En 1967, l'espionnage était «in». Chaque acteur et actrice en vue se devait de participer à un long métrage ou une série ayant pour sujet un ou une espion(ne) aux prises avec une organisation secrète. NOTRE HOMME FLINT, CASINO ROYALE, MASQUERADE ou même MAX LA MENACE ont pignon sur rue. Doris Day se trouvait au zénith de sa gloire. Alignant succès sur succès depuis CONFIDENCES SUR L'OREILLER ou encore UN SOUPCON DE VISON, elle est une des actrices les mieux payées d'Hollywood. Avec en complément d'un contrat en béton armé chez Columbia, elle se paye le luxe d'être la chanteuse vendant le plus de disques à cette époque. Elle sort justement d'un grand succès à la MGM avec une comédie d'espionnage LA BLONDE DEFIE LE FBI de Frank Tashlin. Naturellement, elle rempile avec le même réalisateur, mais à la 20th Fox, pour cette fois-ci un vrai film d'espionnage teinté de comédie : CAPRICE.
Patricia Fowler (Doris Day) est une espionne industrielle à la solde de Sir Jason Fox (Edward Mulhare). Elle doit voler une formule secrète d'une invention révolutionnaire (un spray repoussant l'humidité) à la firme concurrente de Sir John, May Fortune. Son inventeur, le Dr Clancy (Ray Walston), est un ancien collaborateur de Sir John , qui est soupçonné de contrefaçon. Patricia se voit aidée par son contact Christopher White (Richard Harris), qui se révèle être employé par les deux firmes en plus de sa casquette d'agent fédéral. Le tout en rapport avec un agent d'Interpol mystérieusement assassiné en Suisse !
A la simple lecture du résumé, CAPRICE donne déjà du fil à retordre. Ceci n'est rien comparé au métrage entier qui complexifie à loisir l'histoire en entremêlant plusieurs intrigues d'espionnage industriel, de trafic de drogue sous la forme de poudre de riz, de cascades jamesbondiennes avec cliffhanger à la clé. De périlleuses cascades qui influenceront d'ailleurs la scène d'ouverture de L'ESPION QUI M'AIMAIT qui reprendra à son compte la poursuite à ski de la scène pré-générique de CAPRICE tout comme la chute du haut d'une falaise glacée… en effet, la séquence d'action la plus excitante de CAPRICE est une poursuite en hélicoptère où Richard Harris tente de sauver une Doris Day à ski pistée par un tueur. Hélicoptères, poursuites en skis, Doris Day… la 20th Fox n'a pas lésiné sur les moyens relativement aisés pour donner une certaine ampleur à cette production. Même si quelques incongruités apparaissent ça et là (Mammoth Mountain dans les Eastern Sierras doivent passer pour les Alpes Suisses), on y croise tout de même une ribambelle de décors et scénographie luxueuses. Ce qui permet une grande diversité de mise en scène et donne aussi le rôle le plus physique pour l'héroïne aux vues des cascades qu'elle a du effectuer. A noter, un hasard n'arrivant jamais seul, CAPRICE propose une scène dans le restaurant Jules Verne de la tour Eiffel qu'on retrouvera dans DANGEREUSEMENT VOTRE.
Le meilleur atout de cette parodie de films d'espionnage demeure le talent que Frank Tashlin met à élaborer des décors et séquences dignes d'un dessin animé. Il a d'ailleurs réalisé une myriade de cartoons entre 1933 et 1947 au début de sa carrière. Ce qui se sent ici, tant les détails gaguesques fourmillent sur l'écran, destinés à la fois pour le spectateur mais également souhaitant dynamiter l'image virginale qui allait miner la carrière de Doris Day à la fin des années 60. Voir cette scène au Jules verne où Patricia demande à Larry D. Mann d'enlever son pantalon afin qu'il ne la poursuive pas après un curieux échange de documents. La caméra se focalise sur le déboutonnage, alterné avec les tenues «mod» de l'actrice qui allaient détonner pendant les 98 minutes du film. Un sens du rythme et du décalage qui va servir le métrage mais aussi un style évident dans la disposition des personnages à l'écran au milieu de décors élaborés.
La scène du plateau photographique (à 14mn47) est le meilleur représentant de la parfaite symbiose entre le costumier (Ray Aghayan, qui vient de travailler sur les deux FLINT avec James Coburn) et le décorateur du film. Le design, les décors et les costumes se répondent dans les formes, le choix des couleurs et la disposition de la caméra lors du travelling latéral : un très beau travail de mise en scène. Le tout magnifié par un splendide travail du directeur de la photographie opéré par Leon Shamroy, pointure du métier célèbre pour CLEOPATRE pour lequel il obtint un oscar mais également LA PLANETE DES SINGES ou encore LA TUNIQUE. On le voit brièvement dans le rôle… du photographe lors de la scène du plateau photo. Encore un clin d'œil comme le réalisateur aime à les égrener à l'écran. Dommage que Tashlin n'ait pas pensé à mieux effacer le côté trop gentillet de certaines scènes avec l'héroïne, le film aurait gagné en crédibilité et en drôlerie. L'autre souci reste que CAPRICE fait furieusement penser à un autre film se déroulant à Paris, CHARADE de Stanley Donen. Bénéficiant lui aussi d'un scénario à rebondissements autour d'un impossible but à atteindre et d'un héros masculin à la triple identité, CHARADE renvoie CAPRICE au rang de gentille imitation sans grande invention et qui tente de se raccrocher aux rideaux une fois l'échelle tombée.
Autre problème majeur du film : un écartèlement permanent entre la comédie d'espionnage, la romance, l'action et la «Doris Day touch» vilipendée par la critique, qui dérouilla le film lors de sa sortie en juin 1967, mais adorée par le public. Parfois, le mélange fait mouche grâce au côté nonsensique du réalisateur. La scène où Patricia/Doris se rend au cinéma qui projette… CAPRICE avec Doris Day et Richard Harris, où un spectateur (Michael J. Pollard) embrassant goulûment sa petite amie, finit par remarquer Patricia et tenter de la caresser, avec les quiproquos et cascades dans le cinéma qui s'en suivront. Un érotisme tout léger qui pointe le bout de son nez à travers un plan séquence habile où le couple Harris/Day entre sur un plateau de photographie de mode et où Richard Harris semble se faire désirer par tous les mannequins. Mais cette histoire de guerre cosmétique au profit de la fabuleuse invention du spray qui empêche les cheveux d'être trempés même en pleine mer n'était peut-être pas le pitch rêvé pour en faire devenir un classique ou même une réussite du genre. L'affrontement entre le Dr Clancy et Patricia montre également à quel point Tashlin et les acteurs, aussi bons soient-ils, sont quelque part prisonniers d'un script hésitant entre le sérieux –la chute brutale du corps dans le Hall de chez May Fortune- et le slapstick –l'hélicoptère atterrissant sur la pointe de la Tour Eiffel-. Un mélange inattendu mais dont le liant ne fonctionne pas de manière optimale.
L'autre atout : Doris Day, bien sûr. Mais une actrice peu encline à entrer dans le film, trouvant le scénario banal, elle dut cependant se plier au deal que son mari et producteur Marvin Melcher avait conclut avec la 20th Fox. Elle n'était d'ailleurs pas la seule : Richard Harris détesta copieusement le film, mais n'oublia pas qu'un métrage en compagnie de Doris Day était la signature d'une carrière assurée. Pour la petite histoire (révélée dans les bonus du DVD), Doris Day découvrit à la mort de son mari en 1968 que celui-ci avait dilapidé sa fortune en effectuant des investissements douteux. N'ayant aucun contrôle sur le choix de ses films (son mari avait la possibilité de signer des contrats en son nom !), elle honora un dernier contrat télévisuel (le DORIS DAY SHOW qui dura cinq ans) et décida de tout arrêter. Mais à l'heure de CAPRICE, elle avait encore toutes les faveurs de son public, cinéma et chanson, puisque chaque film s'accompagnait d'une chanson-titre qui suivait la même trajectoire de succès. A noter en ce sens une musique de Frank DeVol en accord parfait avec le film : rythmée, tressautante, oscillant entre mystère et comédie, et un très beau thème qui défile sur un générique que n'auraient pas renié Maurice Binder et Richard Williams.
Outre la mode des films à suivre, le monde de langue anglaise traversaient la période «Mod» (surnom suivant les «modernistes»). De ce fait, le costumier Ray Aghayan sauta sur l'occasion et entrepris de moderniser l'image de Doris Day. On la voit ainsi traverser le film dans des costumes aussi divers qu'extravagants, donnant le côté piquant et cartoonesque à son personnage. Car même si elle fut obligée de tourner CAPRICE, ceci n'empêcha pas l'actrice d'être une parfaite professionnelle. Dans des scènes de slapstick, où accrochée à une armature de terrasse elle tente de couper une chevelure dépassant du plancher, ou des scènes d'action voire de comédie romantique, elle y est parfaite. Hormis peut-être la classe qui fit son succès dans L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP d'Alfred Hitchcock ou le brin de folie d'UN PYJAMA POUR DEUX. Frank Tashlin tente de bien de compenser ce manque d'entrain grâce à une caméra parfois audacieuse, son sens du détail, du cadre et l'abattage qui a fait le succès de ses LA BLONDE ET MOI ou ses films avec le tandem Jerry Lewis/Dean Martin. Mais la complexité inutile du scénario alliée à un montage parfois trop lâche n'arrangent rien. On suit l'ensemble d'un œil amusé, parfois surpris par l'action mais généralement distrait. Le film se déroule sans ambages, sans réel ennui mais on sent à chaque retournement de situation qu'il manque une vraie folie, un véritable souffle pour en faire une œuvre à part. Arrivé trop tôt, peut-être, CAPRICE pave la route pour des œuvres plus psychédéliques en voie d'éclosion.
Pour les plus cinéphiles, l'immeuble dans lequel est tourné le climax entre le méchant de l'histoire et Doris Day est le Bradbury Building. Il fut maintes fois utilisé au cinéma : de CITIZEN KANE en passant par AVENGING ANGEL de Robert Vincent O'Neill via BLADE RUNNER et dans le final de LA LOI DE MURPHY de Jack Lee Thompson. Enfin, triste titre de gloire, CAPRICE sera le dernier film en CinemaScope que la 20th Fox distribuera.
Malgré les scories et le déséquilibre entre les genres traités, CAPRICE demeure tout de même un produit assez fun, une aimable parodie dotée de détails agencés avec soin par le réalisateur. Peut-être un poil trop long, manquant parfois d'audace, utilisant des ressorts dramatiques et retournements de situations déjà vus… mais avec quelques scènes comiques qui fonctionnent encore parfaitement aujourd'hui. Il n'y a qu'à voir ses rejetons, entre autres la série des AUSTIN POWERS pour s'en persuader.
CAPRICE est disponible pour la première fois dans son format 2.35:1 d'origine, avec transfert 16/9ème. Et ce dans une édition tout ce qu'il y a de plus complète. Un boitier-fourreau muni tout d'abord à l'intérieur d'un dépliant de quatre pages bardé de photos et anecdotes sur le film. Puis le DVD avec pas moins de quatre pistes audio dont une française sur un canal mono. Deux pistes anglaises , dont une en stéréo du fait des pistes d'origine de la copie CinemaScope, offrent le son original. La copie en stéréo offre une espace sonore intéressant de par les effets mais rien de bien stupéfiant non plus. L'image ne donne toutefois pas un aspect absent de toute remarque. Même si nous avons droit dans les bonus à une comparaison avant/après pour la restauration, la différence n'est pas criante. L'image demeure terne dans les scènes extérieures et il s'agit uniquement des plans en intérieur (en Suisse dans le dernier tiers) où l'agencement des couleurs parfois baroques prennent tout leur éclat à l'écran. Mais l'image n'est au global pas très satisfaisante.
Côté bonus, la Fox en a fait un fromage de ce CAPRICE, et pas simplement pour les éventuels tenanciers d'un royaume quelconque. Et le pourcentage en matière à teneur informative et culturelle tient ses promesses. Entre les interviews radios d'origine des acteurs principaux, les featurettes sur le destin de Doris Day et de son mari producteur, le point sur l'actrice et la mode du film d'espionnage hollywoodien, les bandes annonces et l'entretien avec son costumier qui apporte un point de vue différent sur la genèse du métrage… le spectateur a le choix. C'est aussi du côté du commentaire audio que cette édition se distingue, avec en duo Pierre Patrick (auteur de plusieurs livres et émissions sur Doris Day) et John Cork (auteur de James Bond : The Legacy) qui parviennent à conserver le côté fun du film tout en apportant une lumière inattendue sur le film, avec profusion de détails. Dommage qu'ils se perdent quelquefois dans certains détails inutiles (comme réciter l'historique de la Tour Eiffel…).