Alors que les habitants d'Antonio Bay s'apprêtent à célébrer le centenaire de leur commune, une brume épaisse et surnaturelle surgit de la nuit. En son sein, d'implacables revenants commencent à décimer la population. Réclamant vengeance, les morts-vivants poursuivront leur tâche jusqu'à ce que justice soit faite et que leur soit rendu ce qui leur fut volé jadis…
Quatrième long métrage cinéma de John Carpenter, FOG est une œuvre qui trouve logiquement sa place au cœur d'une filmographie aux thématiques aussi récurrentes que passionnantes. Particulièrement riche, cette histoire de revenants revanchards trouva le chemin des salles obscures en 1980. Vingt-cinq années plus tard, le cinéaste Rupert Wainwright nous proposera sa vision via un remake d'une bien piètre qualité. Accordons toutefois à cette resucée creuse une indiscutable qualité : celle de nous donner envie de replonger au plus vite au cœur même du cauchemar de Carpenter…
L'idée de FOG est née en 1977 alors que John Carpenter et Debra Hill sont en Angleterre afin d'assister à la projection Londonienne de ASSAUT. En attendant l'événement, les deux se rendent sur le célèbre et spectaculaire site de «Stonehenge» qu'ils découvrent envahi d'une brume épaisse et inquiétante. Cette vision, «Big John» la nourrit de ses souvenirs littéraires et plus particulièrement de l'atmosphère étrange qui se dégage des écrits de Howard Philipps Lovecraft et Edgar Allan Poe. Ce dernier sera du reste cité en tout début de métrage, préparant ainsi le spectateur à ce qui s'apparente finalement à la lecture d'un conte macabre. En effet, FOG adopte la forme très particulière du «récit dans le récit» et ce grâce à une première scène nous installant sur une plage, au coin d'un feu improvisé. Un vieil homme joué par John Houseman et nommé «Mr. Machen» (en référence à l'écrivain fantastique britannique Arthur Machen) raconte alors une dernière histoire à un petit groupe d'enfants. Cette histoire, c'est bien évidemment et en substance celle que nous allons découvrir par la suite. Dès lors, la suite des événements peut être perçue par le spectateur comme une pure fiction, une simple mise en image du récit d'un vieil homme destiné à effrayer les enfants/spectateurs…
Mais parmi ces enfants, il en est un qui ouvre la voie à une autre possibilité. Assis aux côtés de ses petits camarades, le jeune Andy est en effet le seul bambin que nous retrouverons par la suite au cœur du métrage. FOG ne serait-il donc finalement que le cauchemar d'un jeune garçon suite à l'histoire terrifiante que lui a conté un adulte ? Possible. Quoiqu'il en soit, c'est un vent de mystère qui souffle sur FOG et ce dès sa très particulière introduction… John Carpenter clôt cette première séquence comme il le faisait déjà dans HALLOWEEN (séquence du jeune Myers debout devant sa maison) via un traveling vertical et change alors d'unité de lieu pour nous inviter au cœur de l'église du village. «Inviter» est bien le mot puisque c'est le réalisateur lui-même qui nous apparaît alors à l'écran. L'homme éteint les cierges, nous fait passer de la lumière à l'obscurité, du réel à l'imaginaire et donne ainsi le «top départ» à son histoire de fantômes. Le récit peut dès lors commencer mais là encore, Carpenter fait preuve d'une parfaite maîtrise de la mise en scène en mettant entre les mains du personnage qu'il interprète une simple radio. Avant de s'éclipser, l'individu oublie son poste diffuseur qui s'avèrera finalement être l'élément narratif reliant l'ensemble des personnages de la fiction.
Car au-delà de l'aura mystérieuse qu'il dégage de la première à la dernière image, FOG est un film audacieux mettant en scène des personnages qui se ne rencontreront pratiquement pas ! Chaque micro-groupe d'individus évoluera ainsi indépendamment des autres et vivra à sa manière les événements liés au brouillard. Le métrage propose ainsi différentes «visions» d'un même drame et nous invite à prendre part à plusieurs petites histoires qui n'auront de cesse de s'entremêler. La démarche s'avère particulièrement osée pour un film à vocation horrifique puisqu'elle pourrait bien évidemment nuire à l'implication du spectateur et étouffer tout sentiment de frayeur… Ce n'est ici pas le cas et si FOG parvient à maintenir une angoisse constante sur toute sa durée, c'est bien grâce au vecteur qu'est la radio locale d'Antonio Bay. Ainsi, dès l'instant où le personnage joué par Carpenter oublie sa radio, la voix de Stevie Wayne résonne et agira comme un guide pour l'ensemble des autres protagonistes… Ce n'est du reste pas un hasard si la station de radio se trouve être le phare du village. Ce lieu symbolique est évidemment à mettre en parallèle avec la tragédie qui fût à l'origine de la malédiction : Mal guidé par un feu qu'il prit pour un phare, l'équipage d'un navire alla s'écraser sur les récifs… Cette fois-ci donc, et cent ans plus tard, le «guide» aura pour vocation d'être un sauveur et non plus un assassin.
Ce personnage central sera interprété par Adrienne Barbeau qui, malgré un temps de présence à l'écran n'excédant pas celui des autres intervenants, s'avèrera omniprésente de par sa voix. Il est du reste intéressant de noter que dans THE THING, John Carpenter fera à nouveau et furtivement usage de la voix de l'actrice pour assurer le doublage d'un ordinateur… Outre Miss Barbeau, FOG mettra en scène Hal Holbrook dans le rôle du père Malone et Tom Atkins dans celui de Nick Castle, l'acteur retrouvera Carpenter pour NEW-YORK 1997 et HALLOWEEN III: LE SANG DU SORCIER. Terminons enfin en nommant Jamie Lee Curtis, fraîchement rescapée de HALLOWEEN, ainsi que sa mère, la comédienne Janet Leigh. Rappelons que cette dernière incarna la malheureuse Marion Crane qui succomba dans la douche du PSYCHOSE d'Alfred Hitchcock en 1960. Là encore, point de hasard car les références au «Maître du suspense» sont nombreuses dans FOG. Nous avons déjà évoqué le cas du réalisateur qui apparaît dans son film et le «lance» comme le faisait Hitchcock dans sa série ALFRED HITCHCOCK PRESENTE mais nous pouvons également rapprocher FOG des OISEAUX. Outre le fait que les deux films partagent une thématique proche (celle d'une ville côtière isolée et assaillie), les deux films sont tournés au même endroit, au nord de San Francisco et plus précisément dans la ville balnéaire de Bodega Bay…
Mais laissons de côté les nombreuses références et clins d'œil pour en revenir aux thématiques chères à John Carpenter lui-même. Nous retrouvons tout d'abord dans FOG la notion récurrente du «bien» se cachant sous l'apparence du «mal» (et réciproquement). Ici, les descendants des villageois n'ont rien des honnêtes fondateurs que l'on célèbre et les revenants assassins ne sont finalement que les victimes d'une trahison passée. Personne n'est réellement ce qu'il parait être, à l'image des anti-héros que Carpenter aime à mettre régulièrement en scène (Snake Plisken, Napoleon Wilson, James –Desolation- Williams, etc...). Cette idée d'«apparences trompeuses» deviendra bien évidemment le sujet central du monumental THE THING en 1982.
L'autre thématique récurrente à la filmographie de «Big John» est celle de l'entité prédatrice impalpable, inquantifiable et impossible à identifier. Dès ASSAUT, son premier long, Carpenter mettait en scène des agresseurs répondant à ces différents critères. Qui étaient-ils ? Pourquoi agissaient-ils ? Jusqu'où iraient-ils ? Le spectateur n'en savait rien et c'est bien cette absence de limite et de rationalisme qui rendait la menace réelle et inquiétante. Carpenter réutilisera l'idée dans la plupart de ses films mais le fera de manière particulièrement significative dans PRINCE DES TENEBRES (les clochards), GHOST OF MARS (qui n'est qu'un remake à peine masqué de ASSAUT) et bien évidemment FOG. Dans ce dernier, les agresseurs agissent cachés dans un brouillard symbolique renforçant davantage le côté «abstrait» de l'entité menaçante. Cette brume irréelle, Carpenter avoue lui-même qu'elle est en partie l'héritage du THE TROLLENBERG TERROR de Quentin Lawrence, film de 1958 mettant en scène une créature Lovecraftienne cachée dans le bouillard. Dans FOG, la brume est davantage qu'un simple «camouflage» et semble être la matérialisation d'une culpabilité, celle d'une ville bâtie dans le sang et la traîtrise…
Encore une fois, nous abordons une nouvelle facette du travail du cinéaste. L'homme prend en effet toujours grand soin d'offrir à ses œuvres plusieurs niveaux de lecture ou, au moins, quelques allusions «bien senties». Ainsi, comment ne pas voir dans la petite ville d'Antonio Bay une vision «en modèle réduit» de ce que furent les Etats-Unis à l'époque de leur découverte. Les mots sont mêmes lâchés et le terme de «colonisation» côtoie donc fort logiquement ceux que sont «richesses» et «terres nouvelles». John Carpenter nous livre ici sa vision de la conquête d'un monde nouveau qui ne peut, malheureusement, se faire sans heurt et sans violence. S'il on en croit le cinéaste, les descendants sont tout aussi fautifs que leurs aïeuls, si ce n'est dans les actes, au moins par leurs propensions à oublier leur honteux passé.
Bien évidemment et comme nous le disions dans notre chronique du disque américain, FOG ne se contente pas de n'être qu'une étonnante «boite à idées» contenant et mixant avec talent les pensées et influences de son auteur. FOG est avant tout un film d'ambiance diablement efficace, servi par un casting des plus convaincants et accompagné d'une partition musicale glaçante signée (encore une fois) de la main même du cinéaste. Fluide malgré un choix narratif risqué et effrayant malgré l'absence totale d'effets gores, FOG est l'une des preuves indiscutables que Big John est l'un des plus grands metteurs en scène dévoué au cinéma fantastique. Oublions donc le lamentable remake et re-découvrons, encore et encore, ce dont les vrais réalisateurs sont capables.
Re-découvrir FOG, c'est ce que nous propose Studio Canal en ressortant le film de John Carpenter en version haute définition via le support Blu-Ray. En France, le film a déjà connu une carrière numérique des plus riches avec une première édition DVD commercialisée par TF1 vidéo puis une seconde sortie sous la bannière Studio Canal. Cette dernière avait profité d'une bonne partie des bonus du disque américain et c'était même vue complétée par un sympathique livret ponctionnant moult informations du livre «Mythes et masques : Les fantômes de John Carpenter» de Luc Lagier et Jean-Baptiste Thoret. Ayant parié sur le HD-DVD, Studio Canal s'était l'année dernière fendu d'une première édition en haute définition. A la grande surprise des DVDphiles, ce nouveau disque c'était vu expurgé de la totalité des suppléments présents sur le DVD. La claque était par conséquent sévère pour les acheteurs potentiels qui ne savaient dès lors plus quelle édition prendre (les deux dirait bien évidemment l'éditeur !). Nous espérions que Studio Canal reviendrait sur ce choix éditorial (commercial) plus que douteux suite à l'avènement du Blu-Ray mais il semble que ce ne soit malheureusement pas le cas. Le disque ne comporte donc rien d'autre qu'une petite option permettant l'étalonnage de votre installation en terme d'image et de son. Des deux, seul le réglage visuel propose un léger intérêt puisque dans la plupart des cas, l'étalonnage sonore se fera par le biais des options intégrées à votre amplificateur. Nous avons donc là une édition bien pauvre qui annonce sans aucun doute une future édition bardée de bonus et, potentiellement, un nouveau passage à la caisse…
Abordons maintenant le cas de l'image qui nous est bien entendue proposée en 1080p. Le cadrage reprend celui des éditions françaises précédentes, à savoir qu'il coupe donc légèrement les bords de l'image par rapport au DVD MGM américain. Rien de dramatique toutefois… En terme de qualité d'image, le gain apporté par la haute définition est indiscutable. FOG sort grandit de cette nouvelle expérience en proposant une copie propre, des couleurs magnifiques (quoiqu'un peu saturées lors de la première séquence), des contrastes saisissants et un rendu des passages brumeux tout simplement bluffant. Le grain pellicule demeure présent et permet au métrage de conserver un aspect cinéma des plus agréables.
Reste que tout n'est pas parfait. Nous avons ainsi remarqué qu'en de très nombreuses occasions (et davantage encore durant le troisième tiers du film), les quatre bordures de l'image se montrent anormalement flous. A bien y regarder, le défaut semblait déjà discernable sur la copie DVD mais le passage en haute définition est ici fatal et décuple l'impact visuel de cette «curiosité». Si ce défaut n'a rien de dramatique lors des plans larges, il est en revanche très notable lorsque l'on est en présence d'acteurs filmés en plan américain, italien ou de pied. En effet, la tête des protagonistes a alors tendance à se retrouver dans le bord haut de l'image et devient par conséquent totalement floue. C'est le cas par exemple à la 76ème minute, lorsqu'Adrienne Barbeau descend un escalier pour constater que la brume est aux portes de son phare. L'ensemble de son corps est ici net et précis alors que son visage n'est pas clairement défini et semble à peine digne d'une copie DVD… S'agit-il là d'un défaut d'origine ? Il nous parait très difficile de statuer sur ce point et nous devrons donc attendre une édition HD issue d'une copie différente pour trancher avec davantage de précision…
Sur le plan sonore en revanche, nous n'avons pas noté de défaut particulier. Nous aurons le choix entre la version originale proposée ici en DTS-HD Master Audio 5.1 et les doublages français ou allemands encodés en DTS-HD High resolution 5.1. Sur le plan sonore, les doublages n'ont tout simplement rien à voir avec la piste anglaise. Le doublage en langue de Molière par exemple se montre très étouffé alors que la piste originale offre d'avantage d'ampleur ainsi qu'un meilleur équilibre entre voix, bruitages et partition musicale. Reste que les trois pistes sont propres et dispensent des dialogues clairs. L'ambiance sonore est clairement au rendez-vous.
Ajoutons pour finir que le doublage français est bien celui de 1980 et que l'on retrouve donc les étranges libertés prisent à l'époque. Parmi celles-ci, citons la séquence durant laquelle Jamie Lee Curtis est prise en stop par Tom Atkins. La version originale prend grand soin de créer une aura de mystère autour du personnage d'Elizabeth (prénommée comme le bateau fantôme). Elle déclare que c'est la treizième (nombre symbole bien évidemment) fois qu'elle monte dans la voiture d'un inconnu et demande au personnage joué par Atkins s'il n'est pas un malade mental… En version française, le dialogue prend une tournure toute autre lorsqu'elle demande à Atkins s'il n'est pas un pervers sexuel. L'homme répond ironiquement qu'il l'est et elle annonce qu'il est son troisième (et non plus treizième) chauffeur. Le personnage d'Atkins balance alors qu'il va donc être «le troisième à la prendre», ce à quoi elle rétorque un «nous verrons» qui en dit long… Mais où diable est passée la prude demoiselle que nous avions rencontré dans HALLOWEEN !?