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Critique du film
KEEPSAKE 2010

 

Ce qu'il y a de bien avec le Marché du Film de Cannes, c'est qu'on entre dans des salles de projection sans vraiment se douter à quoi on va avoir à faire. Un vague résumé sur un programme, un œil distrait sur un éventuel site de la maison de production, quelques photos, et c'est parti. Les premières images de KEEPSAKE ne laissent pas entrevoir la suite des événements, on lui accordera au moins cela. Une jeune femme percute un animal en pleine foret et attend une dépanneuse. Le dépanneur à la langue coupée va en fait l'enlever, l'enfermer dans une cave avec un collier métallique afin de la paralyser à coups de violentes décharges électriques à chaque refus d'obtempérer. Il lui indique avoir trente jours pour faire ses preuves, ce qu'elle ne comprend absolument pas.

On assiste en fait à un énième torture porn néo-CAPTIVITY mâtiné de I SPIT ON YOUR GRAVE mais qui tente une nouvelle approche. Les prémices sont archi-connus : redneck bouseux ultra violent, famille déviante, maison au fond de nulle part... Syndrome MASSACRE A LA TRONCONNEUSE et consorts. La grande philosophe postmoderne Jeanne Mas aurait aimé ce côté «j'afficherai mes peurs - j'irai plus haut que ces montagnes de douleurs» que placarde l'héroïne tout au long du film. Tout comme elle aurait adoré la chute finale.

Il y a quelque chose de dérangeant à assister au spectacle perpétuel de l'humiliation d'une femme. Celui ou celle qui apprécie cela au premier degré doit vraiment se poser des questions. Enfermement, tabassage, dégradation, mise à nu, torture... Appuyer chaque séquence. Plonger dans l'ignominie du corps dépecé, décapité, démembré... Le premier tiers du film dégage un malaise palpable. A la fois venant du parti pris initial mais également de ce sentiment confus/diffus d'assister encore et toujours au même spectacle de la réduction à l'état d'objet du corps féminin. Et de verser graduellement dans une sorte de pornographie mémorielle/textuelle de la torture.

Le réalisateur ponctue sa narration de gore torturé à pleins baquets, histoire de bien rappeler dans quoi le spectateur s'est embarqué et qu'il doit en avoir pour son argent. Un arrachage de dents (de devant) à la tenaille et en gros plan : oubliez LE DENTISTE de Brian Yuzna qui reste au stade de MANEGE ENCHANTE de la novocaïne. Un découpage de tendons d'Achille au sécateur (merci HOSTEL), installation de vis dans des gencives, ablation de membres inférieurs, langue coupée... Un parfait catalogue requis au cahier des charges. Bon pour la vente du film. Sûr de plaire aux "aficionados" d'un sous-genre aujourd'hui en déclin.

On ne saura en fait que très peu de choses sur les motivations du faux dépanneur. Une sorte de velléité de former une famille «parfaite», d'une conception proche de celle du BEAU-PERE, parmi les vagues indices disséminés par le scénario et la mise en scène. Sa fonction même (aider les automobilistes en détresse) fait que l'héroïne place sa confiance en lui. Un principe très «Larry Cohen-esque» de faire de personnages à priori au-dessus de tous soupçons un héros de cauchemar moderne où tous les repères et les à priori volent en éclat: un policier dans MANIAC COP, des ambulanciers dans THE AMBULANCE, un bébé dans la trilogie du MONSTRE EST VIVANT. KEEPSAKE emprunte cette idée mais la développe de manière très maladroite. Dès les premières minutes, l'héroïne repousse l'aide de deux hommes souhaitant la secourir, indiquant - parce qu'apeurée - préférer attendre la dépanneuse. Bien mal lui en prend. Renverser les rôles pré-établis demeure l'une des qualités de ce métrage.

Entre deux exactions, le réalisateur semble vouloir aller ailleurs. Le récit de la victime progresse sur deux tableaux. D'un côté l'apprentissage de son statut d'esclave néo-redneck avec l'ajout d'éléments où l'on ne sait si sa raison vacille : une télévision s'allume à horaire précis au-dessus d'elle, la découverte d'une autre femme terrorisée vivant dans la maison de son bourreau, un don de prescience... Puis de l'autre, la compréhension de la psyché de l'héroïne via des rêves plus ou moins prémonitoires. Mélange de souvenirs enfouis et d'espérance du futur. Des bribes d'une enfance violée par son père, d'une sœur complice. Rêveries, fantasmes, espoirs... La narration tente d'échapper à un récit tracé d'avance via ces brisures de rythme. Elle y parvient le temps de quelques éclats de rêves aux couleurs fulgurantes. Un visuel soigné qui procure une identité propre à chaque réalité dépeinte. Mais qui ne parvient cependant pas à masquer des évidences scénaristiques. Le suspense est ainsi éventé dès le premier quart d'heure et les incohérences vont bon train, trompées par des rebondissements superficiels qui bouclent tant bien que mal les 105 minutes annoncées.

Cette tentative d'adaptation au film d'exploitation du principe nietzschéen qui rappelle qu'à force de chasser des monstres il faille faire attention à ne pas en devenir un. Un postulat qui rappelle également LA PIEL QUE HABITO, le film de Pedro Almodovar en compétition officielle au Festival de Cannes cette même année, en 2011. De là à effectuer un comparatif entre ces deux œuvres diamétralement opposées, il y a un gouffre qu'on se gardera bien de franchir. Il semble s'agir d'une direction vers laquelle le cinéma se dirige depuis quelques temps. D'abord explorer les exactions de monstres en tous genres (VENDREDI 13, SAW, HOSTEL...), les montrer au public avec le plus de détails possibles. Puis présenter les récits d'une autre manière afin de revitaliser le genre. Présenter les massacres du point de vue du tueur (empathie désirée ?) ou dépasser le statut de la simple victime. Apporter une certaine (ou une illusion) de nouveauté au public en injectant une légère variante de réflexion sur le sujet. Sans pour autant se départir du cinéma d'exploitation dont KEEPSAKE se réclame.

Ceci dit, il faut cependant reconnaître un certain soin apporté à l'ensemble, des efforts de scénarisation et une ambition qui placent KEEPSAKE dans le haut du panier des DTV (direct to video). Car il n'aura aucune chance de sortir sur grand écran. Il ne serait ainsi pas étonnant de le voir débarquer sur le territoire français prochainement. Il le mérite largement tant les oeuvrettes simili-torture-porn amplement plus médiocres n'ont que trop pullulé dans les bacs de super/hypermarchés et autres hard discounters.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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