Un bon père de famille (Sean Bridgers) découvre lors d'une partie de chasse une femme vivant à l'état sauvage (Pollyana McIntosh). Il décide de la capturer et de «l'éduquer» en la séquestrant dans son garage. Loin de se cacher aux yeux des siens, il va faire participer toute la famille à sa mission malsaine.
Le réalisateur Lucky McKee revient de loin. Découvert avec le très étonnant MAY en 2002, McKee devient la coqueluche du genre grâce à ce film aussi dérangeant que touchant, mettant en vedette le physique fascinant et ingrat de la comédienne Angela Bettis. McKee enchaîne avec THE WOODS, un film d'atmosphère se réclamant de SUSPIRIA. Hélas, le jeune réalisateur ne parvient pas à s'imposer dans cette expérience de studio qui lui échappera complètement. Révélé au public après un long purgatoire d'invisibilité, ce qui reste de THE WOODS ne parvient pas à passionner. Si le producteur Mike Garris lui propose un épisode de Master of Horror, SICK GIRL avec Misty Mundae, McKee semble ensuite prendre ses distances avec la mise en scène en se concentrant plus sur la production avec ROMAN (premier film de sa complice Angela Bettis, qu'il écrit et interprète) et surtout THE LOST de Chris Sivertson qui adapte l'univers du romancier Jack Ketchum. L'alliance entre McKee et Ketchum va se poursuivre sur le prochain film du cinéaste, RED. Là encore, une sérieuse déconfiture attend McKee lorsque ce dernier est viré du plateau après plusieurs semaines de tournage pour être remplacé par Trygve Allister Diesen. La réputation de jeune prodige sévèrement écornée, McKee nous revient aujourd'hui avec THE WOMAN, nouvelle adaptation de Jack Ketchum et suite à peine avouée du confidentiel OFFSPRING d'Andrew van den Houten (le piteux HEADSPACE). Présenté à Sundance, THE WOMAN a violemment secoué le public, allant jusqu'à faire s'évanouir une spectatrice. Alors que plus personne n'était prêt à parier sur Lucky McKee, le cinéaste est actuellement au sommet d'un gigantesque buzz où les excellentes critiques de THE WOMAN s'affrontent aux réactions outrées accusant l'auteur de misogynie crasse et de complaisance hardcore insupportable.
Malgré les apparences véhiculées par les quelques visuels représentant la «femme» du titre entravée dans une cave, THE WOMAN n'est pas un «torture-porn» post-SAW. C'est un film bien plus profond et dérangeant, ce qui explique sans aucun doute les malaises provoqués ça et là. Le film s'ouvre sur un préambule très étonnant et à la limite de l'expérimental afin de nous présenter la «femme». Créature relayée à l'état sauvage, elle vit au milieu des loups, chasse à coup de dents, vit au pouls d'une forêt onirique et boueuse qu'elle incarne autant qu'elle combat. Afin de contraster avec cette introduction viscérale et agressive, McKee va nous installer dans le quotidien douillet et balisé d'une famille américaine parfaite sous tout rapport. Le père est avocat, la mère (Angela Bettis) est une docile femme d'intérieur et les trois enfants, un fils et deux filles, sont de beaux adolescents. L'intrusion de la «femme dans cette cellule familiale parfaite, c'est-à-dire l'intrusion de l'indompté dans cette caricature de civilisation, est bien entendu le sujet du film. Le père de famille capture la «femme» tel un gibier et la «dresse» à la manière d'un animal sauvage que l'on voudrait transformer en bon chien de compagnie. Une idée déjà choquante, qui prend un relief très perturbant quand le père décide d'inclure toute sa famille dans son entreprise, faisant participer sa femme et ses enfants au repas de la «femme» (ou plutôt à la préparation de sa gamelle) ou encore à sa toilette qui se soldera par une insoutenable session de douche au karcher.
THE WOMAN ne s'arrête pourtant pas à cette fracture entre le sauvage et le civilisé, déjà abordée par nombre de films. Le métrage s'oriente peu à peu sur les rapports homme et femme, outrancièrement bousculés par la présence de la «femme», comme si la sauvagerie de la situation ne convergeait que vers une seule conclusion : débarrassé de sa représentation sociale, l'homme n'est qu'un monstre dominateur destiné à asservir par tous les moyens le sexe dit faible. Les personnages masculins de la famille vont ainsi céder à leur plus bas instincts vis-à-vis de la «femme» (le père la viole, le jeune fils va la torturer au niveau de la poitrine) tandis que les personnages féminins de la maison vont s'indigner et tenter de maintenir leur dignité humaine en protégeant la «femme». Les moments les plus choquants de THE WOMAN ne sont donc pas les quelques débordements gores du film (comme lorsque la «femme» arrache un doigt au père d'un coup de mâchoire), mais bel et bien quand le père se met à soudainement battre son épouse à coup de poing devant ses enfants. La dernière partie du film est littéralement une guerre des sexes où la notion de famille à définitivement volé en éclats, où les enfants sont traités avec la même violence que les adultes.
Intelligent, sans concession, choquant sans pour autant s'inscrire dans les débordements putassiers des derniers films buzz du genre (style A SERBIAN FILM), THE WOMAN est une grande réussite signée d'un cinéaste en pleine forme et visiblement très en colère par ces années de frustration cinématographique. Doté d'un budget très modeste, THE WOMAN n'a pas la même élégance visuelle que MAY et s'inscrit dans le rendu plus classique des films (très) indépendants américains. La photographie est si sobre que l'on craint parfois que le film s'endorme dans un esthétisme de téléfilm. Heureusement, Lucky McKee a suffisamment d'idées de mise en scène pour relever l'écrin de son film. La gestion du son est notamment formidable, préférant la dissonance aux effets gores pour mieux nous provoquer des frissons. Lors du final, le cinéaste opte pour une caméra en mouvement perpétuel, tournant sans interruption autour des personnages. Un véritable tournis de cinéma pour nous projeter dans la spirale de violence que nous réserve THE WOMAN et sa conclusion jusqu'au boutiste. Espérons que le public français ne tardera pas trop à découvrir cette pépite sombre du genre, dont les excellents premiers échos sont amplement justifiés.