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Critique du film et du DVD Zone 2
VITAL 2004

 

Un terrible accident de voiture va déchirer la vie de Hiroshi (Tadanobu Asano), un brillant étudiant en médecine. Il s'en sort physiquement indemne mais souffre d'amnésie. Sa compagne, Ryoko (Nami Tsukamoto), aura moins de chance et perdra la vie. Un drame qui laissera Hiroshi désincarné suite à l'étrange paradoxe qui est le sien, faire le deuil d'une personne dont il n'a plus aucun souvenir. Il reprend néanmoins ses cours de médecine, essaie de renouer une relation avec une autre jeune femme. Une reconstruction qui se verra bouleversée par ses cours de dissection. Car le corps sur lequel il travaille lui paraît étrangement familier... Ce corps est celui de Ryoko, la femme qu'il a aimée dans une vie qui ne lui appartient plus, diluée dans ses souvenirs perdus.

Lorsque Shinya Tsukamoto signe A SNAKE OF JUNE en 2002, il s'offre une oeuvre de rupture dans sa carrière marquée par l'ultra violence et le chaos urbain. Ce film introspectif et mature, à l'érotisme platonique, remportera un franc succès critique et (enfin) la reconnaissance de l'élite japonaise alors que la réputation du cinéaste s'était essentiellement construite à l'étranger. VITAL, son film suivant, va creuser ce sillon ouvertement auteurisant tout en bouleversant (en apparence seulement) les thématiques de l'artiste. Car si Tsukamoto s'est rendu célèbre pour sa vision du monde contaminé par le béton de la mégalopole, on oublie que c'est un metteur en scène également obsédé par la nature, figure qui apparaît régulièrement en contrepoint de ses obsessions (la campagne apaisante de HIRUKO THE GOBLIN, la nostalgie des souvenirs d'enfances pervertie par les mutations métalliques de TETSUO 2, ou encore sa reconstitution de l'ère Edo pour GEMINI). Loin de l'artificialité du monde et de sa violence intrinsèque, VITAL est donc le film du retour à la nature pour Tsukamoto. Sachant que pour l'artiste, la nature c'est avant tout regarder à l'intérieur de nos propres corps.

Fasciné par les dessins anatomiques de Léonard de Vinci, Tsukamoto va devenir obsédé par la dissection du corps humain au point d'assister aux travaux d'étudiants en médecine. On pourrait croire qu'il s'agit d'une pulsion voyeuriste chez le metteur en scène, décidé à baigner VITAL d'une complaisance morbide. Il n'en n'est rien. A mille lieux des scènes chocs attendues, VITAL est un film d'une infinie pudeur sur le rapport à la mort. Même si certaines séquences présentent assez frontalement les corps disséqués, c'est pour mieux apprivoiser le tabou, pour y déplacer la question de la mort bien au-delà de la réalité physique. Le corps est une machine, une mécanique de la nature hébergeant l'être humain. Et c'est cet être humain qui va se retrouver au centre de VITAL. Tout d'abord Hiroshi, être vivant devant assumer le décès de sa propre personne, celle qu'il était avant qu'un accident de voiture ne lui vole tous ses souvenirs. Ensuite Ryoko, sa petite amie disparue. Un corps sans vie sur sa table d'étude mais qui va petit à petit revivre dans sa mémoire endommagée, entre souvenirs et fantasmes, pour orienter Hiroshi sur le chemin du deuil et de la reconstruction.

Si VITAL s'ouvre dans une furie bruitiste et visuellement chaotique sur la fumée s'échappant des cheminées d'un crématorium (afin de nous rappeler que nos corps finiront, quoiqu'il arrive, broyés par le monstre urbain), Tsukamoto tempère jusqu'à l'épure le style de mise en scène qui l'a rendu célèbre. Froid, glacial, VITAL représente la mort comme un vide laissé par quelque chose qui n'existe plus. Ce qui explique le jeu minimaliste de Tadanobu Asano, extraordinaire en «mort-vivant», en corps à la recherche de sa propre existence par l'introspection. VITAL ne se contente pas pour autant de son concept, et se plie volontiers à une narration plus classique. Comme lorsque Hiroshi tente de se rapprocher de la famille de sa petite amie disparue, essayant désespérément de partager leur tristesse. Le film met en place également une sorte de triangle amoureux avec la deuxième petite amie d'Hiroshi, étudiante comme lui en médecine, qui va prendre le corps qu'ils dissèquent ensemble (à savoir Ryoko) pour sa «rivale». La relation chaotique entre Hiroshi et son amie nous vaudra quelques scènes de strangulations mutuelles (que l'on retrouvera dans le futur NIGHTMARE DETECTIVE), tentatives désespérées d'activer les sensations corporelles d'un individu se réfugiant dans l'univers mental.

Car c'est bel et bien dans l'esprit d'Hiroshi que se passent les moments les plus forts de VITAL, dans sa mémoire inachevée guidée par la silhouette fantomatique de Ryoko, muse existentielle d'un homme cassé. Cette dernière est interprétée par Nami Tsukamoto (aucun lien de parenté avec le cinéaste), une comédienne débutante mais célèbre danseuse de ballet. En opposition à la démarche lourde d'Hiroshi, la légèreté gracile des mouvements de Ryoko réveillera petit à petit le sensitif, le réel du corps de ce dernier. Shinya Tsukamoto fait preuve d'un talent hors du commun pour capturer la force et les textures des mouvements de Ryoko, jusqu'à une scène éblouissante de danse contemporaine sur une plage déserte. Un hurlement corporel d'une femme morte physiquement, adressé à un homme mort mentalement. Une scène électrisante de symbiose entre corps et esprit, deux entités que les personnages de VITAL peinent à (ou ne peuvent) harmoniser.

En prenant le contre-pied de certains de ces précédents films, en mettant de côté le viscéral au profit du spirituel, en abandonnant toutes tentatives de provocations pour chercher l'apaisement (le film ne côtoie à aucun moment le thème de la nécrophilie), VITAL apparaît pour beaucoup comme un parent pauvre dans la filmographie de Shinya Tsukamoto. Ce serait une grave erreur tant l'œuvre se montre incroyablement juste, souvent même bouleversante. La cérémonie de la mise en bière des corps disséqués par les étudiants de médecine, les larmes d'Hiroshi cachées par ses longs cheveux noirs lors de la crémation des corps sont autant de séquences mesurées et d'une grande beauté, d'un émotionnel puissant mais indirect, particulièrement inhabituel dans le cinéma de Tsukamoto. Le film s'achève d'ailleurs sur une pique envers les fans de la première heure qui pourraient se sentir trahis. «Quelle image aimerais-tu garder de ta vie ?», demande Ryoko à Hiroshi. «Une image de mon robot martien», répond puérilement Hiroshi, en bon fan de cyberpunk. Puis vient l'ultime plan de VITAL, le souvenir qu'emportera Ryoko avec elle dans la mort. Un plan d'une force indescriptible pour celui qui arrivera à le lire et à le ressentir. Une image d'une bouleversante banalité et pourtant d'une extraordinaire émotion. Une image qui prouve que Shinya Tsukamoto n'a plus besoin d'aucun effet ou artifice pour incarner l'un des cinéastes les plus passionnants de son époque.

Les films de Shinya Tsukamoto ne sont malheureusement plus distribués en France depuis GEMINI. Il faudra donc se tourner vers l'import pour pouvoir visionner VITAL, notamment grâce à un disque anglais. L'image est d'une beauté saisissante, rendant parfaitement justice au minutieux travail photographique du film. Les pistes audio proposent la version japonaise originale sous plusieurs formats à choisir selon votre équipement. Bien entendu, c'est la piste DTS qui se détache clairement du lot grâce à la puissance qu'elle dégage particulièrement sur l'ouverture du film. Les sous-titres sont uniquement en anglais.

Malgré sa confidentialité, y compris chez les fans de Tsukamoto, VITAL a quand même le droit à une interactivité fournie. On commence par un commentaire audio du journaliste Tom Mes, spécialiste du cinéma japonais, à qui l'on doit un livre sur Takashi Miike et justement Shinya Tsukamoto. Ce dernier ouvrage, Iron Man : the cinema of Shinya Tsukamoto, est particulièrement fouillé et passionnant. Pour l'écriture de ce livre, Mes eut l'opportunité de passer quelques jours sur le tournage de VITAL, dont il nous rapporte certaines anecdotes et éclairages. Le principal intérêt de ce commentaire est de parfaitement justifier les choix plus lumineux et contemplatifs du cinéaste. Mes nous donne des informations plus personnelles sur l'auteur, sur sa maturité en tant qu'homme, le fait qu'il soit devenu père, son approche de la cinquantaine. Mais aussi sur un accident qui immobilisa Tsukamoto dans un lit pendant quelques temps, et la redécouverte du mouvement quand ce dernier pu enfin recouvrir son autonomie. Bien entendu, ce commentaire ne tient pas toujours la longueur et paraphrase régulièrement l'intrigue du film, ou se contente d'analyser superficiellement certains choix de mise en scène. Pour autant, il recèle d'excellentes clefs pour bien appréhender VITAL, grâce à l'évidente érudition de Mes sur l'œuvre de Tsukamoto qu'il connaît sur le bout des doigts.

Un Making Of d'une vingtaine de minutes nous invite ensuite sur le plateau du film tout en donnant la parole à ses intervenants. L'occasion d'assister à la minutie du travail de Tsukamoto, concentré malgré des moyens particulièrement précaires (décors naturels, petite équipe). Le cinéaste s'exprime seul au détour d'une interview d'une dizaine de minutes, et revient abondamment sur les obsessions qui l'ont poussés à créer VITAL et à son rapport au corps humain. On passera rapidement sur un petit module vidéo présentant Tsukamoto et ses acteurs principaux à l'avant-première du film au Japon, où il est de rigueur de dire un petit mot aux spectateurs avant l'extinction des lumières. Beaucoup plus intéressant est l'interview de Isashi Oda, spécialiste des effets spéciaux prosthétiques sur tous les films de Tsukamoto depuis TETSUO 2. Illustré de nombreuses images de son équipe au travail, le maquilleur explicite son approche hyper réaliste des faux corps tout en se débarrassant des clichés gores pour ses créations. Enfin, un dernier reportage va suivre l'équipe lors de la première mondiale du film au festival de Venise. Tsukamoto se prête de bonne grâce à un mitraillage d'interviews et de compliments de fans, sous les regards intimidés des deux comédiennes principales (Kiki et Nami Tsukamoto) pour qui c'est la première expérience de festival. Le reportage inclut les propres images que filment les deux jeunes femmes pour leurs souvenirs personnels, donnant un regard particulièrement touchant à l'ensemble. Pour les fans de mélodies japonaises sirupeuses, le clip vidéo de la chanson des crédits de fin par la superstar Coco est présent. Un univers musical particulièrement curieux pour VITAL, et assez peu en phase avec la musique du film composée comme toujours par Chu Ishikawa. C'est la fin de la section bonus et pourtant, d'ultimes informations nous attendent via un mini livret écrit par le journaliste Jonathan Clements. En résumé, une édition particulièrement copieuse et techniquement irréprochable pour un essentiel de l'œuvre du cinéaste.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
48 ans
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287 critiques Film & Vidéo
On aime
Un Tsukamoto très personnel et mature
Un film bouleversant sur le rapport à la mort
On n'aime pas
La chanson de Coco, peu en phase avec l’univers du film
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L'édition vidéo
VITAL DVD Zone 2 (Angleterre)
Editeur
Tartan
Support
DVD (Double couche)
Origine
Angleterre (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h22
Image
1.85 (16/9)
Audio
Japanese DTS 5.1
Japanese Dolby Digital 5.1
Japanese Dolby Digital Stéréo Surround
Sous-titrage
  • Anglais
  • Supplements
    • Commentaire audio de Tom Mes
    • Making of (18mn44)
    • Interview de Shinya Tsukamoto (11mn04)
    • Interview du maquilleur Isashi Oda (10mn26)
    • Présentation de l’équipe à l’avant-première japonaise (2mn45)
    • Vital au festival de Venise (10mn46)
    • Clip vidéo : Coco, Blue Bird (6mn17)
    • Notes écrites Jonathan Clements
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