Critique du film et du DVD Zone 2
SWEENEY TODD : LE DIABOLIQUE BARBIER DE FLEET STREET 1936

A Londres, le barbier Sweeney Todd aspire à devenir armateur de façon à gagner plus d'argent et gravir les échelons de la société. Pour ce faire, il entre en affaire avec l'un des plus grands propriétaires de navires de la ville. Mais Sweeney Todd n'est pas qu'un simple homme d'affaire en devenir, il est en réalité un sombre individu qui partage avec sa voisine un terrible secret...

Tod Slaughter est, chronologiquement, la première grande «Star» britannique de l'horreur. La carrière de Norman Carter Slaughter ne débute pas au cinéma mais sur les planches de petits théâtres. Il va d'ailleurs créer sa propre troupe théâtrale et se spécialiser assez vite dans le grand guignol. Il ne se tournera vers le cinéma qu'assez tardivement dans le courant des années 30. Il faut tout de même préciser que l'Angleterre suit déjà, à ce moment là, de manière pointilleuse la distribution des films. Il existe en effet un code de conduite qui, si l'on s'en écarte, peut mener à une censure que ce soit par des coupes ou une interdiction. Le paradoxe étant que le théâtre s'avère bien plus libre dans ce qu'il est à même de montrer. En tout cas, le producteur George King prend le risque de s'associer avec un Tod Slaughter dont la réputation n'est plus à faire en Angleterre. La prise de risque est pourtant plutôt bien calculée puisque les deux hommes vont commencer par la création en 1935 d'un MURDER IN THE RED BARN que l'acteur jouait déjà auparavant avec grand succès en compagnie de sa troupe de théâtre. L'année suivante, pour leur deuxième collaboration cinématographique, George King continue de produire mais va aussi assumer la réalisation de SWEENEY TODD : THE DEMON BARBER OF FLEET STREET. Une nouvelle fois, il s'agit d'une pièce que Tod Slaughter jouait sur les planches. L'acteur avait d'ailleurs enregistré avec sa troupe des 78 tours immortalisant leur création théâtrale.

L'histoire du personnage de Sweeney Todd est un récit populaire en Grande Bretagne dont la véracité n'a jamais été prouvée. La légende raconte qu'un barbier du nom de Sweeney Todd officiait à Londres. Plutôt que couper la barbe de ses clients fortunés, il leur tranchait la gorge pour les dépouiller de leurs richesses. L'histoire pourrait paraître encore assez banale si les cadavres n'étaient pas ensuite recyclés par une comparse tenant une échoppe où elle vendait des tourtes à la viande. Meurtres au rasoir et commerce cannibale, il n'en faut pas plus pour que cette histoire parue à l'origine dans de petites publications à bas prix ne prenne de l'ampleur et entre dans les croyances populaires. L'histoire originale sera donc adaptée assez vite au théâtre et repris pas mal d'années plus tard, tel quel, par un Tod Slaughter cabotin, une qualité indispensable pour tenir un tel rôle. De plus, au théâtre sous l'égide du comédien, le sang coule et tout est fait pour provoquer un effroi sympathique dans une assistance avide d'émotions fortes. Après deux adaptations cinématographiques au temps du muet, l'histoire de Sweeney Todd par Tod Slaughter va poser quelques petits soucis. Il est carrément impossible, au cinéma, de retranscrire les épanchements sanglants de la pièce tout comme d'approcher de manière frontale les pâtisseries macabres. Du coup, SWEENEY TODD : THE DEMON BARBER OF FLEET STREET va être une adaptation très édulcorée de l'œuvre théâtrale. Le barbier ne tranche plus la gorge de ses victimes avant de les expédier à la cave et la mention des tourtes humaines est lourdement suggérée à coups d'interrogations ou de clins d'œil. Partant d'une pièce de théâtre dans la tradition du grand guignol, l'adaptation cinématographique devient un mélodrame criminel.

Cette première version parlante de Sweeney Todd va donc surtout se focaliser sur son acteur principal. Issu du théâtre, l'acteur fait son show comme il l'a fait à de très nombreuses reprises sur les planches. L'interprétation ne cherche donc pas à se fondre dans un réalisme sans aucun intérêt dans un tel contexte mais tend plutôt à nous présenter un personnage gouailleur, sinistre croquemitaine que l'on ne peut qu'aimer détester. A ce titre, l'introduction et l'épilogue du film sont assez éloquent à propos d'un spectacle qui se veut avant tout ludique plutôt que réellement effroyable. Le film s'ouvre à notre époque, ou plutôt à celle de Tod Slaughter, en suivant un quidam qui vient se faire raser dans une échoppe. Là, il voit un tableau représentant Sweeney Todd et il interroge donc le barbier qui lui raconte toute l'histoire. La fin du film nous ramène auprès de ces deux hommes avant un dernier trait d'humour. Cette manière d'amener l'histoire est aussi intéressante car elle ne cache pas, bien au contraire, la tradition d'une légende qui perdure avec le temps. En tout cas, soixante dix ans après sa réalisation, le film paraît tout de même un peu désuet. La représentation de la violence, essentiellement hors champ dans ce métrage, a tellement évolué que ce SWEENEY TODD : THE DEMON BARBER OF FLEET STREET semble très éloigné du cinéma horrifique. Il faut tout de même réussir à se replacer dans le contexte des années 30. Le summum de l'horreur se nomme alors DRACULA ou FRANKENSTEIN. L'évocation d'un homme tuant sans vergogne n'a rien de vraiment anodin au cinéma. Surtout avec l'interprétation d'un personnage qui semble n'avoir strictement aucun remord, bien au contraire, même avec quelques enfants sur la conscience. Mais le récit s'écarte un peu des meurtres à répétition pour y intégrer aussi une vilaine histoire d'amour non partagée, de chantage et autres manipulations dont Sweeney Todd est le maître d'œuvre. A ce propos, le film met en scène un homme qui semble peu instruit tenir par les bourses un «aristocrate» qui n'a pas envie de voir sa fille tomber entre les mains d'un simple marin. Une illustration de la lutte des classes assez commune dans les récits populaire mais qui se voit ici chapeauté par un protagoniste qui fait fit de toute moralité.

Tod Slaughter et George King vont faire par la suite d'autres films à l'instar de FACE IN THE WINDOW ou CRIMES AT THE DARK HOUSE. L'acteur continuera aussi à jouer au théâtre en reprenant ses plus grands succès avec les pièces justement adaptées dans MURDER IN THE RED BARN et SWEENEY TODD : THE DEMON BARBER OF FLEET STREET. Aujourd'hui, l'acteur Tod Slaughter est relativement inconnu, il aura pourtant laissé sa marque dans le cinéma «Fantastique» britannique avant que n'émerge les plus renommés métrages de la Hammer Films durant les années 50 avec les successeurs du comédien que sont Peter Cushing ou Christopher Lee.

Faire le tour de l'édition DVD de ce SWEENEY TODD : LE DIABOLIQUE BARBIER DE FLEET STREET ne prend pas beaucoup de temps. Le menu du DVD se résume assez vite à une seule option. A priori, il n'y a donc plus qu'à valider celle-ci pour voir le film sans plus attendre. Les premières secondes, lors du générique, sont assez inquiétantes avec une image qui n'est pas d'une grande stabilité avec un peu de tremblotte. Passé cela, l'image s'améliore par la suite même s'il faudra se résoudre à une évidence. Il n'y a pas de miracle ! Le film accuse ses soixante dix ans passés mais se laisse tout de même regarder sans véritable gêne. En version anglaise et aux sous-titres appliqués directement sur l'image, la seule piste audio est assez commune de son époque. Un peu plate, elle n'empêche pas pour autant l'écoute. Le constat n'est pas des plus brillants mais n'a rien de spécialement catastrophique. N'oublions pas de préciser que ce métrage permet de redécouvrir un vestige du passé qui n'a probablement que peu d'attrait pour le grand public. Evidemment, il ne faut pas être dupe, son arrivée sur le marché français est conditionnée par la sortie d'une autre adaptation de l'histoire originale mais ce DVD du film de George King a, au moins, le mérite d'exister !