Header Critique : PHÉNOMÉNA (PHENOMENA)

Critique du film
PHÉNOMÉNA 1984

PHENOMENA 

Jennifer, fille d'un acteur américain, se rend en Suisse pour être scolarisée dans une pension. Elle se découvre le don de communiquer avec les insectes.

Trois ans après le Giallo TÉNÈBRES, Dario Argento fait son retour avec PHENOMENA, métrage renouant avec sa veine fantastique ouverte par LES FRISSONS DE L'ANGOISSE et SUSPIRIA. Le rôle principal est tenu par Jennifer Connelly, révélée un an avant dans IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE de Sergio Leone. Sa longue carrière se poursuit jusqu'à nos jours avec TOP GUN : MAVERICK !

A ses côtés, nous trouvons une distribution variée, avec des acteurs habitués au fantastique comme Daria Nicolodi (LES FRISSONS DE L'ANGOISSE, INFERNO), Donald Pleasence (LA NUIT DES MASQUES, NEW YORK 1997) ou Dalila di Lazzaro (CHAIR POUR FRANKENSTEIN). Mais aussi un comédien plus habitué au cinéma d'auteur comme le belge Patrick Bauchau (L'ÉTAT DES CHOSES de Wim Wenders).

La musique est composée par des musiciens variés. Nous trouvons des membres du groupe Goblin, indissociable des films d'Argento (LES FRISSONS DE L'ANGOISSE, SUSPIRIA), mais aussi Bill Wyman (le bassiste des Rolling Stones) qui livre un inhabituel et envoûtant thème électronique à PHENOMENA.

Surtout, après avoir arpenté le Rock Progressif et le Disco avec Goblin ou Keith Emerson, Argento insère dans son métrage des morceaux de deux groupes emblématiques de la seconde vague Heavy Metal anglaise : Iron Maiden et Motorhead ! A la même période, Argento produit DEMONS, autre métrage d'horreur dont la bande originale incorpore des titres Metal signés Accept ou Saxon. Cela rejoint l'idée qui le travaille depuis SUSPIRIA de trouver des analogies entre un film de cinéma et une expérience aussi intense qu'un concert de Rock.

Si PHENOMENA a une dimension d'enquête policière, il renoue avec le fantastique, en particulier à travers le personnage de Jennifer, douée d'un pouvoir d'empathie et de communication avec les insectes. Un don surnaturel, une différence, qu'elle doit explorer et assumer alors qu'elle est dans la période difficile de l'adolescence. Ce qui n'est pas sans rappeler le personnage-titre de CARRIE et ses facultés de télékinésie.

Comme dans SUSPIRIA, l'action de PHENOMENA ne se déroule pas en Italie, mais dans un autre pays d'Europe, en l'occurrence la Suisse. Comme dans SUSPIRIA encore, une jeune fille américaine est plongée dans une école fermée, ici une pension luxueuse au sein de laquelle des jeunes élèves sont la proie d'un tueur mystérieux.

Pourtant, dans PHENOMENA, Dario Argento tourne le dos à certains traits de son cinéma. Il n'y a plus de format cinémascope ou de couleurs baroques éclatantes comme dans SUSPIRIA ou INFERNO. Il cherche à obtenir une image aux couleurs ternes, évoquant le bleu de la nuit. Le film semble éclairé par une lumière lunaire et maladive. Cette façon de travailler l'image s'avère proche du noir et blanc, l'expressivité étant plus recherchée dans les contrastes que dans les teintes.

PHENOMENA se déroule souvent en extérieur et dans la nature, ce qui constitue aussi une nouveauté pour Argento, habitué aux décors de studio et aux ambiances urbaines. Il s'inspire des peintres romantiques allemands pour décrire de vastes paysages montagnards inquiétants, écrasant les minuscules individus qui s'y perdent. Le premier meurtre, qui sert de prologue au métrage, est en ce sens magistral. Les arbres sont torturés et agités par un vent mauvais venu des Alpes. De grands lacs éclairés par la pleine lune s'avèrent eux aussi des visions typiquement romantiques.

Argento installe l'action en Suisse et restitue une ambiance typique de ce coin de l'Europe (et aussi de l'Italie du Nord, de la Bavière ou de l'Autriche). Nous retrouvons cette sensibilité pour une certaine culture d'Europe centrale, déjà perceptible dans SUSPIRIA censé se passer en Allemagne du Sud. Dans PHENOMENA, il dépeint la Suisse comme un pays propre, calme, silencieux et conservateur. Derrière cette façade et ses petits chalets aux balcons fleuris se cachent une folie et une laideur enchaînées, refoulées dans des caves profondes ou des asiles d'aliénés. L'explosion de ce désordre dissimulé entraîne une succession de meurtres ignobles. A travers un personnage monstrueux et fou caché par sa famille, nous retrouvons un motif classique de la littérature gothique, en particulier du très influent «Jane Eyre» d'Emily Brontë.

Jennifer, la jeune américaine, est sensible au caractère oppressant de la région. Ses camarades et les enseignants la rejettent car elle est "différente" (Jennifer est somnambule et communique avec les insectes). Mais elle trouve le réconfort auprès d'un vieil entomologiste. Devenu paraplégique à la suite d'un accident de voiture, il a comme elle expérimenté à sa façon l'hypocrisie et la méfiance des gens "normaux". Jennifer Connelly et Donald Pleasence interprètent à merveille ces personnages touchants et complices, parmi les plus vivants et les plus attachants du cinéma de Dario Argento.

La Nature n'est pas seulement importante par ses paysages montagneux. Elle se manifeste aussi à travers les insectes, amis de Jennifer, et la guenon qui aide le savant dans sa vie quotidienne. Ces animaux, liés au force de l'étrange et au monde de l'instinct, sont le seul recours efficace pour aider Jennifer à traverser les épreuves qui l'attendent. Elle essaie en effet de retrouver le mystérieux assassin qui hante la région et qui a tué une de ses amies. La narration est, comme souvent chez Argento, étrange, illogique, proche d'un cauchemar ou d'un rêve.

Le final est à ce titre un des moments les plus étonnants de sa filmographie. Il offre un renvoi transparent à «Double assassinat dans la Rue Morgue», classique littéraire d'Edgar Poe, écrivain pour lequel Argento a toujours clamé son admiration.

PHENOMENA est très original dans la filmographie d'Argento. Moins tributaire de l'influence de Mario Bava que ses œuvres antérieures, il mélange une ambiance mélancolique à une violence marquante. Sa distribution excellente, menée par la déjà charismatique Jennifer Connelly, apporte une incarnation bienvenue à son cinéma. Il s'agit d'un des meilleurs et plus riches films de Dario Argento, même si ce n'est pas sa réalisation la plus accessible.

Comme le box-office italien commence à s'effondrer, PHENOMENA vise nettement le marché international. Mais il sort mutilé dans les salles de nombreux pays. Il est en effet trop long et trop gore pour les distributeurs anglais et américains (New Line). Le film est mal accueilli et désarçonne la critique, même celle spécialisée dans le genre fantastique. Après avoir encensé Dario Argento, notamment au temps de SUSPIRIA, elle se détourne de lui durablement. 

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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