Critique du film
et du DVD Zone 2
INDIANA JONES ET LE ROYAUME DU CRANE DE CRISTAL
2008
1957. Indiana Jones et son partenaire Mac, sont prisonniers des soviétiques et contraints par leur chef, la Col. Dr. Irina Spalko, à retrouver dans une base secrète américaine du Nevada une caisse au mystérieux contenu apparemment magnétique…
Soyons clair : les 35 premières minutes de cet Indy 4 valent à elles seules les dix neuf années d'attente pour ce quatrième chapitre. Et pourtant jamais, depuis LA MENACE FANTOME, film n'eut à subir un tel retour de bâton, véritable déluge de commentaires négatifs, de sa présentation cannoise à la parution des critiques en passant par la coutumière mesure des forums internet («le pire film jamais vu !»). Cette constatation est d'autant plus étonnante si on la rapproche de l'indulgence dont bénéficia à l'époque LA DERNIERE CROISADE (et encore maintenant) alors que ce troisième volet accumulait les faiblesses : l'évidente démotivation de Spielberg, la photographie ratée du génial Slocombe alors sur le déclin, une Indiana girl insipide, des effets spéciaux d'ILM déficients, l'infantilisation du héros, etc...
A l'opposé de son prédécesseur, le commencement est ici déjà un sans-faute. Débutant par un moment d'insouciance furieusement Lucasien (des teenagers adeptes de course dans un roadster tout droit sorti de AMERICAN GRAFFITI), le film oblique à angle droit dans son ton comme les véhicules militaires sur la route (l'exécution chorégraphiée mais sèche des sentinelles) pour dérouler un plan introductif du héros tellement parfaitement Spielbergien qu'il sera inclus quasi-intégralement dans la bande-annonce. En usant des codes des films précédents (le chapeau, l'ombre, la vue de dos), le réalisateur prolonge à dessein notre attente pour finir sur un visage et un seul mot («Russians !») qui claque comme un coup de fouet. En quelques miraculeuse secondes, Spielberg réussit à recréer la quintessence du héros des eighties, un soupçon d'anti-héros des années 60-70 (le prisonnier, à terre, humilié) dans un grand verre de «tough guy», le dur-à-cuir du cinéma des années 40 et 50, avec un petit rien de référentiel assumé.
La suite est une partie de flipper virtuose dont la boule serait le docteur Jones (à peu près toutes les trajectoires – verticales, horizontales, diagonales – sont utilisées !) débouchant sur un épisode génialement fou : l'irruption dans un village test – que n'aurait pas renié Rod Serling et sa QUATRIEME DIMENSION – et un sauvetage délirant en réfrigérateur. Moment à la fois frénétique, ludique et surréaliste qui s'achève sur une image de toute beauté : le héros à l'ancienne sur fond de champignon atomique. L'icône à l'ère nucléaire. Télescopage jouissif. Sans doute un des plus beaux plans des quatre films. Sans doute un des plus signifiants de celui-ci. Car cette manifestation de la puissance américaine, aussi belle soit-elle, se déploie au-dessus du citoyen Henry Jones Jr comme un oiseau de proie. L'articulation immédiate avec les effets du maccarthysme (l'interrogatoire du FBI, le renvoi) n'est rien moins que brillante et renvoie aux meilleurs moments des AVENTURIERS, lorsque l'esprit du serial se mélangeait soudain aux dimensions tragiques de l'Histoire.
Cette partie nord-américaine, la plus riche, constitue donc un petit joyau par son audace, sa maestria, ses résonnances historiques mais aussi par ce qui perdurera dans sa partie sud-américaine : une lisibilité parfaite, sans surdécoupage, avec une caméra toujours intuitivement placée au meilleur endroit. Combien de films d'action peuvent s'en prévaloir aujourd'hui ? Bien peu…
S'il n'est pas question de clamer que le film est réussi en tout, on prend le pari qu'en le revoyant beaucoup de déçus de la première vision sentiront que ce ROYAUME donne beaucoup et a bien des atouts parmi lesquels sa troupe très homogène d'anciens et de nouveaux. De l'impeccable Cate Blanchett fétichisée SM par un dresscode de dominatrice garçonne (coupe à la Louise Brooks, uniforme strict et arme phallique) au surprenant Shia LaBeouf, intelligemment humble dans son jeu face à Harrison Ford. Ce dernier, véritable pivot du film, s'est visiblement glissé avec délice dans son personnage et nous régale de sa gestuelle caractéristique : du chapeau rejeté en arrière (copyrighté Bogart) à cette course typique à grandes enjambées, cou rentré et bras écartés… Indy, quoi ! Cet agréable sentiment de familiarité se double de celui de tendresse, y compris de celle qu'ont les créateurs pour leurs personnages et que l'on ressent tout au long du film. Qui d'autres osent montrer dans un blockbuster une actrice d'un certain âge qui ne soit pas refaite, collagénisée, botoxée et anorexique ? Karen Allen fait «vraie» et sa joie non-feinte de participer à l'aventure est franchement communicative.
Un bémol cependant : la photographie de Janusz Kaminski. Annoncée comme devant s'inscrire dans l'héritage de Douglas Slocombe, il apparaissait évident dès la vision en salle que Kaminski avait surtout fait du… Kaminski pour obtenir un résultat des plus discutable : par surexposition, la moindre surface réfléchissante émet une lumière diffuse, cotonneuse avec pour premier effet un manque de netteté. Là où cela se gâte, c'est lorsque le ciel n'est qu'un halo blanchâtre qui enlève tout réalisme aux prises de vue en extérieur !
L'image justement de ce DVD : certifiée THX (on a même droit à un séduisant nouveau logo), elle retranscrit les couleurs chaudes vues au cinéma avec ses dominantes marron et doré mais semble forcer la note comme en témoigne dans certaines scènes le teint parfois poussé des personnages. Sans défauts numériques majeurs et avec un transfert propre, le DVD ne peut pourtant prétendre à l'exemplarité d'autres sorties de films récents. Sans qu'il soit possible d'expliquer à quoi cela est dû, on peut regretter un manque de piqué qui rend l'image moins impressionnante qu'elle ne devrait l'être. Rien à redire par contre sur le son : la solide piste Dolby Digital 5.1 est un modèle de clarté où vous goûterez aussi bien aux dialogues, à la musique de John Williams, qu'aux bruitages de Ben Burtt (de l'explosion nucléaire au cassage de nez de Mac !). Un travail de référence.
L'éditeur nous a seulement fournit l'édition simple où se trouve deux mini-documentaires réalisés par l'indéboulonnable Laurent Bouzereau. Le premier, «Le Retour d'une Légende», est un plaisant module de 17 minutes qui retrace la genèse laborieuse du retour d'Indiana Jones au cinéma. La faute en est au chiffre «3». Lucas. Spielberg. Ford. Sauf que cela n'équivaut pas à «1+1+1» mais le plus souvent à «2+1»… qui peut être à géométrie variable selon les sujets (faire un nouvel opus ? inclure des extra-terrestres ?). Pour finir de compliquer le processus, le «1» ne s'incline pas face à la majorité mais possède évidemment une minorité de blocage. De ces années de tractations, on peut regretter le voile pudique jeté sur l'étape «Frank Darabont», mais on apprendra néanmoins que le personnage de Shia LaBeouf était originellement une fille, une option intéressante de George Lucas, laquelle se heurtera malheureusement à la réticence totale de Spielberg (qui aurait dû lire le «Dark Knight» de Frank Miller). Accessoirement cette anecdote contredit une des rumeurs qui prêtait à Lucas le dessein diabolique d'imposer une descendance mâle pour de futurs films… Pour finir nous avons droit à une sympathique séquence d'autodérision avec les différents titres auxquels nous avons échappés ! L'effet comique est d'ailleurs renforcé par une astucieuse mise en forme simulée.
En un peu plus de onze minutes, l'autre bonus, «Pré-production», évoque donc les différentes étapes avant le tournage parmi lesquelles la prévisualisation vidéo des scènes par Spielberg, le costume d'Indy, le casting de Shia LaBeouf, les entraînements à l'épée et au fouet et les retrouvailles de travail avec les producteurs originaux Kathleen Kennedy et Frank Marshall. Un survol idéal pour qui ne s'intéresse que modérément aux bonus et a choisi en priorité cette édition simple. Pour les autres, on pourrait leur conseiller l'édition Collector (disponible en DVD et Blu-Ray) pourvue de plusieurs making-of autrement plus conséquents mais dont nous n'avons aucune idée de la qualité globale. Par contre, aucun commentaire audio, Spielberg oblige, n'est présent sur aucune des éditions.