Boston, Massachusetts, en moins d'une semaine, deux jeunes femmes ont été découvertes sans vie, proprement décapitées, leur tête consciencieusement déposées dans une mare pour la première, un bidon de rétention d'eau de pluie pour la seconde. De l'avis du légiste en charge de l'affaire, plus que des meurtres, ce sont des exécutions à la guillotine. De quoi laisser perplexe le lieutenant Judd Austin, dont l'enquête s'oriente bientôt du côté du collège privé Wendell, dirigé par l'austère Madame Griffin. Anne Baron, la seconde victime, suivait en effet des cours du soir en anthropologie au sein de ce select établissement...
Sorti moins d'un an après le VENDREDI 13 de Sean C. Cunningham, soit au beau milieu de la déferlante de slashers première génération, LES YEUX DE LA TERREUR est généralement assimilé à ce sous-genre horrifique. Toutefois, cantonner cette histoire de décapitations en série au seul registre du psycho-killer, terme officiel de l'époque, serait très réducteur... pour ne pas dire erroné tant le résultat proposé tranche avec les attentes de l'amateur de spectacle sanguinolent à base des teenagers trucidés à l'arme blanche. Cette réalité un peu plus complexe, le cinéphile attentif l'aura d'ailleurs déjà anticipée en ayant pris la peine de jeter un petit coup d'œil au générique de l'œuvre, porteur de quelques noms inattendus en la circonstance.
Le premier d'entre eux est probablement celui du réalisateur du métrage, Ken Hughes (ici crédité Kenneth). Lorsqu'il signe ces YEUX DE LA TERREUR, cet anglais natif de Liverpool approche gaillardement la soixantaine et possède déjà ce qu'il est convenu d'appeler une filmographique bien remplie. Réalisateur mais aussi scénariste et plus sporadiquement producteur, Kenneth bourlingue en effet dans le cinéma anglo-saxon depuis trois décennies. Dans la besace du bonhomme, quelques travaux plus ou moins largement diffusés comme L'ANGE PERVERS, estimable adaptation de W. Somerset Maugham reprise des mains de Bryan Forbes, la comédie musicale familiale CHITTY CHITTY BANG BANG, d'après Ian Fleming, la biographie historique à gros budget CROMWELL ou encore, aux côtés de John Huston et quelques autres, une participation à la première et non officielle version de CASINO ROYALE. Du solide cinéma populaire donc, mais rien qui ne prédispose Ken Hughes à se lancer dans le slasher movie. Pourtant, en grattant un peu dans sa filmographie, on y découvre une œuvre assez annonciatrice de la teneur ironico-morbide des YEUX DE LA TERREUR : le très sadique film d'espionnage THE INTERNECINE PROJECT, écrit par... Barry Levinson et Jonathan Lynn ! Bref, si le cinéaste n'a peut-être pas le profil type pour le job, il possède déjà un brin d'expérience dans l'art de bousculer son spectateur.
L'autre petite surprise de ce programme, c'est la présence dans le rôle central de l'italo-américain Leonard Mann, de son vrai nom Leonardo Manzella, une jolie gueule venue directement de l'univers du bis transalpin, ayant aussi bien tâté du western spaghetti (LE DERNIER DES SALAUDS) que du giallo (PASSI DI MORTE PERDUTI NEL BUIO) ou du poliziesco (NAPOLI SPARA). Assurément pas un grand acteur, notre Leonardo, mais, pour l'initié, un gage de professionnalisme décontracté qui ajoute un brin de sel à une distribution composée pour le reste de visages familiers du petit écran américain, de starlettes trouvant là le rôle de leur vie et d'anonymes troisième couteaux locaux. Quant au non initié ayant de préférence un peu de bouteille, il est fort probable que seul le nom de l'anglaise Rachel Ward éveillera chez lui quelques vagues souvenirs. La belle va en effet connaitre deux ou trois années de gloire dans la foulée de ces YEUX DE LA TERREUR, apparaissant notamment aux côtés de Richard Chamberlain dans la mini-série préférée de toutes les grands-mères de l'époque, LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR tout en perfectionnant au passage un jeu d'actrice encore balbutiant dans le titre qui nous intéresse.
Sortant sensiblement du tout venant de par la personnalité de son réalisateur et de son acteur principal, LES YEUX DE LA TERREUR se révèle, assez logiquement, tout aussi peu conventionnel quant à son contenu. Le film repose déjà sur un scénario nettement plus extravagant que ceux proposés par la plupart des psycho-killers de la période. Un script qui, curieusement avec son lot de midinettes déshabillées, son tueur au look très cuir et sa surprenante scène saphique, nous rappelle là encore au souvenir du bis transalpins de la décennie précédente. Certes celui-ci n'est pas sans faille, loin de là, même. Il convient en particulier de ne pas trop se pencher sur la cohérence de certaines situations ainsi que d'accepter comme inhérents à ce type de film certains clichés horrifiques antédiluviens, tel celui de la victime tétanisée d'effroi devant son assaillant, n'envisageant à aucun moment la possibilité d'une fuite pourtant salvatrice. On reconnaitra également que l'identité du tueur ne réclame pas une forte perspicacité de la part du spectateur pour être mise à jour, les suspects ne se bousculant de toute façon guère au portillon. Et pourtant, en dépit d'une écriture sentant parfois le mal dégrossi, LES YEUX DE LA TERREUR parvient sans aucune difficulté à divertir son audience, voire même à lui filer quelques doux frissons. Une réussite que l'on doit en premier lieu à Ken Hughes, dont la réalisation tient du (petit) coup de maitre. Première bonne idée du cinéaste : injecter une bonne dose de second degré à son récit. Des scènes comme celle de l'attaque sous la douche ou du petit déjeuner au restaurant, jouant intégralement sur l'attente de la découverte de la tête de la dernière victime, de même que l'étonnant épilogue, clin d'œil direct au spectateur, laissent en effet transparaitre une volonté de recul des plus avisé, gommant dans la foulée une partie des facilités et défaillances du script.
Seconde excellente initiative : ne pas oublier de secouer son spectateur. Mais, là encore, à l'anglaise, avec style, sans recourir au gore qui tâche, comme il était de rigueur à l'époque. Car concrètement, LES YEUX DE LA TERREUR n'est pas bien sanglant. Les décapitations de victime se font par exemple toutes hors champ. Et pourtant le film possède à l'évidence un petit quelque chose de glauque. Une sensation tout autant liée aux étranges motivations/revendications du tueur qu'à la façon assez remarquable qu'à Ken Hughes de mettre en avant le peu d'hémoglobine qu'il offre à voir au spectateur, sacrifiant souvent ses victimes dans des lieux immaculées (vestiaires blancs, salles de bain) ou jouant plus sournoisement sur le contraste entre raffinement, la portée culturelle de certains lieux de meurtre et la sauvagerie des mises à mort. Le résultat a, en tout cas, quelque chose de dérangeant. Les censeurs britanniques de l'époque ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, classant le film sur leur célèbre liste noire des Video nasties tandis que notre défunt Festival d'Avoriaz offrait au film son Prix Spécial du Jury en 1981. Enfin, dernier trouvaille avisée de ce métrage surprenant : jouer sur le cadre particulier, très vieille Europe, de Boston. Avec pour effet de conférer par moment un surprenant cachet de film d'épouvante victorien à cette production pourtant résolument américaine !
Œuvre finalement davantage enracinée dans le Krimi allemand ou le Giallo italien que dans le Slasher sauce ketchup, LES YEUX DE LA TERREUR ne va guère soulever l'enthousiasme général à sa sortie. Bien que devenu par la suite un petit hit de vidéo-club, le film semble pourtant s'être progressivement enfoncé dans un relatif anonymat. Un oubli ou désaveux que confirme à sa façon l'édition DVD du film sortie fin 2011 chez Warner dans leur collection Warner Archive.
Présenté dans une copie remasterisée, cette édition «on demand» s'adresse à l'évidence prioritairement aux quelques rares fans du film, désireux de revoir celui-ci dans d'acceptables conditions de visionnage, nonobstant toute autre considération comme le prix peu attractif de la galette ou encore l'absence de bonus décent et d'options linguistiques. Bref, plus qu'un achat, presque un choix de vie, ais-je envie de dire...
Plus sérieusement, et faute de mieux, il faudra donc se contenter ici d'un son Dolby Digital mono et, en guise de supplément, d'une bande d'annonce d'époque au format 4/3. Si aucun menu d'accès aux chapitres n'est proposé, Warner a tout de même eu la galanterie de découper son film en pas moins de 28 chapitres. Concernant la copie elle-même, rien de scandaleux ni d'exceptionnel à signaler. Entre une belle image restituant correctement l'esthétique «vaporeuse» du travail photographique de Mark Irwin et un transfert 1.78:1 compatible 16/9ème respectant à un poil près le format d'origine du film (1.85:1), la restauration annoncée tient dans les grandes lignes ses promesses. Enfin, anglophobes passez votre chemin : l'édition qui nous préoccupe ne propose évidemment rien d'autre qu'une piste anglaise sans la moindre option de sous-titrage.
Réservée aux plus curieux d'entre nous ou aux spectateurs déjà acquis à la cause du film, voilà donc une édition techniquement respectable mais fort peu généreuse en terme d'interactivité. Une galette qui, en quelque sorte, se mérite et laissera tout de même bon nombre d'acquéreurs légèrement sur leur faim.