A l'issue de la représentation d'une pièce de théâtre, on découvre que l'un des comédiens a été assassiné. Plus étonnant, après le meurtre, plutôt que de s'enfuir, le meurtrier a endossé le costume de singe du comédien pour jouer son rôle dans la pièce. Un premier meurtre qui sera suivi d'une vague d'assassinats qui touche de très près Cesar Charron, comédien et meneur d'une troupe de théâtre dont le passé a déjà été émaillé d'un effroyable assassinat à coup de hache !
Durant les années 60, l'AIP (American International Pictures) décide de produire un métrage d'épouvante plus ambitieux que les séries B confectionnées habituellement en son sein. LA CHUTE DE LA MAISON USHER va connaître un tel succès que cela mènera Roger Corman, instigateur original du projet, à mettre en scène d'autres adaptations d'Edgar Allan Poe. Toutefois, lorsque le réalisateur décide de prendre une autre voie, après LA TOMBE DE LIGEIA, les patrons de l'AIP, Samuel Arkoff et James Nicholson, vont continuer d'exploiter le nom de l'écrivain, parfois de manière très discutable. Gordon Hessler va alors réaliser les trois derniers films liés à Edgar Allan Poe qui seront produits par l'AIP. Après LE CERCUEIL VIVANT et LES CROCS DE SATAN, le cinéaste se voit confier la réalisation de MURDERS IN THE RUE MORGUE.
Le titre du film ne devrait laisser planer aucun doute mais MURDERS IN THE RUE MORGUE n'est pas vraiment une adaptation de la nouvelle «Double Assassinat dans la rue Morgue». Le scénariste Christopher Wicking et le réalisateur Gordon Hessler vont faire un choix radical. En effet, pour eux, l'histoire originale d'Edgar Allan Poe est bien trop connue, ne laissant donc pas vraiment de place au suspense. C'est pourquoi, MURDERS IN THE RUE MORGUE va intégrer l'histoire de manière assez inattendue. Le personnage central du film devient un comédien, chef d'une troupe de théâtre, spécialisée dans les œuvres sanguinolentes. «Double Assassinat dans la rue Morgue» nous est ainsi présenté comme l'œuvre jouée dans la tradition du Grand Guignol par la troupe de théâtre. Une idée qui place donc naturellement l'intrigue du film à la fin du XIXème siècle et à Paris. Les auteurs placeront d'ailleurs quelques clins d'œil historiques sans que cela n'ait de véritable intérêt dans l'intrigue, allant même jusqu'à des points critiquables d'un point de vue chronologique. Ainsi, l'histoire se déroule pendant une exposition universelle, donnant l'occasion de présenter une sorte de fête foraine. Ou bien le chef de la police, interprété par Adolfo Celi, n'est autre qu'un certain Vidocq.
Toutefois, on n'oublie pas qu'il s'agit d'un film lié à l'œuvre d'Edgar Allan Poe et MURDERS IN THE RUE MORGUE fait ainsi référence à des tortures (comme dans «Le Puits et le Pendule»), évoque le fait d'être enterré vivant ou bien met en scène un primate assassin («Double Assassinat dans la rue Morgue») . Mais, à vrai dire et malgré tout cela, MURDERS IN THE RUE MORGUE puise plutôt dans l'œuvre de Gaston Leroux. Une grande partie de l'intrigue n'est pas sans rappeler «Le Fantôme de l'Opéra» avec un homme défiguré et nourrissant une passion pour une artiste. On sera même surpris de retrouver Herbert Lom dans ce rôle puisqu'il incarnait quelques années auparavant le personnage principal du FANTOME DE L'OPERA version Terence Fisher. Enfin, MURDERS IN THE RUE MORGUE essaie de donner un aspect étrange à son intrigue avec les cauchemars de l'héroïne dont on ne sait s'il s'agit de souvenirs du passé ou de prémonitions. Cela permet à Gordon Hessler de créer plusieurs passages oniriques et cauchemardesques qui s'avèrent, au final, bien peu élaborés. Surtout en comparaison des séquences surréalistes et colorées du MASQUE DE LA MORT ROUGE réalisé par Roger Corman quelques années auparavant. Cet exemple n'est pas choisi au hasard car MURDERS IN THE RUE MORGUE se montre justement trop terne et donc peu coloré comparé aux autres adaptations d'Edgar Allan Poe produites par l'AIP. En 1971, nous sommes ainsi clairement en fin de cycle, les moyens ne sont plus vraiment ce qu'ils étaient et ce même si le film est tourné dans des décors naturels en Espagne.
S'il se montre un métrage un peu faible, MURDERS IN THE RUE MORGUE a tout de même des qualités. Particulièrement sa distribution qui s'avère plutôt prestigieuse et internationale à un détail près. Curieusement, alors que Gordon Hessler a mis en scène Vincent Price auparavant dans LACHEZ LES MONSTRES et LES CROCS DE SATAN, le comédien brille par son absence dans ce film. Son génie aurait pourtant donné un peu plus de peps au personnage principal qui sera finalement interprété par Jason Robards. Choix des plus curieux, le comédien n'ayant que très rarement œuvré dans l'épouvante et il se montre un peu absent ici. La séquence d'étouffement avec un oreiller est assez éloquente, le comédien jouant de manière détachée et vient donc donner du crédit à Gordon Hessler qui affirme que l'acteur n'avait pas une envie folle de participer à un film d'horreur. Heureusement, Herbert Lom donne de la prestance à un tueur fantomatique et défiguré et il se voit prêter main forte par un acolyte haut comme trois pommes, Michael Dunn. Ce dernier apporte un côté bizarre à un métrage qui aurait justement nécessité plus de folie pour emporter l'adhésion. Comme déjà évoqué, Adolfo Celi joue le policier menant l'enquête alors que l'autrichienne Maria Perschy incarne une femme de petite vertu. Tout ce petit monde fait de son mieux et réussit à sauver, au final, un métrage manquant tout de même d'envergure !
Au moment de sa sortie, l'AIP prend la décision de raccourcir et modifier le film, mettant de côté le montage supervisé par Gordon Hessler. Cela n'aidera pas vraiment MURDERS IN THE RUE MORGUE qui ne trouvera pas son public. Bien que tout le monde pensait que le montage original était perdu, contre toute attente, le film refait surface à la télévision américaine durant les années 2000 dans la version voulue par Gordon Hessler à l'époque. C'est assez naturellement que ce montage se retrouve sur le DVD sorti quelques mois plus tard aux Etats-Unis.
Paru dans la collection Midnite Movies de MGM, MURDERS IN THE RUE MORGUE partage un DVD double face, simple couche, avec LES CROCS DE SATAN. Bien que proposant le montage Director's Cut du film, rien ne l'indique sur la jaquette, pas plus que sur les menus du DVD. Ce qui peut paraître surprenant puisque ce montage était considéré comme perdu depuis une trentaine d'années à ce moment là ! Mieux, le DVD dispose d'un transfert 16/9 au format cinéma respecté très réussi. L'image se montre plutôt bien défini, les contrastes sont francs et les couleurs naturelles. D'ailleurs, c'est justement parce que la copie proposée est si jolie que MURDERS IN THE RUE MORGUE expose, ce qui est paradoxal, un aspect un peu terne dans sa mise en scène, manquant d'éclairages plus élaborés et à même d'instaurer une ambiance mystérieuse. Ce transfert vidéo est une véritable réussite qui, hélas, met donc en avant les plus gros problèmes de cette œuvre d'épouvante. Par contre, ce DVD date de 2003 et il accuse son âge en arborant une compression qui gâche un petit peu la qualité de la copie proposée. Seule une piste audio est disponible, il s'agit de la version originale anglaise en mono d'origine. Pas de défaut à déplorer, la piste est claire et se montre relativement agréable à l'oreille. Ceux qui ne comprennent pas l'anglais pourront afficher des sous-titrages dont l'un est en français. Toutefois, on notera que les sous-titrages sont placés un peu haut dans l'image ce qui est un peu dommage.
En complément du film, on peut visionner la bande-annonce mais aussi une interview, réalisée spécialement pour l'occasion, de Gordon Hessler. Le cinéaste se remémore les différents comédiens du film ainsi que son écriture mais parle aussi, évidemment, des soucis rencontrés avec la production lorsqu'il fut décidé de remonter le film et d'en changer la fin. Une intervention d'une dizaine de minutes qui comportent quelques informations intéressantes sans pour autant réellement rentrer dans le détail, Gordon Hessler ne portant de toutes façons pas ce métrage très haut dans son estime au milieu de sa filmographie.