Jennifer Corvino, fille d'un célèbre acteur américain, est envoyée par
son père en Suisse, dans un pensionnat de jeunes filles de bonne famille,
pour poursuivre ses études et recevoir la meilleure éducation. Quelques
mois auparavant, une jeune touriste qui avait raté son bus sur une route
de montagne avait été sauvagement assassinée. Ce meurtre marquait le
début d'une série de disparitions de jeunes filles dans la région. La
police a pour seul indice une tête coupée occupée par des larves en
tous genres.
PHENOMENA marque le retour de Dario Argento au surnaturel, genre qu'il avait un temps abandonné lorsqu'il a tourné TENEBRES. Ici, il met en scène une toute jeune actrice, Jennifer Connely, dont c'est le second rôle au cinéma. Et pour cause, elle n'a qu'une douzaine d'années à l'époque, et vient de finir IL ETAIT UNE FOIS L'AMERIQUE de Sergio Leone. C'est d'ailleurs celui-ci qui a conseillé à Argento de rencontrer cette étonnante enfant, dont le talent promettait déjà une belle carrière cinématographique. Autant dire qu'il a eu le nez creux, puisque non seulement la jeune fille est d'une beauté troublante, mais elle joue merveilleusement bien. Elle fait preuve dans PHENOMENA d'un caractère bien trempé, assorti d'une incroyable sensibilité à l'égard des personnages qui ne lui sont pas hostiles, à savoir l'entomologiste et les insectes.
Loin de l'univers de SUSPIRIA, chef-d'uvre incontesté de Argento, on peut toutefois noter dans PHENOMENA, dès les premières minutes du film, quand apparaît le personnage de Jennifer, une similitude avec le film précité qui nous fait redouter un remake : la jeune américaine, fraîchement débarquée, qui arrive au pensionnat de jeunes filles, grande bâtisse isolée au milieu d'une inquiétante forêt, et qui va être confrontée dès sa première nuit à d'horribles évènements. Un postulat qui emprunte beaucoup à la trame de SUSPIRIA. Pourtant, la comparaison s'arrête là, puisque PHENOMENA est traité tout à fait différemment. D'abord, on ne s'attarde pas ici sur les meurtres dont le premier, connaissant l'uvre du Maître du Giallo, apparaît bien sobrement traité, même si le verre s'abattant sur le visage de la jeune fille est très impressionnant. Au passage, il est à noter que cette scène souffre d'une image granuleuse, ce qui est peut-être dû aux effets spéciaux et au ralenti employé puisque la version américaine souffre du même défaut. Cette jolie jeune fille en fleurs, qui ne fera qu'une brève apparition ici, n'est autre que la fille aînée de Argento, qui n'hésite décidément pas à faire subir à ses filles les pires sévices ! Tant qu'on parle de sa famille, notons aussi la voix du petit garçon, le fils de Mrs Bruckner, qui n'est autre que celle de Asia Argento.
PHENOMENA est aussi différent dans le traitement de l'image, où l'on retrouve un peu de l'univers cher à Jacques Tourneur, qui avait entre autres tourné LA FELINE. En effet, ici, les extérieurs sont tout aussi inquiétants, les jeux d'ombre et de lumière admirablement maîtrisés, donnant une dimension extrêmement inquiétante au pensionnat et à la forêt qui l'entoure. On sent le danger partout, dans le bruissement des feuilles d'arbres, dont les branches semblent vouloir happer l'imprudent promeneur, et ce vent, le Foehn, rajoute à cette sensation de malaise. Seuls les insectes apaisent le spectateur dans ces moments-là, ce qui est un paradoxe quand on sait la répulsion qu'ils provoquent généralement. Une fois de plus, Argento nous livre à nos craintes enfantines. Ici celle de se retrouver seul au cur de la nuit noire, dans une forêt hostile où les craquements, les ombres, les formes sont autant d'éléments terrifiants qui nous poursuivent toute notre vie. Ainsi est-on véritablement effrayé lorsque Jennifer, puis Sophie, se retrouvent dehors en pleine nuit, à la merci du monstre qui rôde, qu'il soit croquemitaine, loup, ogre ou psychopathe.
Le cauchemar cher à l'univers imaginé par Argento, retrouve ici une place importante, puisque Jennifer souffre de crises de somnambulisme. Pendant sa première crise, elle voit le meurtre d'une jeune fille, avant de se retrouver totalement apathique et amnésique sur une route où elle se fait presque renverser. Entre-temps, elle aura traversé, en rêve, un couloir interminable, d'une blancheur éclatante, où des portes noires seront autant de menaces potentielles. Reprenant peu à peu conscience, elle voit autour d'elle des maisons qui la surplombent de manière inquiétante, et dont la surexposition lumineuse rappellent qu'on est encore dans l'irréalité de ce qu'elle vient de vivre. La blancheur éblouissante est une constante qu'on avait déjà remarquée dans TENEBRES. Ici, Jennifer est toujours vêtue de blanc, à l'instar d'une jeune vierge que guettent d'innommables dangers. La noirceur qui lui est systématiquement opposée traduit bien cette idée.
Dario Argento n'est pas dénué du sens de l'humour, entre autres talents. On peut ainsi remarquer ici une intention délibérée de mener le spectateur sur un terrain connu, histoire de brouiller la piste du tueur. C'est ainsi que dans le car qui mène Jennifer sur la route où a été commis le premier meurtre, on nous montre à deux reprises un homme assis à l'avant, engoncé dans un imperméable au col remonté et portant un chapeau mou tiré de l'imagerie traditionnelle du Giallo, dont le nom provient de la couverture jaune (giallo en italien) des romans populaires d'épouvante des années quarante, et dont l'autre particularité était de mettre en scène un tueur à l'arme blanche et fétichiste, tout comme celui de PHENOMENA. Pour en revenir à cet étrange personnage assis dans le car, on s'attend tout naturellement à le voir suivre la jeune fille lorsqu'elle découvre le lieu du premier crime
Depuis le début du cinéma d'épouvante, les insectes sont habituellement montrés comme des hordes dévastatrices et terrifiantes (LES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE, TARANTULA ). Ils sont donc présentés ici de façon inédite, puisqu'ils deviennent les seuls alliés de Jennifer. Celle-ci, loin d'être hostile, entretient une étrange relation avec eux, provoquant même chez certains une excitation sexuelle inhabituelle, vous en conviendrez ! Argento introduit ici l'idée que les insectes sont dotés de pouvoirs incroyables, notamment d'une perception extrasensorielle qui se vérifie, puisque la Granda Sarcophaga, la mouche vedette de PHENOMENA, est capable de repérer un cadavre en putréfaction à des dizaines de kilomètres à la ronde, d'après de très sérieuses études scientifiques. Cette mouche va guider les pas de la jeune fille, jusqu'à l'antre du tueur. Remarquablement filmées, ces scènes qui font pour certaines, appel à des effet spéciaux étonnants signés Maurizio Garrone et Luigi Cozzi, s'intègrent parfaitement dans le film, ne laissant à aucun moment entrevoir le trucage. C'est le cas pour l'abeille, dans la voiture, qui était tenue au bout d'une canne à pêche par Maurizio Garrone, et sur laquelle un gros plan nous montre une caresse attendrissante comme celle qu'on ferait à un chaton.
Hormis les insectes,
qui tiennent un rôle important, on peut remarquer la saisissante prestation
de Tanga, un chimpanzé que Argento
avait trouvé dans un cirque roumain. Une trouvaille inespérée, puisque
le réalisateur avait envisagé de truquer l'apparition de ce personnage
et avait à cet effet commandé à Stivaletti
un masque du-dit primate. C'était sans compter sur le talent de Tanga,
qui a reproduit avec une exactitude déconcertante toutes les scènes
que lui montrait Argento.
Le masque a du coup été définitivement abandonné.
Des insectes détectives, un chimpanzé-infirmière, et les acteurs dans tout ça ? Nous avons déjà parlé de la prestation étonnante de Jennifer Connely, qu'on retrouvera bien plus tard dans LABYRINTH et DARK CITY, et plus récemment dans REQUIEM FOR A DREAM. On retrouve avec plaisir l'excellent Donald Pleasence, dont vous vous souvenez sans doute de l'acharnement à traquer Michael Myers dans les six premiers HALLOWEEN, à l'exception du troisième bien sûr. Il tient ici le rôle d'un entomologiste en chaise roulante qui va aider Jennifer à retrouver le meurtrier. Enfin, notons la présence de Patrick Bauchau, le détective suisse qui va en découdre avec l'assassin, un compatriote de notre ami Jean-Claude Van Damme qui a lui aussi fait une grande partie de sa carrière aux USA, et que vous reconnaîtrez peut-être dans le CAMELEON, sous les traits de Sydney. Une belle distribution, donc, pour un film qui ne dément pas le talent de Dario Argento. Il serait injuste d'oublier Daria Nicolodi, la compagne de Dario pendant de longue années, à la vie comme à l'écriture, et mère de ce superbe rejeton qu'est Asia Argento. Daria, qui s'est inspirée de récits de sa grand-mère pour écrire nombre de trames fantastiques, contribuant pour beaucoup au renom de Dario, est ici mise en avant dans le rôle de Mrs Bruckner, une femme austère et qu'on ne découvrira vraiment que dans la seconde partie du film.
Enfin, on ne peut se permettre de parler d'un film de Argento sans parler de la musique, qui tient un rôle capital dans son uvre, et qui est systématiquement mise en concurrence brutale avec un silence de mort. Argento, loin de la musique symphonique de SUSPIRIA, a choisi ici un registre tout à fait différent, puisqu'il a demandé à Iron Maiden et Motorhead d'écrire des titres spécialement pour ce film. Du Métal, donc, qui apporte une violence supplémentaire aux scènes les plus angoissantes, contribuant à faire monter l'adrénaline du spectateur. Ces passages musicaux s'arrêtent brusquement, captant immédiatement l'attention et provoquant une attente inquiétante : on retient sa respiration, notre organisme se préparant à subir un choc visuel auquel cette musique l'a déjà préparé mais dont il n'a aucune idée de l'ampleur. Outre le Métal, il faut noter le grand retour des Goblin, qui se sont recomposés pour l'occasion, à la demande du réalisateur. On les voit d'ailleurs sur l'écran de téléviseur de Sophie. Enfin, n'oublions pas, pour l'ambiance générale de PHENOMENA, la contribution de la Nature, avec les insectes, le vent et les arbres, tous ces sons familiers qui pourtant participent grandement à la tension du film.
L'image n'aurait
théoriquement rien à envier à celle du disque Anchor Bay et pour cause
: il semble s'agir de la même source. Par contre, celui-ci semble avoir
subi un traitement qui altère quelque peu les couleurs au profit de
la netteté de l'image, ce qui ne gène pas outre mesure la qualité de
ce transfert mais dénature la photographie d'origine. Le disque américain
date à présent de plusieurs années et ne propose pas l'option du 16/9.
Son image étant aussi moins bien définie que le disque français. Précisons
que l'image du disque français laisse apparaître un tout
petit peu plus d'image sur les côtés...
Niveau son, la version internationale anglaise du film (doublée en studio
par les italiens) est la version originale officielle. A l'origine en
Dolby Stéréo, elle nous arrive sur ce DVD, de manière inexplicable,
dans un Mono de très bonne facture mais en deça de la qualité
d'origine. Comme le prouve le logo Dolby à la fin du générique
du film, il n'était pas la peine d'aller chercher bien loin cette
info et, pour le redire, on a de quoi être surpris de voir le
film apparaître en Mono sur ce disque !