Header Critique : KALDALJOS (LUMIERE FROIDE)

Critique du film et du DVD Zone 2
KALDALJOS 2004

LUMIERE FROIDE 

Quoi de plus paradoxal de connaître son propre futur, mais que de ne le réaliser trop tardivement ? Grimur (Ingvar Eggert Sigurðsson) suit un cours de dessin mené par Linda (Ruth Olafsdottir). Il peint ce qu'il croit être comme réel : ses coups de crayons particuliers et macabres semblent indiquer le futur. Tandis qu'une relation se noue avec Linda, il se souvient de son adolescence. Grimur (Áslákur Ingvarsson) est un adolescent perturbé, possédant visiblement un pouvoir de prescience via ses dessins, pointant vers une catastrophe en devenir.

Comme de nombreux films islandais chroniqués sur le site le montrent, le lien entre fantastique et réalité est ténu. A l'instar de BOÐBERI, KOLÐ SLOÐ, ce KALDALJOS (littéralement LUMIERE FROIDE) n'échappe pas à cette règle. Il est adapté du livré éponyme de Vigdís Grímsdóttir, paru en 1987, qui traite d'une superstition connue des Islandais, à savoir la prédiction du futur. Pouvoir ou malédiction ?

KALDALJOS tranche radicalement avec les thrillers comme KOLÐ SLOÐ. Tout d'abord la narration : Reposant sur un jeu de flash-backs entre les deux âges du héros. Son épopée adolescente, la difficulté d'appartenir à une communauté, son impossibilité de communication et la réalisation de son pouvoir. Les dessins de Grimur sont non seulement magnifiques et cruels mais, il ne le comprend pas encore, il dessine le futur. Ses rencontres étranges mélangent passé et présent. Fantômes ou fantasmes, sa compréhension de son propre monde limite son épanouissement. Voir le moment où il esquisse un bateau en train de couler. Le suspens de savoir si son père ou non était à bord, palpable pour la communauté villageoise attendant avec anxiété au port est contrebalancée par l'absence de réaction de Grimur. Pourtant ouvert avec sa mère et sa sœur, tiraillé par un violent vomissement lorsque son ami Tumi (Elís Philip William Scobie) arrache les ailes d'un oiseau «pour lui faire plaisir»... Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez Grimur.

Sa vie avec sa famille au sein d'un village reculé lui permet de renforcer sa créativité. Sa mère considère un enfant bouillonnant d'imagination, alors que Grimur reste persuadé que ses tableaux sont inspirés du réel. Sa rencontre avec une vieille habitante nommée Alfrùn (Kristbjörg Kjeld) se solde par la vision d'une vieille femme aux cheveux blancs chevauchant un balai dans les airs. Sorcière ? Rêve ? Probablement un peu des deux, car Grimur demeure le seul à pouvoir la voir. Et à écouter les conseils qu'elle prodigue. Le dessin reste l'unique moyen pour Grimur de se rattacher à une certaine réalité, tout en devenant un objet transitionnel. Un relais entre le passé et le présent. Puis avec la seconde partie du récit, concentrée sur un Grimur adulte, n'ayant pas encore résolu ses traumas.

La caméra d'Hilmar Oddsson parvient à capturer une beauté mystérieuse des paysages sauvages islandais. La présence monstrueuse de la montagne surplombant le village de Grimur. Les étendues naturelles, de l'immensité de la perdition. Un sens aigu de la mélancolie, du drame de la perte d'être chers – et la peur du lendemain. Le travail sur la photographie du directeur photo Sigurdur Suerrer Palsson se révèle superbe, dans la prolongation du tire du film, magnifiant une idée de la lumière froide qui parcourt le film. Remarquable travail, surtout sur la partie adolescente. Il se dégage une ombre de conte de fées, une certaine magie des lieux et des hommes. Le choix d'une lumière naturelle blafarde pour le récit contemporain épouse là aussi parfaitement le sujet choisi.

Tout concourt ainsi à faire poindre les deux récits sur cette unique nuit cathartique où la vie de Grimur basculera. La nature est capitale. Et cette immense tempête de neige précipite passé, présent et futur. Les deux points de vue -adolescent et adulte- d'un seul et même personnage qui forgent l'état d'âme. Ceci ne se fera pas sans accident de la vie. Lara, la modèle posant pour Grimur lui provoque des dessins dramatiques qui font réagir Linda, la jeune professeur. Le spectateur s'étonne ainsi peu du suicide de Lara peu de temps après. Tout comme de l'abandon de Linda enceinte par un Grimur déphasé.

Il existe, forcément, une gravité dans le mode d'expression des personnages comme du film. Oddsson choisit délibérément de ne pas balancer un spectacle facile au spectateur. Pas d'explosions, d'effets spéciaux qui auraient eu pour but de sombrer dans le démonstratif à tout prix. Le récit garde son cap sur l'étrange et la dichotomie entre les deux âges de Grimur. Ceci jusqu'à l'explication finale – dont certains morceaux se révèlent au fur et à mesure de l'histoire. Cette capacité de présages artistiques ne sera jamais jugée, juste un état qui se doit d'être appréhendé par son porteur. Comme faisant partie intégrante de son existence, malgré les affres de la vie. Une acceptation d'un certain mysticisme qui emplit l'âme, mais vide la vie. Car aussi bien enfant qu'adulte, Grimur paraît sans expression, sans sentiment. Une existence apathique, en suspens. Où il perçoit ses capacités exceptionnelles comme une vraie malédiction, car n'en comprenant pas le sens. Hormis le fait d'aboutir à la mort de ses protagonistes.

Mais de ne garder que cet aspect de KALDALJOS est trompeur. Le film, bien que parfois pesant, reste emprunt de scènes qui transfigurent et tranchent avec la double réalité de l'enfant/adulte. Porté par des acteurs au jeu minimal mais essentiel. La séquence sur le port d'attente du retour du bateau survivant, Un des rares moments du film où la vie/la douleur s'exprime réellement. Où le réalisateur fait comprendre que Grimur ne perçoit qu'une partie de la réalité. Que la vie (et la mort) sont bien présentes et que des humains ressentent pleinement le vide et le manque. Les touches d'humour bienvenues surviennent avec Guðbjörg (Helga Braga Jónsdóttir), la compagne de dessin de Grimur. Il existe quelques échappatoires au récit qui aèrent de ce fait une atmosphère étouffante – pour se terminer sur une véritable note d'espoir.

KALDALJOS épouse une structure narrative parfois risquée, suivant deux cours parallèles se rejoignant en bout de course. Sa poésie, alliée à un fantastique inhabituel, permet au spectateur de se glisser dans un monde peu visité par le cinéma grand public. Le film ne cherche pas l'emphase dramatique, le spectaculaire ou les effets de manche. Plus vers un fantastique insidieux, partie intégrante de la vie quotidienne et un portrait délicat d'une âme en peine. Il s'agit de la reconstruction d'une vie brisée, par touches discrètes de souvenirs meurtris et de notion de perception de réalité, d'acceptation de soi. Prenant et hypnotique, KALDALJOS est une véritable curiosité et les amateurs de cinéma autre auront tôt fait de se précipiter dessus.

Le DVD islandais édité par Sena reste l'unique possibilité de découvrir KALDALJOS. Au format 1.85:1 et 16/9eme avec une durée exacte de 90 minutes et 59 secondes. Le télécinéma est agréable à l'œil. Rien d'exceptionnel mais pas de trace de compression, aucune griffure apparente ni poussière. Les teintes de peau apparaissent naturelles et compte tenu des choix de photographie, c'est une réussite : voir la scène de repas à 33mn05, où le ciel bleuté nuit ressort magnifiquement de l'intérieur teinté de couleurs chaudes. On remarque bien la différence de choix de pellicule entre les scènes du passé et du présent, mais il ne s'agit en rien d'un reproche ! Un mixage 2.0 en version islandaise (avec sous-titres anglais amovibles) permet de profiter au mieux de cette co-production islando-britannnico-norvégienne. A noter que la jaquette indique un mensonger 5.1 au dos. Les dialogues sont clairs, précis et la partition musicale ne prend pas le dessus de manière inopinée. Peu de bruitages et une source venant principalement de la voie centrale. Dommage, on aurait espéré un mixage 5.1 plus enveloppant pour renforcer le sentiment d'étrangeté que le film transpire.

La partie bonus aurait pu être très intéressante, malheureusement, aucun sous-titre anglais de disponible. De ce fait, les près de 50 minutes d'entretiens avec les auteurs & acteurs passeront à la trappe du fait de l'islandais pur et dur. On pourra se consoler avec les deux clips vidéos des deux chansons du film.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
56 ans
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397 critiques Film & Vidéo
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Un conte fantastique inhabituel, empreint de poésie et de gravité
On n'aime pas
Absence de sous-titres pour les bonus
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L'édition vidéo
KALDALJOS DVD Zone 2 (Islande)
Editeur
Sena
Support
DVD (Double couche)
Origine
Islande (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h31
Image
1.85 (16/9)
Audio
Icelandic Dolby Digital Stéréo
Sous-titrage
  • Anglais
  • Islandais
  • Supplements
      • Interviews
      • Hilmar Oddsson (13mn56)
      • Ingvar Eggert Sigurðsson (5mn12)
      • Ruth Olafsdottir (4mn32)
      • Kristbjörg Kjeld (3mn57)
      • Helga Braga (5mn25)
      • Áslákur Ingvarsson (3mn17)
      • Snæfríður Ingvarsdóttir (2mn)
    • Commentaire audio de Hilmar Oddsson
      • Music Video
      • Stick «Singapore Sling»
      • Er Du Birtist : «kk»
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