n'applique donc pas seulement la recette bien rodée des "Rednecks contre citadins". Il ajoute une connotation raciale assez intelligente, car jamais clairement énoncée. La jeune chanteuse est une "négresse", mais c'est aussi une très belle femme. Haine, jalousie et envie se mêlent dès lors pour créer une situation inextricable, et finalement une accusation comparable à celles portées lors de l'inquisition. Parce qu'elle est aussi désirable que détestable, parce qu'elle est source de troubles dans la communauté, la "sorcière" est jugée coupable d'être ce qu'elle est, et doit disparaître...
Au-delà de son fond et de sa forme originaux et pour tout dire assez malins, POOR PRETTY EDDIE est un film qui s'avère assez bien mis en boite. Bien sûr, on fleure un évident manque de moyens mais globalement, les quelques décors font bonne illusion. Les acteurs principaux s'en sortent plutôt bien et c'est davantage dans les seconds rôles que l'on ressent un véritable amateurisme. Le surjeu est assez récurrent et l'on retrouve un peu de ce charme dément dont était empreint 2000 MANIACS. On aime ou on n'aime pas, mais force est de constater que cela tend à renforcer le malaise général... Ainsi, le spectateur ne ressortira pas de son visionnage choqué, mais marqué. La logique du film, sa mise en place progressive et certaines séquences forgeront son identité, de manière assez durable. Autant d'éléments qui font de ce POOR PRETTY EDDIE un métrage plus que recommandable, ou au moins à découvrir.
Pour cela, vous pourrez vous tourner vers le Blu-Ray américain zoné A, pour plus simplement vers le DVD français édité par Le Chat Qui Fume. Proposé pour dix malheureux euros, ce second choix nous semble être le bon puisque doté d'un sous-titrage francophone et disposant d'un confort technique appréciable. Le film est ainsi proposé dans un ratio 1.77 proche de son 1.85 d'origine, et ce via un encodage 16/9ème propre. La définition est très satisfaisante et la compression plutôt discrète. L'image n'est pas toujours d'une stabilité exemplaire et nous noterons quelques petites griffures, mais les couleurs sont belles et assez contrastées. D'une manière générale, la qualité vidéo est plutôt surprenante pour un tel produit !
Il en sera de même pour l'unique piste sonore proposée en anglais stéréo. N'espérez pas une quelconque ampleur ici, mais le rendu est propre et plutôt agréable. Les dialogues sont parfaitement clairs et vous serez épaulés dans votre compréhension par des sous-titres dénués de faute.
Bien que proposé à petit prix, le disque n'en est pas moins traité avec rigueur et professionnalisme par l'équipe du Chat qui Fume. Outre un packaging visuellement réussi et des menus joliment animés, nous avons également droit à deux bandes-annonces de l'éditeur, et un documentaire. Intitulé «La sordide histoire de Poor Pretty Eddie», il donne la parole à Foxy Bronx, spécialiste de la Blaxploitation à qui l'on doit de nombreux articles et Fanzines sur le sujet. Fidèle à lui-même, le bonhomme délivre son lot d'anecdotes au sujet du métrage, de ses multiples sorties, et de son producteur sulfureux. Daté de 2014, ce témoignage déjà très riche sera complété deux ans plus tard et donnera lieu à un article de 8 pages dans le premier numéro du pro-zine Soul Street.