Après être devenu la risée du monde scientifique en raison de ses théories, le Professeur Manfeldt vit dans la pauvreté. Pourtant, ses connaissances ne font pas rire tout le monde. Bien au contraire, son ami Helius croit dans son projet de voyage lunaire alors que dans le même temps une mystérieuse organisation essaie de voler les documents du Professeur Manfeldt.
Au début du XXème siècle, l'exploration spatiale au cinéma se résume à l'envoi d'ogives à coup de canon vers le ciel. Peu sérieux, LE VOYAGE DANS LA LUNE est ainsi un chef de file qui s'attache à suivre de loin les écrits de Jules Verne ou H.G. Wells en matière d'aventures lunaires. Fritz Lang décide quant à lui de prendre une voie plus scientifique après avoir lu un livre de Hermann Oberth, l'un des précurseurs en matière de fusée. LA FEMME SUR LA LUNE va ainsi devenir le premier film spatial reposant sur des fondements réalistes même si l'avenir démontrera que la science avait encore des progrès à faire. Lorsque le film sort en 1929, aucun homme ou satellite n'a encore été envoyé dans l'espace. En effet, il faudra attendre la fin des années 50 pour que le premier satellite soit mis en orbite autour de la Terre.
LA FEMME DANS LA LUNE débute à la manière d'un serial naviguant entre le policier et l'espionnage. Un genre dans lequel Fritz Lang a déjà oeuvré auparavant. La première partie du film, se déroulant sur Terre, va surtout nous conter une lutte d'influences qui mènera au financement de la première expédition vers la lune. Les plans et notes du Professeur Manfeldt sont tout d'abord la cible de tentatives de vol par une équipe de criminels très bien organisés menée par le mystérieux Turner (Fritz Rasp). Ce dernier est un roi du déguisement ce qui donne l'occasion de voir une incroyable scène où il change de visage en un tour de main (littéralement). Toute cette partie du film n'est ainsi pas sans rappeler DOCTEUR MABUSE avec ses vols, filatures et chantages. Il faut dire que la lune est plutôt attractive puisque la présence de gisements d'or en grande quantité fait partie des théories du Professeur Manfeldt.
Film muet, LA FEMME SUR LA LUNE n'en demeure pas moins d'une grande modernité dans sa narration. Dès les premières minutes du film, Fritz Lang amène des flash-backs de manière très réussie en utilisant divers artifices. C'est par ce biais que l'intrigue nous sera progressivement dévoilée et que nous en apprendrons plus quant à la triste fin (faim ?) du Professeur Manfeldt. Il en ira de même pour la deuxième partie du film qui s'intéressera à proprement parler au voyage lunaire. Fritz Lang semble vouloir un peu casser la tradition des intertitres amenant les dialogues du film. A plusieurs reprises, des indications ne seront donc pas placer sur les intertitres mais directement dans l'image pour en décupler la force. D'une caverne, le mot «Or» est ainsi hurlé et s'échappe de façon animée à la manière d'une bande dessinée. Il en sera de même pour le monologue d'un présentateur radio qui se répandra auprès de ses auditeurs. La littérature populaire, dessinée ou pas, est d'ailleurs présente dans LA FEMME SUR LA LUNE au travers d'un enfant qui apprécie les aventures de science-fiction. Mais l'utilisation la plus percutante d'indication placée directement à l'image se fait lors du compte à rebours précédant le lancement de la fusée. Inventé seulement pour augmenter le suspense de la séquence, ce compte à rebours sera repris ensuite de manière très officielle par ceux qui vont lancer de véritable fusée dans l'espace quelques années plus tard !
Novateur, LA FEMME SUR LA LUNE va aussi l'être en présentant toutes sortes de concepts qui vont perdurer par la suite dans la conquête spatiale. Le film nous montre, par exemple, une fusée déplacée lentement sur une lourde plate-forme pour l'amener sur son aire de lancement, l'évocation d'un carburant liquide ou encore la séparation de la fusée en plusieurs étages. Après le décollage de la fusée, ses occupants vont découvrir l'apesanteur et les spectateurs pourront voir quelques aménagements permettant aux voyageurs de l'espace d'évoluer à l'intérieur de la capsule (fixations au sol, poignées…). Evidemment, certaines données techniques vont s'avérer erronées. Par exemple, l'atmosphère de la lune ne ressemble en rien à celle décrite dans le film. Rien de rédhibitoire pour autant puisque si le film s'attache à dépeindre une certaine vérité scientifique, LA FEMME SUR LA LUNE garde tout de même tout du long un ton «serial», en marge de la réalité, que ce soit dans un triangle amoureux (la femme sur la lune en fait partie) ou bien avec une inévitable traîtrise.
A l'évocation du nom de Fritz Lang, on pense inévitablement à ses films les plus connus de METROPOLIS à DOCTEUR MABUSE en passant par LES NIBELUNGEN pour ne rester que dans le domaine du muet. Pourtant, LA FEMME SUR LA LUNE est une très belle réussite qui sait allier narration romanesque avec connaissance scientifique de la meilleure façon qui soit. De nos jours, cette aventure spatiale mérite largement une redécouverte.
Dans sa collection Fritz Lang, MK2 sort quelques titres du cinéaste allemand qui étaient jusqu'ici inédits en DVD sur le marché français. C'est le cas des deux films consacrés aux NIBELUNGEN mais aussi LA FEMME SUR LA LUNE qui nous intéresse ici. Le digipack cartonné annonce que le film a été reconstitué et restauré. Il faudra tout de même garder à l'esprit que l'image date de près de 80 ans. Le résultat est en tout cas très satisfaisant même si on est très loin de l'image quasiment miraculeuse du FANTOMAS de Louis Feuillade pourtant antérieur. Le film étant muet à l'origine, il est difficile de juger, d'un point de vue historique, la piste sonore. L'accompagnement musical, par endroit sonorisé, rempli son office sans heurt. La copie du film étant allemande, les intertitres sont donc dans cette langue sur lesquels s'affiche un sous-titrage français.
La légèreté du contenu éditorial est d'autant plus regrettable que le prix de vente de LA FEMME SUR LA LUNE lui, n'a rien de vaporeux. A plus de vingt euros le disque, il faudra donc se contenter d'une présentation de la collection Fritz Lang, d'un amalgame d'extraits, et d'un peu moins de trois minutes où Bernard Eisenschitz livre quelques informations sur le film. Cette dernière présentation s'avère, en tout cas, réussie en brossant rapidement mais consciencieusement le portrait du film. Pour en revenir au prix, c'est d'autant plus surprenant que les deux films des NIBELUNGEN sont proposés exactement au même prix alors qu'il s'agit d'un double DVD. Il faut croire que la rareté se paie !