Au cours des années soixante, le cinéma fantastique anglo-saxon multiplie les adaptations littéraires en s'inspirant entre autres de l'oeuvre de Poe. Ce dernier stimule ainsi Roger Corman à maintes reprises pour confronter le spectateur aux CHUTE DE LA MAISON USHER (1960), CHAMBRE DES TORTURES (1961), EMPIRE DE LA TERREUR (1962) ou MASQUE DE LA MORT ROUGE (1964). Produits par la célèbre firme américaine A.I.P., les dits métrages développent une atmosphère “frénétique” laquelle singularise pareillement des créations distinctes qui, par exemple, sont affiliées aux livres de Lovecraft. En 1963 sort LA MALÉDICTION D'ARKHAM (Roger Corman, encore) dont la nouvelle originale, “L'Affaire Charles Dexter Ward”, se trouve partiellement à l'origine de DIE, MONSTER DIE! (Daniel Haller), projeté sur les écrans deux ans plus tard. Cet engouement pour l'Épouvante gothique conduit Vernon Sewell à mettre en chantier une version de la fameuse “Maison de la sorcière”. Rebaptisé LA MAISON ENSORCELÉE (1968) en France et en Belgique, le film bénéficie d'abord d'une brochette de comédiens tout à la fois talentueux et reconnus comme tels. Boris Karloff, Christopher Lee et la très belle Barbara Steele soumettent dès lors leur savoir faire et leur prestige aux aléas d'un scénario dont l'évidente faiblesse laisse néanmoins au discret Michael Gough (CRIMES AU MUSÉE DES HORREURS, LE FANTÔME DE L'OPÉRA, LE CAUCHEMAR DE DRACULA...) la possibilité de confirmer son attachement au genre. Comme à son habitude, Vernon Sewell (DANGEROUS VOYAGE, LE VAMPIRE A SOIF...) tente de surfer ici sur une mode laquelle accorde une importance particulière à la photographie (John Coquillon, notamment présent sur les plateaux des CHIENS DE PAILLE, du VENT DE LA VIOLENCE ou de L'ENFANT DU DIABLE), décors (Derek Barrington) et costumes (Michael Southgate). Apparemment datée, LA MAISON ENSORCELÉE suscite pourtant un intérêt bien naturel au vue d'un intertexte lovecraftien !
L'antiquaire Robert Manning (Mark Eden) s'étonne de l'absence prolongée de son frère Peter (Denys Peek), parti voilà quelques semaines chercher des objets d'art dans un manoir isolé. Évidemment inquiet, notre héros se rend sur place, y rencontre la pétulante Eve (Virginia Wetherell) et son oncle Morley (Christopher Lee), lesquels lui offrent l'hospitalité. De plus en plus sensible à l'atmosphère oppressante du lieu, le jeune homme entame un enquête qui, de sacrifices humains en passages secrets, révélera l'obscure versant d'une maison a priori “ensorcelée”.
Réunissant trois figures légendaires de l'Épouvante cinématographique, LA MAISON ENSORCELÉE affiche d'emblée une volonté de contenter les fans du genre. De fait, Vernon Sewell confirme ce parti pris en empruntant au fantastique divers thèmes et procédés de mise en scène. Aussi débute-t-il son film “in media res” pour introduire directement le spectateur au sein de la fiction, précisément lors d'une messe noire. L'absence de “voix off”, d'incipit descriptif et de point de vue panoramique sous-tend un véritable souci de crédibiliser un scénario dès lors débarrassé des artifices de narration classiques. Faire croire à la véracité des faits relatés, voilà un paramètre qu'un (bon) récit de terreur se doit de prendre en compte, non en se conformant au quotidien du public mais en offrant à celui-ci un univers de croyance dont la logique interne se substitue naturellement au réalisme de convention. En ce sens, le monde au sein duquel évoluent les protagonistes demeure compréhensible, et donc fort acceptable, pour l'amateur de “bis” capable de traduire en termes de “vraisemblable” des esthétiques, intrigues et même images bien éloignées de son réel. L'apparition de Barbara Steele peinturlurée et affublée d'un costume frisant le ridicule, n'invalide pas la scène de sabat dans la mesure où cette dernière répond aux légitimes attentes du récepteur. Une jolie victime à moitié nue, un volatile que l'on s'apprête à sacrifier, une cave voûtée ; les motifs du gothique annihilent la dimension factice d'une sorcière conforme au cadre référentiel. À ce propos, l'oeuvre de Vernon Sewell cumule les clichés et consolide un pacte de lecture dont l'épaisseur enthousiasmera les nostalgiques des productions d'antan, celles qui n'hésitaient pas à faire confiance à notre imagination en privilégiant l'instance spectaculaire à un naturalisme malheureusement prépondérant depuis quatre décennies. L'exotisme géographique — l'histoire se déroule dans une bourgade isolée — implique un phénomène chronologique équivalent — retour par le folklore à un passé immémorial — en vue de satisfaire notre soif d'évasion et de mystère. Sur ce point, le métrage parvient à ses fins.
L'exploitation d'un appareil mythologique plutôt diversifié illustre la singularité de cette mimèsis. Par exemple, l'aura de la très belle Lavinia (Barbara Steele) s'explique par son indéniable parenté avec Asa Vajda (LE MASQUE DU DÉMON) tandis que l'étrangeté des villageois rappelle celle de LA CITÉ DES MORTS. Parallèlement, la tradition gothique anglo-saxonne influe sur de nombreux décors ou personnages tels l'inévitable antiquaire, le mystérieux manoir, un majordome morbide, un oncle esthète et solitaire, un lettré (Boris Karloff) ou l'ingénue jeune fille (Virginia Wetherell). Loin de paraître éculé, le cliché oriente l'interprétation globale d'une fiction qui mise d'abord sur notre cinéphilie. L'importance du soubassement référentiel alimente également la parodie, comme lorsque Miss Morley compare sa demeure à une “maison de film d'horreur” laquelle pourrait entre autres abriter Boris Karloff ! À cela s'ajoutent le thème du pacte avec le Diable, l'intervention d'êtres maléfiques et quelques discussions au coin du feu, chargés d'asseoir au maximum notre omniscience. Sublimée par un superbe Technicolor, LA MAISON ENSORCELÉE s'inscrit explicitement dans la lignée des films de Bava, Corman et Fisher en soumettant l'espace représenté à l'irréalité d'un référent dont le degré de vraisemblance dépend de la culture du spectateur, voire de sa bonne volonté...
L'expérience acquière d'ailleurs une toute autre ampleur si le public ajoute à cette première prédilection une connaissance de l'oeuvre lovecraftienne. Le métrage puise en effet dans “La Maison de la sorcière” (“The Dreams in the Witch-House”, 1932) nombre d' idées telles “la malédiction ancestrale”, la récurrence des cauchemars, une propension au somnambulisme mais il ne parvient pas vraiment à reproduire la “terreur cosmique” (cf, Lovecraft, “Épouvante et surnaturel en littérature”, 1927) chère à l'auteur américain. L'initiateur des “Mythes de Cthulhu” tendait à générer un sentiment de peur en suggérant une terrifiante proximité de notre monde avec celui, certes camouflé et “endormi”, de créatures issues des temps immémoriaux lesquelles, en quelques circonstances, s'éveillent pour s'imposer à la conscience humaine. Manuscrits sacrés (Le “Necronomicon”), lieux maudits (Arkham), explorations de lointaines contrées et même simples visions, les portes ouvrant sur l'Abjection ne manquent pas. Omniprésente, la Menace s'érige en Danger lorsque des inconscients osent soulever le voile des apparences. Le héros de LA MAISON ENSORCELÉE semble appartenir à cette dernière catégorie, bien malgré lui d'ailleurs!
Victime des charmes diaboliques du manoir, Robert entre en contact avec l'Occulte par le biais de rêves autant étranges qu'angoissants. Si les scènes ne transcrivent guère l'appartenance des peurs lovecraftiennes à celles élémentaires et viscérales qui ne signalent ni signifient rien qu'une potentielle confrontation avec l'Inadmissible, reconnaissons à ces adaptations une certaine sagacité. En effet, Sewell choisit d'interpréter l'inconcevable car inhumaine dimension dépeinte par l'écrivain en termes psychédéliques. A priori très éloignés, les univers comptent de multiples affinités que LA MAISON ENSORCELÉE exploite judicieusement. Hallucinés par un esprit ou névrosé ou sous l'emprise de la drogue, ces territoires inconnus se définissent par l'onirisme agressif de tracés, couleurs et sons dont l'agencement et l'expression s'écartent de nos repères habituels. Conformément à SERGENT PEPPER'S LONELY HEARTS CLUB BAND (Michael Schultz, 1978) ou THE TRIP (Roger Corman, 1967), les images en question correspondraient à celles d'un “trip” et, plus intéressant, aux vérités entr'aperçues par les héros de Lovecraft. En cela, les monstrueuses entités géométriques qui terrifient le narrateur de “La Maison de la sorcière” se rapprochent des formes carrées, rectangulaires, triangulaires ou bien octogonales omniprésentes au sein des “hallucinations cinématographiques” de l'époque. En premier lieu judicieuse, cette assimilation de “sphères” a priori indépendantes possède des limites, de fait logiques si l'on y réfléchit. Réel et symbolique symptôme d'une décadence sociale revendiquée ici, l'usage du stupéfiant exprime pour la génération d'alors l'inexorable évolution des moeurs. Cette perspective diachronique s'oppose à la nature même d'une “terreur cosmique” qui, rappelons-le, s'avère primordiale. Thématiquement incompatibles, les univers pourtant apparentés par le métrage sonnent faux. À ce propos, certains seront peut-être horripilés par l'insertion parfois très gauche de scènes psychédéliques dont on ne saisit pas toujours la pertinence au vue de l'arrière-plan gothique. Il n'en demeure pas moins que l'oeuvre de Vernon Sewell mérite davantage qu'un simple coup d'oeil, eût égard à l'excellente performance des acteurs, à la superbe photographie et — pourquoi pas? — à la témérité d'un cinéma décomplexé par trop boudé en ce moment.
Agrémentés de deux bandes-annonces (celles de LA MAISON ENSORCELÉE en format respecté mais en 4/3 et LA SECTE DES MORTS VIVANTS en 16/9) et de filmographies (Boris Karloff, Christopher Lee et Vernon Sewell), le DVD estampillé Seven Sept retire à l'acheteur la possibilité d'obtenir un certain nombre d'informations intéressantes — place du métrage dans un courant déterminé ; spécificité du “gothique tardif” ; impact du casting sur la réalisation et la réception de l'oeuvre... — en “choisissant” de présenter le film seul. Certes frustrante, la faiblesse de l'interactivité se trouve compensée par l'excellence des spécificités purement techniques offertes par notre galette. Proposée dans son format d'origine (1.66) ainsi qu'en 16/9ème, LA MAISON ENSORCELÉE jouit en effet d'une très belle image dont le Technicolor demeure rehaussé par une définition, un encodage et une compression des plus honorables. L'alternative entre une version française et une version originale sous-titrée dont le mono demeure pareillement correct, s'avère caduque dans la mesure où la deuxième rendra naturellement justice au jeu évidemment satisfaisant des comédiens. En dépit de ses insuffisances, le DVD présentement chroniqué devrait contenter les fans invétérés d'un fantastique gothique qui, décadent ici, interpellera les plus curieux. Les amateurs de Lovecraft resteront en revanche sur leur faim, comme de coutume...