C'est une matinée paisible pour le petit village de Midwich. Femmes et hommes vaquent à leurs occupations quotidiennes lorsque soudain, tous sombrent dans un inébranlable sommeil. L'armée est mobilisée mais restera impuissante jusqu'au réveil, quelques heures plus tard, de l'ensemble de la population. Alors que tout semble redevenu normal, les femmes du village découvrent une à une qu'elles sont enceintes. Le lien avec l'étrange événement passé ne fait aucun doute, d'autant qu'à l'heure des naissances, les bébés possèdent tous les mêmes caractéristiques physiques. Leur croissance intellectuelle hors normes laisse bientôt apparaître le sombre dessein de ces diaboliques rejetons : Prendre le contrôle global de notre planète.
LE VILLAGE DES DAMNES, avant d'être un excellent film, est l'adaptation d'un roman particulièrement intelligent de l'écrivain britannique John Wyndham. L'œuvre parait en 1957 sous le titre étrange de «Midwich Cuckoos» avant d'arriver deux ans plus tard sur le sol français. La traduction fidèle du nom du livre («Les coucous de Midwich») reprend donc fort logiquement l'évocation faite à ce sympathique oiseau qu'est le coucou. En effet, en plus de son chant caractéristique, ce cuculidé se démarque des autres par son attitude dite «parasitaire». A savoir que la femelle, quelque peu fainéante et intrusive, sélectionne le nid d'un autre oiseau pour y déposer son œuf. C'est donc le propriétaire du confortable logis qui devra par la suite couver la progéniture du coucou, laquelle possède d'ailleurs une durée d'incubation bien plus courte que la normale. Une fois son premier cri poussé, l'intrus coucou sera même nourri par son infortuné hôte ! Un mode de fonctionnement en parfaite adéquation donc avec les faits décrits dans le roman, à l'échelle humaine cette fois…
Bien que retitré, le long métrage réalisé en 1960 conserve l'intégralité du propos et nous confronte à une intrusion «de l'intérieur» à la manière d'un mésoparasite. Ainsi, qu'elles soient en couple, seules, veuves ou encore présentes sur les bancs de l'école, toutes les femmes en âge de féconder sont déclarées enceintes. Un événement habituellement associé à un intense bonheur qui, généralisé par «miracle», deviendra bien vite un affreux cas de conscience mettant en opposition l'instinct maternel et la crainte de l'inconnu. Car en plus des doutes et questionnements légitimes liés à n'importe quelle grossesse s'ajoute une question qui demeurera sans réponse : D'où viennent ces embryons ? LE VILLAGE DES DAMNES nous invite donc à partager l'angoisse de ces futures mères allant jusqu' à douter de l'amour qu'elles pourront porter à leur progéniture. Angoisse qui ne fera que s'aggraver à la naissance, forcément massive, des terrifiants loupiots.
A cet instant, l'intuition des femmes prend forme et leurs craintes se transmettent aux hommes. Car en effet, nous n'avons pas à faire là à de classiques bambins : Point d'émotion sur leur visage poupon, pas plus que de lien physique pouvant les rapprocher de leurs «parents». Fini les trop classiques «Qu'il est beau, il ressemble à sa mère !». Non, ces enfants font peur et ne ressemblent qu'à eux. Ils possèdent de surcroît quelques caractéristiques pour le moins étranges. Leur chevelure blonde, leur teint blafard, leur visage inexpressif et leurs yeux clairs semblent ainsi évoquer une «race supérieure» malheureusement d'actualité quelques années plus tôt. Mais, bien plus que le nazisme et les Aryens, c'est d'abord la crainte du communisme et plus globalement la guerre froide qu'évoque le métrage. Cette crainte, née au lendemain de la seconde guerre mondiale résulte des deux puissances mondiales alors en place. Tout comme la «terreur nucléaire», la guerre froide et la peur du bloc communiste occupèrent une place non négligeable au cinéma, particulièrement dans les récits fantastiques. Nous citerons pour l'exemple LA CHOSE D'UN AUTRE MONDE de Christian Nyby, L'INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURES de Don Siegel ou encore LA GUERRE DES MONDES de Byron Haskin.
Dans LE VILLAGE DES DAMNES, ce groupe d'enfants, envahisseurs malfaisants, est donc bien évidemment l'image métaphorique du monstre communiste vu par les pays membres de l'Otan. Image qui n'a du reste de cesse de se clarifier tout au long du métrage. Ainsi, les bébés grandissent et deviennent très vite inséparables. Plus qu'une unité physique, ces petits êtres communiquent entres eux par la pensée et possèdent un «esprit commun» (à rapprocher de «la pensée unique»). Ce que l'un des leurs sait, les autres le savent aussi. Que l'un d'entre eux soit en danger et ce sont tous ses compagnons qui entrent en guerre… Le final lui-même nous offre une image qui ne laisse aucune place au doute, celle d'un mur de brique supposé stopper la progression des démons. Ce mur de brique, c'est bien évidement celui que l'on appellera dès 1945 le «rideau de fer», une frontière séparant les deux blocs alors en opposition en Europe. Un mur qui verra du reste sa concrétisation partielle en 1961 via le mur de Berlin…
Mais laissons là ce second niveau de lecture pour nous intéresser à l'œuvre cinématographique en elle-même. LE VILLAGE DES DAMNES est donc une production britannique au budget plutôt modeste. Le choix est fait d'opter pour un noir et blanc de fort bon aloi puisqu'il participe grandement à l'ambiance générale du métrage. La campagne anglaise, d'abord paisible, devient ainsi très vite inquiétante et une touche de désespoir semble dès lors planer sur le film réalisé par un certain Wolf Rilla. D'origine allemande, l'homme oeuvrera aussi bien pour la télévision que pour le cinéma. Reste que sa carrière ne comportera qu'un seul véritable joyau et c'est bien entendu celui que nous évoquons ici même. En plus du noir et blanc, le faible budget alloué par la filière anglaise de la MGM impose un style particulier à l'œuvre. Le métrage se devra d'être très suggestif et ne pourra qu'en de très rares occasions dévoiler visuellement les conséquences des actes des enfants. Là encore, cette «restriction» est un plus qui engendrera bon nombres de séquences réellement marquantes. Parmi celles-ci, nous citerons cet homme, contraint par les petits démons d'user de son fusil contre lui-même. L'alternance des plans dévoilant le regard froid et terrifiant des enfants ainsi que celui, hypnotisé et impuissant des parents est un parfait exemple de la force dégagée par le film.
Bien entendu, ces scènes n'auraient aucun intérêt sans la présence d'enfants réellement convaincants à l'écran. Faire reposer l'atmosphère inquiétante d'un film sur les seules épaules d'enfants acteurs est une gageure mais, fort heureusement, le résultat est là et ce en partie grâce au «leader» du groupe. Ce démon miniature est incarné par le très jeune (12 ans à l'époque) acteur Martin Stephens. Si ce nom et ce visage ne vous sont pas étrangers, c'est normal puisqu'il sera aussi l'année suivante l'inquiétant interprète du petit Miles dans le chef d'oeuvre LES INNOCENTS. Un acteur tout simplement incroyable qui nous livre ici une véritable performance, mariant parfaitement la froideur des propos et la dureté du regard pour une composition à glacer le sang. Nul doute que les spectateurs-parents seront pétrifiés par la terrifiante distance que met le petit David entre lui et ses malheureux parents.
Incarnés respectivement par Barbara Shelley et George Sanders, cette mère attentive et ce père scientifique abordent tous deux leur nouveau statut de parent de manière fort différente. Bien que la nature «hors normes» puis finalement monstrueuse de leur rejeton ne fasse aucun doute, la mère ne peut que tenter de créer un lien émotionnel normalement spontané. Elle qui porta le fœtus plusieurs mois durant ne peut en aucun cas défier la nature qui lui dicte un comportement protecteur et aimant. L'attitude de son enfant est par conséquent un véritable déchirement doublé d'un échec maternel. Le choc est purement sentimental alors que pour son époux, la donne est toute autre. Très vite, le personnage de Gordon Zellaby appréhende David non pas comme son fils mais comme le sujet d'une nouvelle et étonnante expérience. Un père prend réellement conscience de son nouveau statut à la naissance de son enfant (contrairement à une mère qui «ressent» le foetus et «communique» avec lui bien avant) mais quel comportement adopter lorsqu'il est évident que l'enfant n'est pas de soi et qu'en plus, il s'agit d'une créature comme nous n'en avons jamais vu ? Gordon se montre donc particulièrement distant et, pour tout dire, presque aussi insensible que l'enfant monstrueux.
Ainsi, bien que ce soit les femmes du film qui appréhendent le mieux le malaise général occasionné par l'arrivée de ces «êtres», ce ne sont que les hommes qui pourront agir avec le détachement suffisant et nécessaire. Les tentatives seront multiples et, à dire vrai, désastreuses, chacune se soldant inévitablement par un drame. Le dénouement prendra donc la forme d'un affrontement psychologique entre les envahisseurs juvéniles et l'homme de sciences qu'est Gordon Zellaby. Un dénouement riche de sens nous montrant, conformément à la mentalité de l'époque, qu'un sacrifice individuel peut s'avérer nécessaire voire indispensable à la sauvegarde d'un monde libre. Fort de son succès, LE VILLAGE DES DAMNES engendrera une suite nommée CHILDREN OF THE DAMNED trois années plus tard. Intéressante, elle change la donne et tente coûte que coûte de se démarquer du film de Wolf Rilla. L'apparence physique des bambins est donc abandonnée, de même que leurs origines extra-terrestres et le cadre «étriqué» du petit village pour des enjeux planétaires plus probants. Le sous-texte cède aussi la place à un autre, plus orienté sur la religion même si l'«immaculée conception» donnant vie à des êtres d'exception fût déjà, peut être, l'un des thèmes sous-jacents du premier opus... Le propos de cette suite est moins «fin», le manque de budget particulièrement pénalisant et l'œuvre globalement bien moins maîtrisée. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit bien entendu là d'un film à découvrir. Le remake réalisé par John Carpenter en 1995 se révèle en revanche bien plus dispensable. Plus graphique, plus «rentre dedans», moins malin et réalisé sans inspiration, cette nouvelle vision de l'œuvre relève indéniablement de l'échec pour prétendre même au titre de «plus mauvais film de Big John». On oubliera.
LE VILLAGE DES DAMNES est arrivé chez nos revendeurs avec un premier handicap de taille. En effet, contrairement à l'édition américaine qui proposait le film et sa suite sur un même disque (pour un prix modique), la version Zone 2 ne dispose que de l'oeuvre originale. Second souci, nous perdons aussi l'excellent commentaire audio donnant la parole à l'écrivain/historien passionné qu'est Steve Haberman… Un constat bien regrettable qui ne doit pas pour autant nous empêcher de (re)découvrir l'œuvre.
Le film nous est donc proposé dans une copie 1.77 noir et blanc encodée en 16/9ème. Une copie de qualité offrant des contrastes puissants et des teintes «justes». L'encodage se fait discret et nous n'aurons pas à déplorer les trop classiques défauts constatés lors du passage en numérique de métrages filmés en noir et blanc (fourmillement, halo détourant les personnages en mouvement ou rémanence). Seules quelques rares séquences laissent place à un grain douteux, ne semblant toutefois pas être lié à la compression…
Du côté des pistes sonores, ce disque français, à l'image de son homologue américain, se montre plus que satisfaisant avec bien entendu la version originale anglaise à laquelle s'ajoute les doublages français et italien (ce dernier étant absent du disque américain). Ces trois options sont proposées dans un mono d'origine clair et agréable. La piste française s'avère toutefois un cran en dessous sur le plan qualitatif avec une légère sensation «d'étouffement» des voix. Les enfants semblent par ailleurs, et comme c'était souvent le cas, doublés par des femmes, ce qui n'est pas toujours du meilleur goût… A cela s'ajoute une série de sous-titres qui devraient à n'en pas douter donner satisfaction.
Sur le plan éditorial, nous perdons comme nous l'avons dit le passionnant commentaire audio du disque Zone 1. Nous n'héritons en échange de rien, si ce n'est une bande-annonce plutôt décalée : Celle de la collection James Dean ! On ne peut donc être que très déçu par une telle légèreté, en réel déphasage avec la qualité et l'intelligence de l'œuvre…
LE VILLAGE DES DAMNES est donc un film à la fois fort et intelligent, doté d'un scénario aussi intriguant qu'inquiétant. La maîtrise du noir et blanc, la suggestivité au service de l'ambiance et le jeu incroyable des enfants-acteurs sont autant d'éléments qui contribuent à faire du métrage de Wolf Rilla une véritable petite perle du cinéma britannique. Ainsi, malgré la modestie des moyens engagés, le film parvient sans mal à se frayer une petite place aux côtés d'œuvres majeures comme L'INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURES ou LA GUERRE DES MONDES.