Header Critique : ABANDONNEE (THE ABANDONED)

Critique du film et du DVD Zone 2
ABANDONNEE 2006

THE ABANDONED 

Si THE AWAKENING, AFTERMATH et GENESIS bénéficièrent d'un indéniable succès d'estime, leur géniteur, Nacho Cerdà, va attendre presque neuf ans pour voir projeter sur les écrans français son premier long métrage, ABANDONNÉE. En effet, le manque d'audace ou bien l'aveuglement de multiples producteurs contrecarrèrent pendant longtemps la mise en chantier d'oeuvres cinématographiques qui, au regard des courts précédemment cités, auraient très certainement marqué le Fantastique espagnol. Point (trop) de regret pourtant si l'on s'attarde sur l'excellent film dont il est question ici. Quelques semaines d'écriture intensive, des repérages en Russie puis en terre bulgare, le choix de comédiens et d'une équipe expérimentés, permettent au cinéaste d'exorciser une fois de plus sa peur de la mort. Pour ce, l'actrice de théâtre Anastasia Hille prête ses traits au personnage principal tandis que Karel Roden (15 MINUTES, BLADE II, HELLBOY) apporte un savoir-faire non négligeable. La présence du directeur photo Xavi Giménez (LA SECTE SANS NOM, INTACTO, DARKNESS, FRAGILE) suscite d'emblée l'enthousiasme des esthètes tandis que celle de Glenn Freemantle au son, laisse présager maintes sursauts et sueurs froides.

Une américaine nommée Marie (Anastasia Hille) revient dans la Russie qui l'a vue naître à la demande d'un mystérieux notaire. Ce dernier lui révèle l'identité de ses parents biologiques et lui confie les clefs de la demeure familiale. Bouleversée, l'orpheline se rend directement en un endroit apparemment maudit. En effet, le retour aux origines ne se réalise pas sans heurt comme en témoigne l'apparition inopinée d'un frère (Karel Roden) et de deux effrayants zombies.

À l'origine des premiers courts métrages de Cerdà, la thématique de la mort agence pareillement la trame métaphorique d'ABANDONNÉE. Pour ce, le cinéaste convoque d'abord l'une des figures majeures du genre fantastique : le double. L'apparition d'un frère jumeau ou celle de deux zombies dont le visage rappelle celui de nos héros, inscrivent le film au sein d'une tradition bien établie en Occident. Popularisé par Hoffmann dans “Les aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre” (1815) et “Les Élixirs du diable” (1816), le dopplganger nourrit l'imaginaire de maintes écrivains et réalisateurs chargés d'offrir au patrimoine mondial divers chefs-d'oeuvre tels “Lui?” (Guy de Maupassant, 1883), “Le coin plaisant” (Henry James, 1908), “La lointaine” (Julio Cortazar, 1964), L'AUTRE (Robert Mulligan, 1972), FAUX-SEMBLANTS (David Cronenberg, 1988) ou LA DOUBLE VIE DE VÉRONIQUE (Krzysztof Kieslowski). En dépit de variations évidemment notables, les dites fictions comprennent toujours cette scission extraordinaire dans une optique morbide laquelle s'explique par l'évidente filiation du motif avec le romantisme allemand. Dominant au début du XIXème siècle, l'idéalisme de Fichte amorce une réflexion sur le dédoublement de l'être qui marquera durablement les philosophes et les artistes européens. D'après l'auteur du “Discours à la nation allemande” (1807), l'humain se réalise dans une logique dialectique, faisant s'entretenir la forme primitive de sa présence au monde et son équivalente empirique. Aveugle et mécanique, l'énergie vitale génère le “moi” conscient et donc intelligent, lui-même redéfini via son rapport aux composantes de l'univers. En ce sens, le surgissement du double représenterait la découverte effectuée par le sujet quant à sa véritable nature, pure existence exempte d'essence. Face à cette vacuité intérieure, le personnage mesure ses propres limites, sa soumission aux lois de la nature, au temps et à la mort. L'objectivation de l'Identique signale ainsi la primauté du contingent dans l'aventure humaine. Marie et Nicolai comprennent d'ailleurs fort rapidement la signification des terrifiants zombies. Le frère explique à l'héroine qu'ils cristallisent leur avenir, précisément leur décès respectif. Afin d'intensifier le choc que ces reflets funèbres provoquent naturellement chez nos protagonistes, Cerdà assoit le réalisme morbide des figures à l'aide de maquillages saisissants. Les macchabées renvoient leurs homologues vivants à une mortalité dont la dégradation du corps illustre le caractère intolérable. Blêmes, inexpressives mais néanmoins marquées par une horrible putréfaction, les créatures poursuivent ceux qu'ils caricaturent non sans sadisme. Déjà très éprouvante dans AFTERMATH, cette vision naturaliste de la camarde cohabite avec une peinture également épouvantable du moi dit “absolu”, celui lié au nihilisme existentiel. L'insignifiance spirituelle s'oppose au corporel hypertrophié afin de rendre presque palpable la réification tragique de l'être. Deux esthétiques a priori contradictoires confortent l'ambivalence du postulat philosophique. Au réalisme du procédé “caméra épaule” répond l'onirisme exacerbé des ralentis ou panoramiques. Rapides, voire même tonitruantes, les déambulations au sein de la maison, la cavalcade à travers bois ou l'accident routier admettent un montage dynamique tandis que les moments d'introspection — découverte de la ville, de la bâtisse, rêve — jouent davantage sur les effets subtiles d'une photographie variant suivant l'état d'esprit de l'exilée. De manière équivalente, la saleté concrète des chemins bourbeux ou d'une ferme devient sublime lorsqu'elle emprunte à L'AU-DELÀ les teintes verdâtres, l'humidité malsaine et la décrépitude des bâtisses chères à Fulci. Réel et fantasmé, le cadre référentiel matérialise le face à face de Marie avec sa propre mort. Cette confrontation de la conscience avec sa négativité conduit une métaphore géographique intéressante.

Née en Russie, éduquée en Grande-Bretagne et vivant aux États-Unis, la quadragénaire appréhende le territoire et la culture russe dans leur, sinon opposition, du moins grande différence, avec le mode de vie occidental. D'où l'étrangeté d'une cité aux bâtiments monumentaux, d'une forêt que l'on croirait illimitée et de natifs vous observant silencieusement. À cela s'ajoute la dimension mystérieuse d'une langue ignorée et - choix fort judicieux - quasi jamais traduite. Certes angoissante, cette contrée lointaine bénéficie pourtant d'assises tangibles, souvent mises en abyme par des allégories. Prédominance de la terre, de la nature, motif de l'agriculture; la patrie de Dostoievski s'offre d'abord aux sens du voyageur. Sur ce point, l'Exotisme acquière la consistance qui manque au familier. En effet, le quotidien américain de Marie accuse une stérilité désespérante. Divorcée, incapable de communiquer avec sa fille, productrice de films qui ne l'intéressent guère, la femme ressent un manque et souffre d'une solitude apparemment intolérable. Par conséquent, le périple au pays natal fera office de remède. À ce titre, le thème du double implique une problématique supplémentaire en permettant de définir précisément l'identité telle qu'elle s'éprouve ici. Conformément à l'extériorisation grotesque du “moi absolu” (zombies), le passé demeure “mien” bien qu'“étranger”. Ce paradoxe reste vécu comme une malédiction dans la mesure où l'héritage semble interdire l'intervention du libre arbitre. On ne peut échapper à son hérédité et l'anamnèse consécutive débouche sur la disparition définitive de la personne. Aussi, le surgissement du refoulé suscite un sentiment d'inquiétante étrangeté lequel évoluera en crescendo. Subie plus que choisie, cette renaissance mortuaire motive la multiplication de figures circulaires, réelles et symboliques, chargées d'assimiler la dite plongée dans les méandres obscures des origines à un inéluctable et éternel retour. Au niveau narratif, ABANDONNÉE comporte un prologue et un épilogue en vue de signaler l'autonomie d'une fiction fermée sur elle-même. Parallèlement, Cerdà exploite quelques travellings circulaires pour exprimer l'emprisonnement de l'héroine au sein d'un espace-temps cyclique. Divers motifs — contour d'une tasse, phares et volant d'une voiture, île encerclée par un fleuve — surenchérissent enfin la progressive mais efficace substitution du référent mythique à son équivalent historique. Inquiétante, cette peinture de l'être en quête d'identité possède le mérite de générer un Fantastique personnel, miroir brisé puis reconstitué d'une psyché bien tourmentée ici “abandonnée” au spectateur. Un beau cadeau.

Édité par Wild Side, le DVD français d'ABANDONNÉE présente des particularités techniques honorables nonobstant quelques lacunes. En version française comme en langue originale sous-titrée (la première étant à éviter au regard d'un doublage calamiteux), la bande-son devrait offrir à l'acheteur une bienheureuse alternative. Quoique? Pour profiter pleinement du merveilleux, voire primordial, travail de Glenn Freemantle, la piste DTS plein débit reste idéale mais nécessite que le spectateur soit détenteur d'un décodeur approprié au sein de son ampli audi/vidéo. Les rares (?) qui en sont dénués se contenteront du son Dolby Digital en stéréo lequel doté d'une dynamique correcte et d'une bonne spatialisation laisse toutefois un goût amer en comparaison de la piste DTS.

Au format Scope et en 16/9ème, l'image demeure en revanche appréciable, parfaitement définie, bénéficiant d'un encodage plus qu'estimable. La dominante verte et les contrastes subséquents (sang rouge) charmeront les esthètes. Les menus souffrent d'une typographie, certes associée aux thématiques du film et reproduite au sein du générique (alphabet cyrillique donc impression de renversement), mais quasiment illisible ici. Certains bonus en 4/3 et d'autres en 16/9ème admettent une image de qualité variable sans que la chose ne choque vraiment. Notons la présence du THX Optimizer version 2.0, mires de réglages audio et vidéo, permettant de configurer l'installation cinéma du particulier de façon optimale de manière à tirer le meilleur parti de cette édition DVD labellisée THX.

En complément du film, Wild Side propose une interactivité conséquente. Dans “L'antre d'Abandonnée”, notre cinéaste revient sur le métrage en évoquant sa genèse, les conditions de tournage, le casting et les principaux thèmes. Très investi, Cerdà n'hésite pas à nous faire part de ses angoisses existentielles sans pour autant verser dans le pathos. De plus, l'artiste accepte d'analyser précisément certaines séquences lesquelles défilent simultanément sur notre écran. En effet — l'initiative est assez rare pour être saluée — les extraits offerts à l'occasion coïncident avec les propos tenus par les interviewés. Présupposé esthétique (réalisme) et procédés cinématographiques, les clefs de l'oeuvre nous sont livrées avec un enthousiasme contagieux. Un deuxième documentaire intitulé “Nacho Cerdà. À l'épreuve de la mort”, complète judicieusement le précédent. Le réalisateur discourt sur un parcours de cinéphile qui débuta avec la découverte des DENTS DE LA MER. À cela viennent s'ajouter les influences notables mais inconscientes de Fulci, Franco, Naschy, Cronenberg et Carpenter. La nostalgie d'une époque où la fiction d'horreur prenait son temps pour instaurer le climax explique très certainement le caractère d'abord introspectif d'ABANDONNÉE. Élargissant sa conception de l'existence et de la mort à sa propre expérience du phénomène, notre homme pourrait en émouvoir certains. De manière générale, les deux bonus aideront les plus septiques à apprécier au mieux l'immense talent d'un jeune artiste dont l'ambition se justifie d'abord par une réelle passion. Cette dernière motive par ailleurs un dialogue entre le géniteur de GENESIS et celui de FAMILY PORTRAITS: A TRILOGY OF AMERICA, Douglas Buck, dans “Petit dialogue entre amis”. Exorciser sa peur via la création, user de son instinct pour mettre en scène et s'inspirer de la réalité, les deux amis affirment une vision souvent commune de leur travail, travail parfois indécelable comme tend à l'illustrer “Les petits secrets de Nacho Cerdà”. Une bonne quinzaine de minutes suffisent à peine au maître d'oeuvre pour dévoiler ses “trucs” et constater les limites du numérique. Éloquentes, les “Scènes alternatives et coupées” mettent en parallèle les versions éludées et définitives d'ABANDONNÉE. Globalement, Cerdà semble avoir tenté de resserrer le scénario au maximum tout en conservant l'arrière-plan onirique. Ainsi, “Mila dans la forêt” privilégie le rêve à l'action pure. Un comparatif en multi-angle du story-board et de multiples saynètes met en exergue la place que l'Espagnol accorde à l'improvisation ainsi qu'au jeu particulier des comédiens. Enfin, une filmographie (du réalisateur), cent photos, le story-boards imprimable en partie Rom et une bande-annonce concluent une interactivité dont la richesse reflète très largement celle, indéniable, du premier long métrage de Nacho Cerdà.

Rédacteur : Cécile Migeon
47 ans
33 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
On aime
L’atmosphère angoissante du métrage
Une thématique intéressante
L’excellente photographie
La richesse de l’interactivité
On n'aime pas
L’absence de Dolby Digital 5.1 dans le cas d'un utilisateur non équipé en DTS
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L'édition vidéo
THE ABANDONED DVD Zone 2 (France)
Editeur
Wild Side
Support
2 DVD
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h31
Image
2.35 (16/9)
Audio
English DTS 5.1
English Dolby Digital Stéréo
Francais DTS 5.1
Francais Dolby Digital Stéréo
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Dans l’antre d’Abandonnée (30mn01)
    • Petit dialogue entre amis (14mn13)
    • Nacho Cerdà. À l’Épreuve de la mort (27mn46)
    • Les petits secrets de Nacho Cerdà (13mn48)
      • Séquences alternatives
      • La rencontre entre Mila et Nicolai (5mn43)
      • Un rêve étrange (1mn19)
      • Mila dans la forêt (2mn32)
      • Une autre fin (4mn48)
      • Story-boards
      • La rencontre avec son double
      • Sur le chemin de la maison des Kaidanowsky
      • La chute
    • Bande-annonce
    • Galerie photos
    • Filmographie de Nacho Cerda
    • Partie Rom (story-boards imprimables)
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