Nous sommes en 1943 et l'Allemagne nazie se porte mal. Le moral des troupes est au plus bas, le doute s'installe et même les gradés les plus décorés commencent à remettre en question la «politique» de Hitler… Afin de revigorer ses troupes, le Führer décide donc de mettre à profit l'idée audacieuse de l'un de ses sous-fifres : La création d'un bordel ambulant. Outre les vertus apaisantes d'un tel établissement, l'objectif est bien évidemment de recueillir des «confidences sur l'oreiller» pour ainsi dégoter les fruits pourris du troisième Reich. Elsa Ackermann, séduisante colonelle SS, se voit donc nommée au rang de maquerelle en chef. Pour le bien de sa patrie, elle devra tout mettre en œuvre afin que les croupes s'agitent et que les langues se délient…
Comme nous l'avions déjà évoqué à l'occasion de notre chronique de TRAIN SPECIAL POUR HITLER, la firme Eurociné s'intéresse à la nazisploitation sur le tard. Réellement initié en 1974 par les italiens avec des films comme LE PORTIER DE NUIT puis SALO, LES 120 JOURNEES DE SODOME et SALON KITTY, ce sous-genre cinématographique n'aura finalement duré qu'une poignée d'années. Durant cette période, les réalisateurs transalpins n'auront bien évidemment pas chômé et nombreuses auront été les pellicules alliant sexe et torture sous couvert d'un passé historique douloureux… Les États-Unis ne seront pas en reste et le ILSA, LA LOUVE DES SS de Don Edmonds apportera lui aussi une pierre remarquable à l'édifice. C'est en effet ce métrage qui installera en 1974 l'image d'une SS au féminin, sans pitié, totalement vouée à la cause Hitlérienne et à son amour démesuré pour le sadisme. ILSA deviendra instantanément l'une des figures emblématiques de la nazisploitation et connaîtra deux suites officielles avant d'être détournée par les européens. Jess Franco n'attendra pas et s'offrira les services de l'actrice Dyanne Thorne, l'authentique ILSA, pour un métrage nommé GRETA LA TORTIONNAIRE DE WREDE. La firme Eurociné ne sera bien évidemment pas en reste et lâchera entre autres HELGA LA LOUVE DE STILBERG, ne se déroulant pas pendant la Seconde Guerre Mondiale, aux côtés du ELSA FRAULEIN SS dont il est question ici…
C'est Patrice Rhomm qui se chargera de la mise en boite du métrage. Passionné de Fantastique, l'homme débute dans ce domaine en créant la revue «Satellite» et usera alors pour la première fois du pseudonyme de Marc Star. Fort de quelques nouvelles et de son travail rédactionnel pour la revue «Fiction», Patrice Rhomm passe dans les années 60 à la rédaction de scripts et figurera notamment sur la longue liste des scénaristes ayant officieusement oeuvré sur OSS 117 SE DECHAINE et BANCO A BANGKOK POUR OSS 117. Viendra alors en 1974 un premier film nommé L'ARCHISEX puis un autre, toujours teinté d'érotisme, répondant au titre étrange de DRAGUSE OU LE MANOIR INFERNAL. Ces deux métrages permettront à Patrice Rhomm (sous le pseudo de Marc Stern) de rencontrer l'actrice «libérée» Claudine Beccarie mais aussi l'acteur Olivier Mathot qui incarnera avec justesse l'officier de ELSA FRAULEIN SS…
ELSA FRAULEIN SS sera tourné fin 1976 pour une sortie en salle le 28 septembre 1977. La firme Eurociné avait pour habitude d'amortir ses budgets en bouclant deux, voire trois films en même temps. Le métrage de Patrice Rhomm ne fera pas exception et sera tourné en quasi-simultané avec le TRAIN SPECIAL POUR HITLER de Alain Payet. Le spectateur ne sera donc pas surpris de retrouver dans les deux films un certain nombre d'éléments communs… Le fameux train Pullman fera ainsi office, dans les deux cas, de maison close sur rails. Nous retrouverons par ailleurs les costumes, armes et véhicules d'époques qui furent prêtés à la production par un collectionneur privé. De courtes séquences de métrage migreront même d'un film à l'autre, avec toutefois une discrétion qui ne sera pas toujours de mise chez Eurociné. Nombreux sont enfin les acteurs qui, sciemment ou pas, passeront d'une pellicule à l'autre pour des rôles quasi-identiques. Parmi ceux-ci, nous citerons Erik Muller et Rudy Lenoir, tous deux nazis à l'écran, mais aussi et surtout Claudine Beccarie, prostituée SS dans les deux cas.
Malgré donc une série de points communs, ELSA FRAULEIN SS se démarque de TRAIN SPECIAL POUR HITLER grâce à une trame scénaristique très largement inspirée du SALON KITTY de Tinto Brass. Comme dans ce dernier, l'amour (la fesse ?), le doute et la trahison tiennent ainsi une place importante dans ELSA FRAULEIN SS. On y découvre une résistance organisée et infiltrée avec, en parallèle, des officiers nazis fatigués et en proies au doute. L'armée allemande est en déroute et nombreux seront les plans transcrivant avec intelligence et élégance cet état de fait : Un SS regardant un train de déportés d'un air songeur, un jeune déserteur souhaitant goûter aux plaisirs de la vie, un officier préférant la mort à une existence pavée d'atrocités, etc... Patrice Rhomm n'a ni les moyens, ni le savoir faire de Tinto Brass, mais il propose avec son film une alternative plutôt intéressante et nourrie même d'un certain talent. Les britanniques ne s'y tromperont pas et lors de son arrivée outre-manche, ELSA FRAULEIN SS sera rebaptisé FRAULEIN KITTY. Les américains opteront de leur côté pour un titre moins évocateur et plus «passe-partout» avec CAPTIVE WOMEN 4. Notons que TRAIN SPECIAL POUR HITLER se verra pour sa part affublé du chiffre cinq en traversant l'atlantique…
Comme tout bordel nazi qui se respecte, celui de ELSA FRAULEIN SS se devait d'être dirigé d'une main de fer par un clone zélé de ILSA. Ce «duplicata à la française» épousera les formes particulièrement généreuses de Malissa Longo, starlette italienne de l'époque, incarnant ici la cruelle Elsa du titre. Bien moins pertinent que son homologue de TRAIN SPECIAL POUR HITLER, ce personnage à priori essentiel pèche malheureusement par son manque évident de profondeur. Dénué de motivations véritables, lotie de dialogues minimalistes et sadique dans des proportions très «raisonnables» pour le genre, Elsa déçoit clairement. Le charme indiscutable de Miss Longo palliera le problème lors de quelques séquences mais là encore, l'érotisme particulièrement timoré du métrage ne pourra que laisser l'amateur sur sa faim. Il s'agit là d'une disette d'autant plus rageante que ELSA FRAULEIN SS dispose d'un casting féminin des plus agréables. Nous citerons ainsi la charmante Pamela Stanford (vue dans SALON KITTY) qui pousse ici la chansonnette, vêtue d'une simple nuisette et assise sur un piano laissé aux mains expertes de Daniel White (compositeur de la bande originale). Patrizia Gori, généralement plus impudique, incarnera pour sa part une résistante infiltrée au sein du bordel ambulant. Malgré son étonnante sous-exploitation en début de métrage, elle deviendra un personnage charnière que l'on aurait souhaité voir davantage développé…
En effet, l'un des principaux défauts de ce ELSA FRAULEIN SS est d'osciller sans cesse entre le cinéma d'exploitation pur et une approche moins «codifiée» du genre. En cela, Patrice Rhomm sera sans aucun doute victime du producteur Marius Lesoeur, investisseur avisé et ancien résistant, désireux d'exploiter un filon tout en exposant son patriotique vécu... En l'absence d'orientation véritable, le film semble par instant tâtonner sans jamais se laisser emporter. Ce sera malheureusement le cas lors de la première partie, dédiée au personnage de Elsa que l'on nous présente comme sadique. Si la demoiselle fronce les sourcils et porte la cuissarde comme peu d'autres, elle se montrera en réalité bien modérée dans ses agissements. Trop sans doute pour les connaisseurs...
A l'issue de la première moitié du métrage, Patrice Rhomm délaisse assez brutalement l'influence d'ILSA et les clichés par trop souvent usités afin d'opter pour une vision plus «crédible» du genre. Elsa se trouve bien vite réduite à une simple mais séduisante caricature qui sera mise à l'écart au profit du personnage nostalgique d'Olivier Mathot. La Liberté s'impose dès lors comme axe principal du récit et qu'ils soient nazis ou résistants, tous y aspirent d'une manière ou d'une autre… Si la thématique étonne par sa pertinence, le manque de moyens se fait en revanche cruellement sentir. Les décors vides et franchouillards fleurent bon l'amateurisme et la bande originale peu inspirée tend assez fortement à décrédibiliser l'ensemble. Patrice Rhomm commet par ailleurs quelques erreurs et nous gratifiera même d'un final particulièrement raté, dans lequel transpire alors de manière indiscutable son désintérêt pour le personnage d'Elsa… En de nombreuses occasions, la «touche» Eurociné refait par ailleurs surface et les faux raccords se multiplient au même rythme que les mimiques douteuses des acteurs. Les plus attentifs (ou joueurs) des spectateurs pourront même compter les passages en arrière-plan d'automobiles pour le moins anachroniques !
Au final, ELSA FRAULEIN SS est donc un film plutôt sage qui décevra à n'en pas douter les amateurs nourris aux nazi-movies transalpins. Patrice Rhomm parviendra cependant à intriguer en proposant une vision autre, plus sincère et au final plus intéressante que celles de ses confrères. S'il est évident que cela ne palliera en rien les nombreuses maladresses du métrage, cela suffira peut être en revanche à attiser la curiosité et, pourquoi pas, une certaine sympathie.
ELSA FRAULEIN SS arrive en DVD sur le sol français grâce à l'éditeur Artus Films qui s'offre ici une percée dans le monde obscur de la nazisploitation estampillée Eurociné. L'initiative est intéressante et le challenge de taille. En effet, il parait évident qu'à l'heure actuelle, la recherche d'une copie «exploitable» pour ce type de métrage n'est pas toujours des plus aisées. Si l'on en croit le générique d'introduction, Artus semble avoir opté pour un copie d'origine britannique. Celle-ci nous est proposée au format 1.66 d'origine via un encodage en 16/9ème d'une qualité malheureusement très variable. Les griffures et autres brûlures de cigarettes sont ainsi très présentes et ce sur la majorité des séquences. Reste qu'il convient d'être indulgent avec ce type de film et qu'à côté de cela, les couleurs sont belles et les contrastes bien rendus. Nous noterons par ailleurs quelques rares soucis de stabilité d'image et une définition légèrement en retrait lors de courtes scènes. Globalement, l'image est d'un niveau juste acceptable et ce même si l'encodage sait se faire relativement discret… L'unique piste sonore du disque s'avère bien évidemment être le français d'origine, proposé ici via un mono encodé sur deux canaux. Bien que parfaitement claire, cette piste souffre toutefois d'un net manque de relief. Encore une fois, c'est sans aucun doute le matériau d'origine qu'il convient de remettre en cause…
Alors que la plupart des films Eurociné font l'objet d'éditions bâclées, Artus Films décide de rendre hommage en dotant ses disques de quelques suppléments fait maison. Le premier prendra la forme d'une courte introduction au film, donnant la parole à Daniel Lesoeur, directeur de la firme Eurociné. Comme c'est le cas sur les autres disques de la collection, l'homme se montre assez bref et ne délivre en réalité que peu d'anecdotes. La plupart d'entre elles trouveront de plus écho dans l'interview suivante, permettant à Christophe Bier de s'exprimer sur une durée excédant les quarante-cinq minutes. Bien que Bier soit acteur, écrivain et intervenant pour différents magazines, c'est essentiellement son érudition cinématographique et sa large connaissance du monde Eurociné qui justifient pleinement sa présence au sein de ce disque. Christophe Bier avait en effet co-écrit en 1999 un Fanzine de 206 pages intitulé «Cinéma culte européen : Eurociné». L'ouvrage faisait (et fait encore) figure de référence dans ce domaine particulièrement pointu et c'est donc avec un intérêt certain que l'on se plonge au coeur de ce consistant supplément. Nous ne serons pas déçu et dès les premières minutes, Bier captive en retraçant l'historique de la nazisploitation, partant pour cela des romans et bandes dessinées américaines ou françaises d'après-guerre. Une bonne dizaine de minutes sera ensuite consacrée au réalisateur Patrice Rhomm dont la carrière fut dédiée au Fantastique sur papier avant de virer à l'érotisme et au pornographique sur pellicule. Là encore, les propos de Bier sont construits et l'homme prend grand soin de se montrer aussi exhaustif que possible. Seront ensuite abordés le casting et les anecdotes de tournage avec une spontanéité toujours aussi plaisante. Bier semble ne plus vouloir s'arrêter et délivre ses informations jusqu'à la dernière seconde, sans qu'aucun blanc ne vienne entacher ou ralentir l'ensemble. Nul doute que le DVDPhile curieux sera comblé par ce passionnant documentaire au sein duquel nous n'avons dégoté qu'une bien maigre boulette concernant la couleur des cheveux de Elsa (Malissa Longo n'est pas rousse mais blonde dans ce film) !
A l'image des autres disques de la collection, celui de ELSA FRAULEIN SS dispose d'une galerie des plus fournies. Malheureusement pour nous, les 44 photos proposées ici le sont dans une résolution des plus douteuses, faisant la part belle aux pixels… Le reste de l'interactivité se composera des bandes-annonces des cinq métrages Eurociné édités par Artus Films, d'une fiche technique constituée de deux pages fixes et d'une poignée de filmographies. Nous noterons que si celles des acteurs se montrent particulièrement riches, celle du réalisateur Patrice Rhomm ne compte étrangement que cinq films ! L'usage des pseudonymes etait-il si déroutant que cela ?