Header Critique : KERAMAT (SACRED)

Critique du film
KERAMAT 2009

SACRED 

Une équipe réduite de cinéma (une réalisatrice, son assistant, le producteur et les deux comédiens) s'installent près d'un temple dans la campagne indonésienne pour commencer les répétitions du film qu'ils préparent. Ils sont suivis en permanence par l'équipe du «making of», constituée d'une réalisatrice et d'un caméraman. Tandis que la tension monte au fil du travail de préparation, des phénomènes étranges commencent à se manifester. Puis c'est au tour de la comédienne de montrer des signes de possession.

Dans la série des faux documentaires d'horreur, LE PROJET BLAIR WITCH de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez avait prouvé au monde entier que l'on pouvait faire peur (et ramasser beaucoup d'argent) en filmant une branche d'arbre avec un caméscope grand public. C'était en 1999. Tandis que d'autres expériences de fictions en caméra subjective nous sont proposées avec beaucoup plus de professionnalisme (comme [REC] de Jaume Balaguerro et Paco Plaza ou CLOVERFIELD de Matt Reeves), Oren Peli réitère l'exploit du faux documentaire amateur avec PARANORMAL ACTIVITY. Il pose une caméra vidéo dans la chambre d'un couple subissant les foudres d'une «présence» dans leur maison. Le miracle du box office opère à nouveau et les gens se bousculent dans les cinémas pour frissonner devant une porte qui claque. Avant la sortie de PARANORMAL ACTIVITY 2 ou encore l'approche imminente du DERNIER EXORCISME de Daniel Stamm (qui simule une possession vue depuis une caméra de documentaire), le réalisateur indonésien Monty Tiwa s'attarde sur le phénomène du faux documentaire. Et si le concept était importé dans le cinéma d'horreur local encore très influencé par les films de fantômes japonais ?

KERAMAT (alias SACRED) est donc le premier film d'horreur indonésien conçu entièrement en subjectif à la caméra portée. Pour réussir son «coup», Tiwa (qui est un metteur en scène d'expérience) s'inspire des méthodes de «conditionnement» des comédiens oeuvrant dans ce genre de «faux films». Il choisit des acteurs peu connus (hormis la chanteuse Poppy Sovia) et leur demande d'utiliser leur véritable nom dans le film. Pour que la réaction de chacun soit la plus authentique possible, Tiwa ne leur explique rien du scénario et ne leur divulgue qu'une poignée de directives juste avant la prise. Lâchés en pleine nuit dans une forêt investie de fantômes où rode leur amie «possédée», les acteurs paniquent réellement et impriment les séquences d'une angoisse hystérique qui terrorisera le public local. A l'instar de ses homologues américains, KERAMAT fera l'événement en Indonésie et choquera la population en montrant pour la première fois des fantômes de façon ultra réaliste.

Le succès de KERAMAT montre à quel point la culture indonésienne prend au sérieux les histoires de fantômes. Mais le spectateur occidental ne risque pas de frissonner de la même manière. En effet, le fantôme indonésien n'est pas aussi spectaculaire que le zombie espagnol de [REC]. Il s'agit la plupart du temps d'une personne normale qui s'évanouit subitement dans la nature. C'est lorsque l'on constate sa disparition que la panique d'avoir croisé un mort survient. S'il utilise beaucoup de ce genre de rebondissements, KERAMAT se permet quand même quelques apparitions plus spectaculaires, comme lorsqu'un «Pocong» vient s'inviter dans l'œilleton de la caméra. Le «Pocong» est le fantôme le plus terrifiant d'Indonésie : il s'agit d'un mort enroulé dans un drap et qui avance en sautillant. Très locale, cette figure surnaturelle fait plutôt rire l'occident avec son allure d'œuf de Pâques.

Film de terreur ultime dans son pays, KERAMAT sera donc peu efficace sur les occidentaux. Pour autant, le film de Monty Tiwa est une très intéressante découverte pour tous les curieux du cinéma d'horreur exotique. Premier bon point, KERAMAT fonctionne extrêmement bien dans son concept de faux documentaire. Les acteurs sont très bons et la mise en scène très crédible. Le film ne cherche pas à s'économiser en ne montrant pas grand chose, astuce qu'utilisait les BLAIR WITCH et Cie et qui faisait hurler les spectateurs à l'arnaque. KERAMAT est généreux en manifestations surnaturelles et le caméraman est sur le coup pour les imprimer sur l'image. L'ensemble est donc plutôt bien rythmé et se permet même quelques scènes surréalistes très étonnantes, comme lorsque l'équipe entière disparaît d'une plage pour se téléporter sur une montagne sacrée, le tout vu depuis la caméra de making of.

Pour le spectateur occidental, KERAMAT constitue in fine une plongée étonnante dans le folklore horrifique local. Le film traite de la manière la plus réaliste qui soit le rapport des gens vis-à-vis des fantômes et du surnaturel. Le faux documentaire d'horreur devient donc un vrai film sur les relations entre les indonésiens et le paranormal, associé le plus souvent à la nature et au sacré. KERAMAT se permet même un message, une «morale», là où les films du même genre se contentent de jouer la carte de l'efficacité. Car si l'équipe de cinéma de KERAMAT a déclenché à ce point les foudres des fantômes, c'est parce que leur comportement de citadins à qui tout est dû, a bousculé la sérénité et l'harmonie du lieu sacré dans lequel ils se sont installés. Est-ce également le désir de faire du cinéma, soit un travestissement de la «nature», qui aurait poussé les fantômes à se retourner contre eux ? Pour raccrocher les wagons de la réalité, le film s'achève sur le tremblement de terre de 2006 à Yogyakarta. Le carton de fin laisse le doute : était-ce une manifestation naturelle ou bien les conséquences des actes de notre équipe de cinéma ?

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
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