En 1970, le Mc Carran Act est prononcé. Cette loi autorise le
gouvernement fédéral sans en référer au
congrès, à mettre en détention toute personne susceptible
de mettre en péril la sécurité intérieure.
C'est de cette loi que se réclame le tribunal de fortune réuni
sous une toile de tente, qui va statuer sur l'avenir d'un groupe de
jeunes dissidents : le Groupe 638. Les chefs d'accusation bien que minimes,
les exposent pourtant à des peines de prison allant de 7 à
21 ans de prison ferme, à moins d'opter pour un périple
de quatre jours dans PUNISHMENT PARK. Le Groupe 637 est déjà
sur le départ. Son objectif : atteindre la bannière étoilée
plantée au milieu de nulle part. Les moyens mis à sa disposition
: aucun. Lâchés comme des bêtes, sans nourriture
et sans eau, dans un désert aride où la chaleur inhumaine
du jour cède la place à des nuits glaciales, les membres
de ce Groupe doivent atteindre le drapeau sans se faire arrêter
par la police lancée à ses trousses, à défaut
de quoi ils se verront jetés en prison pour effectuer la peine
requise à leur encontre. La chasse à l'homme commence.
Les flics sont sur les dents, le Groupe veut s'en sortir. Les jeunes
gens décident de se séparer en trois groupes : les uns
prennent le parti d'attendre, les autres décident de se battre,
les derniers d'atteindre le symbole de leur pseudo-démocratie.
Oeuvre excessivement contestataire, PUNISHMENT PARK, sorti en 1971 dans une salle de la périphérie de New-York, fut exploité quatre jours seulement aux USA. Il se verra ensuite refouler par les distributeurs et n'a jamais été diffusé sur une chaîne de télévision américaine. Et pour cause : son réalisateur n'a pas les honneurs outre-atlantique, où il est considéré comme un fauteur de trouble paranoïaque et extrémiste. D'une apparente simplicité, PUNISHMENT PARK, qu'on pourrait assimiler au film de propagande d'un groupuscule anarchiste, reste un film d'anticipation et son auteur, Peter Watkins, un visionnaire. En effet, si on s'en réfère aujourd'hui aux camps de redressement américains pour lesquels peuvent opter les délinquants, afin d'éviter une peine de prison ferme, on frôle de très près le "délire" de PUNISHMENT PARK. Autre exemple, dans une autre partie du monde, connue pour sa conception très particulière des Droits de l'Homme, à savoir la Russie où des milices liées à la mafia locale interviennent avec la bénédiction de la police (donc des autorités) pour punir les délinquants abusant de substances illicites. Ils sont punis, brimés, battus, humiliés, le but étant d'en faire des agneaux dociles.
PUNISHMENT PARK dénonce
la violence des Etats-Unis, à l'égard de ceux qui rejettent
la pensée unique et la mondialisation. Il dénonce aussi
fort le mépris de cette super-puissance à l'encontre des
minorités, qu'elles soient noires ou communistes, voire les deux.
Ainsi, sur le banc des accusés, sont assis des noirs américains,
des chicanos et des gauchistes de la première heure. Des hommes
et des femmes mus par une même volonté d'égalité,
de justice et de paix. En ces temps troublés que sont les seventies,
sur fond de guerre du Viêt-Nam et de guerre froide, autant dire
que se justifier de telle ou telle idéologie était extrêmement
dangereux, en tous cas très mal vu. En face de ces délinquants
politiques, sont installés des américains moyens, propres
sur eux et soi-disant défenseurs de l'ordre établi. La
morale est leur maître mot. Le procès est filmé
nerveusement, les protestations des uns se heurtent violemment aux accusations
des autres. Le procès devient très rapidement une mascarade.
La présence de l'avocat commis à la défense des
accusés est l'exemple même de toute l'hypocrisie qui suinte
à travers l'organisation de ce jugement où les dès
sont pipés. Les accusés sont coupables. Ils doivent payer
leur dette à cette société à laquelle ils
refusent de s'aliéner. Deux solutions s'offrent à eux
: une peine de prison interminable, totalement disproportionnée
avec les délits commis, ou PUNISHMENT PARK. L'ironie de
Peter Watkins
n'est pas innocente dans le choix du titre, d'ailleurs, puisqu'on y
verra volontiers une référence aux parcs nationaux américains
ou encore aux parcs d'attraction où se pressent et s'uniformisent
des millions d'américains. On pensera aussi immanquablement aux
réserves d'indiens dépossédés de leurs territoires,
parqués sur des terres stériles, livrés à
eux-mêmes. Peter
Watkins se contente de grossir le trait, rêvant que le public
va s'apercevoir de la grande arnaque mondiale dans laquelle il est englué,
et qu'il va se décider à refuser enfin cet état
de fait. Ce n'est pas un hasard si en 2000, il a tourné un film
intitulé LA COMMUNE, qui aborde les thèmes chers
au réalisateur.
Revoluçion !
Pourtant, PUNISHMENT PARK
peut aussi être vu comme une métaphore. Celle du parcours
du combattant de toute personne qui veut s'élever contre un état
totalitaire et policier. Il n'est pas étonnant de voir dans le
Groupe 637 trois courants de pensée choisissant chacune une façon
d'agir : le combat armé, la passivité ou l'avance naïve
selon les règles dans l'espoir de mieux les dénoncer plus
tard. Une véritable traversée du désert où
il n'existe peu ou pas d'échappatoire face à la répression
armée et aux moyens mis en oeuvre pour écraser toute forme
de rebellion. Même si l'histoire se déroule aux Etats-Unis
dans les années 70, le film pourrait ainsi se déplacer
sans problème de nos jours et dans n'importe quel pays ! Plus
proche de nous cinématographiquement parlant, on ne peut s'empêcher
de penser à BATTLE ROYALE qui, s'il ne développe
pas exactement les mêmes thématiques, se rapproche pas
mal d'un PUNISHMENT
PARK dans la dénonciation des dérives du système.
Peter Watkins est un perturbateur dans l'âme, un agitateur reconnu dans les milieux contestataires comme l'un des maîtres à penser de la Liberté. Son discours est fondé sur le rejet des mass-medias à la solde du pouvoir, qu'il considère comme étant les suppôts des capitalistes les plus redoutables (je ne citerai pas de nom mais suivez mon regard !) bref, Peter Watkins est de tous les combats, le cinéma lui permettant dès ses débuts de s'insurger contre la guerre, par le biais de son premier court-métrage, JOURNAL D'UN SOLDAT INCONNU (THE DIARY OF AN UNKNOWN SOLDIER), que vous découvrirez sur cette édition. PUNISHMENT PARK, sous couvert de ficelles assez grossières, fait partie de ces brûlots cinématographiques qui jalonnent la carrière du réalisateur. On pourra aussi citer LA BOMBE, une commande de la BBC qui prit le risque de confier à Watkins le soin de réaliser un film sur l'utilisation de la force nucléaire. Bien sûr, il s'en donna à coeur joie, réalisant en quelques semaines de tournage un film terrifiant, où l'on découvrait avec horreur les ravages que pouvait provoquer une explosion. Les plus hautes instances politiques furent invitées à visionner le film, qui fut par la suite interdit de diffusion télévisuelle dans le monde entier par la BBC pendant vingt ans.
Ce DVD édité par Doriane Films, permettra aussi de découvrir, outre l'étonnant PUNISHMENT PARK, et pour peu qu'on s'intéresse à la carrière mouvementée du réalisateur, ses deux premiers court-métrages : JOURNAL D'UN SOLDAT INCONNU, auquel je faisais référence plus haut Celui-ci rappelle étrangement le poème de Rimbaud " Le Dormeur du Val ", qui démarrait sur un ton bucolique, s'attachant à décrire la quiétude du paysage alentour, avant de s'attarder plus précisément sur le soldat apparemment assoupi... Le second court-métrage, VISAGES OUBLIES (FORGOTTEN FACES), a été tourné en 1961, et fait référence au soulèvement anti-soviétique qui s'est produit à Budapest en 1956. Ces deux courts sont annonciateurs de toute l'oeuvre de Peter Watkins. A cet égard, il est intéressant de les visionner et on félicite l'éditeur de cette initiative. Des extraits de critiques assassines, engagées, ou admiratives complètent cette édition, ainsi que la filmographie du réalisateur.
Cette édition n'ayant pas de codage régional, le film peut être visionné sur n'importe quel lecteur, ce qui espérons-le facilitera sa diffusion dans le monde. A cet effet, il est visible en version originale, en version originale sous-titrée français ou allemand. Une aubaine pour tous ceux qui voudraient s'imprégner de l'idéologie du réalisateur irrévérencieux.
PUNISHMENT PARK reste un film de pure fiction ou plutôt un docu-fiction, puisque le parti pris du réalisateur était de tourner un faux documentaire. Notons d'ailleurs à ce propos que la plupart des acteurs sont de jeunes comédiens, pour ceux qui constituent les deux Groupes, tandis que les membre du tribunal de pacotille sont des civils recrutés par Peter Watkins.
L'image n'est pas exempte de défauts, bien au contraire. Mais cette édition se justifie par le seul message porté par le film, sans qu'elle ait besoin de proposer une image parfaite qui nuirait à l'authenticité apportée par les choix de tournage. Idem pour le son, en mono, qui conforte le spectateur dans l'idée qu'il visionne un documentaire d'époque.
On adorera PUNISHMENT PARK ou on le détestera. On le trouvera daté (un peu trop " peace and love " pour 2002) ou extraordinairement actuel, pensez à la mondialisation notamment. Quoi qu'on en dise, il ne laissera jamais personne indifférent, ce qui suffit à l'élever, si ce n'est au rang de chef-d'oeuvre, du moins au rang des oeuvres incontournables du 7è Art engagé politiquement.