Header Critique : NACHO CERDA : LA TRILOGIE DE LA MORT

Critique du film et du DVD Zone 2
NACHO CERDA 1994

LA TRILOGIE DE LA MORT 

En 1990, Nacho Cerda conclut ses études de cinéma par la réalisation d'un court-métrage intitulé THE AWAKENING. Tournée en un week-end dans l'université qui, voilà quelques années, offrit la possibilité à Carpenter de mettre en scène certaines séquences du PRINCE DES TÉNÈBRES, la première fiction du cinéaste espagnol comporte les germes principaux des oeuvres à venir. Ne pouvant “naître” en terre américaine par manque de producteurs avisés, ces dernières se concrétisent dans la patrie de Don Quichotte. Accompagné d'amis fidèles, Cerda se lance dans la préparation d'une “expérience extrême et jamais vue au cinéma” (dos de couverture du DVD édité par Wild Side). Neuf nuits passées dans une véritable morgue prouvent l'extrême motivation, voire l'héroïsme, de l'équipe à l'origine d'AFTERMATH (1994). Chargé de la photographie, Christopher Baffa met en valeur l'immense travail effectué par DDT sur les effets spéciaux. L'horrifiante crédibilité des cadavres créés à l'occasion confine au sublime lorsque se posent sur elle les yeux hallucinés d'un Pep Tosar littéralement possédé par son rôle de chirurgien nécrophile. Preuve du tour de force, les festivals de Séville et d'Amsterdam décernent à cette fiction le prix du meilleur court-métrage, ce qui n'empêchera pas le cinéaste de se trouver sans fond ni partenaire pour réitérer l'exploit. Plusieurs mois dans la pub demeurent nécessaires afin de remédier à la situation. Le monde du Septième Art consacre pourtant une nouvelle fois l'incontestable talent du réalisateur en octroyant à GENESIS (1998) seize récompenses et une nomination aux prestigieux Goyas. L'histoire tragique de ce sculpteur souhaitant redonner vie à sa défunte épouse par l'intermédiaire d'une statue impliquait la collaboration d'un comédien aussi doué que Pep Tosar. Celui-ci ne se fait pas prier en conférant une dimension tout à la fois très émouvante et ténébreuse à son héros. Baffa retenu aux USA, Cerda choisit Xavi Giménez comme directeur photo et donne au jeune technicien la possibilité de promouvoir un savoir-faire qui par la suite éclatera dans INTACTO, DARKNESS ou FRAGILE. Achevée, LA TRILOGIE DE LA MORT permet d'apprécier la naissance d'un artiste qui devrait progressivement trouver une place de choix au panthéon des “Maîtres de l'horreur”. Sans concession excepté celles d'ordre esthétique, THE AWAKENING, AFTERMATH et GENESIS ne peuvent laisser “froid”, chose que le DVD estampillé Wild Side ainsi que ses éventuels acheteurs auront évidemment compris.

THE AWAKENING” (1990) Le temps semble s'être arrêté au sein d'une université américaine à la stupéfaction d'un étudiant apparemment épargné par le phénomène.

AFTERMATH” (1994) Dans une morgue, un chirurgien nécrophile concrétise ses plus morbides fantasmes.

GENESIS” (1998) Veuf depuis peu, un artiste décide de sculpter une statue à l'effigie de la défunte laquelle paraît progressivement revivre sous cette nouvelle enveloppe d'argile.

LA TRILOGIE DE LA MORT offre trois approches distinctes du motif éponyme. Perspectives spirituelle, réaliste et romantique singularisent les opus d'un triptyque visant à confronter le spectateur à sa terrible destiné.

En premier lieu, THE AWAKENING s'inscrit dans une optique religieuse en référant au thème des limbes. À ce titre, Cerda convoque un intertexte théologique qui, surdéterminé, illustre la naïveté du propos. Croix, pyramide percée d'un œil et ange doté d'une montre caractérisent un au-delà directement issu de l'imagerie populaire. Plus personnel, AFTERMATH emprunte aux doctrines et esthétiques réalistes les principaux présupposés à l'origine d'un univers représenté dès lors fort éprouvant. Privée de palliatif métaphorique, la minutieuse peinture de l'autopsie acquière une dimension clinique parfois insoutenable. Pour ce, précise le cinéaste, la mise en scène ainsi que le décor s'inspirent du quotidien d'une véritable morgue, état de fait traumatisant pour un artiste dont le perfectionnisme explique la participation préalable à une réelle opération. Davantage apparenté aux célèbres YEUX SANS VISAGE de Franju qu'au délirant RE-ANIMATOR de Stuart Gordon, AFTERMATH exploite à bon escient l'horrifiante inhumanité de l'acte médical. Précision méthodique du geste, gros plans sur l'appareil chirurgical, stérilité glacée d'une pièce immaculée et carrelée confortent la répulsion que cette vision d'un corps brisé, découpé et évidé, générera naturellement. De fait, Cerda ne nous épargne aucun détail, n'hésitant guère à dévoiler la dense et dégoûtante variété des composantes biologiques humaines. Outre les traditionnels et finalement bien anodins cerveau, cœur et même viscères, les ignobles masses graisseuses jaunâtres ou le vagin pourri du dit cadavre ne manqueront pas de provoquer quelques nausées.

Enfin, GENESIS préfère appréhender la Grande Faucheuse comme un facteur du romantisme le plus tragique, celui lié à la souffrance occasionnée par le veuvage. Contrairement au précédent, le court-métrage développe une tonalité lyrique chargée d'octroyer aux protagonnistes un soubassement essentiellement allégorique, lecture qui motivera de même la narration. Aussi le cadre référentiel accuse-t-il une esthétique singulière laquelle se trouve valorisée par maintes effets de style tels les ralentis, jeux d'ombre et lumière, inserts et fondus au noir. Extrêmement élaboré, le décor affiche ses artifices par l'accumulation de références artistiques — statues, ou stéréotypes du genre — décrépitude de la demeure.

La Mort fait donc l'objet d'une déclinaison tout à la fois spirituelle et esthétique au sein de trois histoires vouées à malmener le cœur et les affects du public. Le pari est réussi tant les “images chocs” (AFTERMATH) ou pathétiques (GENESIS) gravent de leur empreinte indélébile notre mémoire cinéphilique. L'impact des opus ne peut cependant être simplement attribué à l'ingéniosité du réalisateur. Son indéniable sincérité signale pareillement l'immense fortune de fictions auxquelles furent discernés de nombreux prix. En effet, Cerda ne cesse de signaler le caractère obsessionnel du thème abordé. “J'ai eu ma propre expérience à ce sujet quand j'étais plus jeune”, avoue le cinéaste au journaliste de L'Ecran Fantastique (Mai 2007, n° 276, p. 69), Stéphane du Mesnildot. Un “homme est mort d'une crise cardiaque devant moi, j'étais choqué. Quand j'avais 14 ans, j'ai donc réalisé à quel point nous sommes fragiles, la réalité de la mort, le fait qu'elle arrivera qui que vous soyez et quoi que vous fassiez”, poursuit-il. Éloquentes, ces clefs biographiques ne suffisent pas à expliquer l'originalité des métrages. À la différence de multiples films d'horreur, THE AWAKENING, AFTERMATH et GENESIS ne s'intéressent pas tant à l'angoisse suscitée par la vision de notre prochaine disparition (histoires de fantôme...) ni même à celle de l'expérience post-mortem (L'EXPÉRIENCE INTERDITE, les histoires de zombies,...) mais au passage d'un monde à l'autre. La fraction de secondes qui voit l'âme se retirer du corps stimule l'imaginaire entier du cinéaste. En premier lieu, cette substitution (état de “mort” à celui de “vie”) s'éprouve dans son absurdité.

THE AWAKENING aborde la problématique en termes temporels. S'ennuyant en classe, un étudiant soumet sa perception du réel au temps subjectif. Dilatation d'une période qui assimile tel événement (cours de mathématique, par exemple) à un moment interminable, voilà une expérience somme toute banale... excepté lorsque cette conscience “onirique” tend à contaminer l'environnement. Quelle n'est pas la surprise de notre héros devant l'immobilité soudaine des aiguilles de l'horloge! Le “subjectif” prend le pas sur le réel, montrant à voir une inversion des hiérarchies ontologiques a priori inconcevable. Une dynamique inverse pour une constat similaire dans AFTERMATH. Privée de corollaire spirituel, la chair s'érige en “être là” fort difficile à accepter. Ainsi le cadavre consacre-t-il la primauté du Corps sur un Esprit ici absent, déséquilibre définissant exclusivement la mort comme “anéantissement biologique”. Enfin, GENESIS fait correspondre l'absurdité du dit concept à la séparation de deux amants. Responsable de la situation, la Camarde retire tout sens à l'existence du survivant.

Globalement, la trilogie souligne l'insignifiance des faits, désirs, espoirs ou rêves humains face à la prééminence du Corps et en cela à notre inéluctable disparition. Évidemment intolérable, cette perspective d'avenir génère une Révolte individuelle (Cerda opte pour le muet afin de traduire la solitude de ses héros). Refus momentané de l'étudiant quant à se rendre dans l'au-delà ou tentatives de donner vie à ce qui n'en possède pas (cadavre, statue) ; telles sont les armes utilisées pour vaincre la mort. “Renverser l'ordre des choses” demeure le maître mot du chirurgien d'AFTERMATH. Fasciné par la défunte qu'il s'apprête à autopsier, le personnage concentre ses interrogations existentielles dans un désir morbide lequel, sous ses aspects “choquants” et psychanalytiques, illustre l'universelle révolte des hommes contre leur Créateur. Comme Baudelaire pour sa “Charogne”, notre protagoniste accorde à “l'organique pourrissant” un charme particulier et par la même INVERSE les qualités classiques de l'objet désiré. La nécrophilie acquière une signification blasphématoire en vue d'abattre la frontière sacrée entre vivants et morts. Pour preuve le regard halluciné du médecin projetant littéralement la fougue de son désir sur le cadavre. Apogée de cette macabre transfusion, une scène de viol d'un réalisme quasi insoutenable consacre l'ultime espoir du Frankenstein contemporain. L'intrusion brutale d'une lame dans le vagin pourri et la violence du coït figurent la tentative désespérée du héros quant à offrir toute l'énergie vitale possible au “partenaire”. L'histoire de GENESIS constitue une variation conventionnelle de ces séquences sublimes. Le principe demeure pourtant identique. L'artiste éploré redonne vie à son épouse en octroyant à une statue le “Souffle” nécessaire. Comme la fameuse “Vénus d'Ille” ou le célèbre “Portrait ovale” (Edgar Allan Poe), l'oeuvre aspire (métaphoriquement dans le premier exemple) l'essence de l'être, quitte à le faire dépérir.

Nécrophile ou Pygmalion, les personnages de Cerda refusent de se plier aux règles du Destin pour au contraire remettre en cause son Ordonnance. Contre-nature et blasphématoire, l'ultime combat revêt la forme qui lui sied ; horreur et monstruosité d'une déviance sexuelle (AFTERMATH) ou métamorphose épouvantable (GENESIS). La mise en scène des métrages reflète d'ailleurs le pessimisme du parti pris. Particulièrement soignés, les génériques anticipent l'esthétique classique des opus. L'importance du son (bruitages peu ragoûtants de l'autopsie), de la photographie, du découpage (support d'un story-board précis) se justifient par un perfectionnisme qui prendra sens durant le visionnage. Comme le médecin ou le sculpteur paraissent souffrir d'une maniaquerie obsessionnelle, Cerda assujettit la création à une rigueur d'exécution qui force le respect. Cette qualité met en lumière la véritable portée d'une trilogie conçue pour associer la mort à un support métaphorique de l'ekphrasis. THE AWAKENING, AFTERMATH et GENESIS nous parlent de cinéma, nous en décrivent le fonctionnement et l'objectif. Nier la déchéance “biologique” en la montrant afin de l'immortaliser, le Septième Art s'érige en grand ennemi du Temps. Le nécrophile et l'artiste ont bien compris cela. L'un choisit de se photographier pendant le viol tandis que l'autre projette un film super huit sur la statue. Au delà du simple exercice de style et d'une quelconque catharsis, les oeuvres de Cerda crient la révolte de l'être contre la condition humaine, assimilant le gore et l'Épouvante à des fontaines de jouvence où l'écoulement du sang octroit à ceux qui savent l'apprécier, cette jeunesse particulière aux insoumis.

Wild Side nous offre la possibilité de visionner les films dans d'excellentes conditions. Film d'étudiant, THE AWAKENING propose au spectateur une copie d'époque comme en témoignent de légères rayures et poussières. Sans bénéficier de restauration ni nettoyage, l'image 1.33 (proche du format 1.37 relatif au 16mm) demeure correcte à l'instar du son mono d'origine (rappelons que les métrages sont muets).

Outre quelque tâches, l'image 16/9 de AFTERMATH est de bonne facture, parfaitement équilibrée, dotée d'une chroma exempte de défaut. À remarquer la présence d'un grain cinéma fort agréable sur le transfert au format 1.85. Deux bandes sonores sont mises à la disposition de l'acheteur. Si le “Dolby stéréo” d'origine s'avère bien spatialisé, on recommandera surtout les remix 5.1. En revanche, l'histoire tragique du sculpteur amoureux bénéficie d'une image scope (2.35) valorisée par des contrastes et piqués splendides. À noter toutefois la présence de petites pixellisations.

Sobre mais riche pour ceux enclins à mesurer la densité des bonus à leur seul intérêt, l'interactivité offerte par Wild Side contentera les cinéphiles. Outre quelques bandes-annonces subsidiaires (se déclenchant à la lecture du DVD mais qu'il est possible de “zapper”), l'éditeur propose d'abord à ses acheteurs de retrouver l'équipe d'AFTERMATH au sein d'un Making Of relativement complet. Images des techniciens en train de peaufiner les maquillages ainsi que les effets spéciaux, d'un directeur photo bien débordé ou du réalisateur donnant ses directives, cette immersion dans un tournage apparemment paradoxal demeure instructive. Si certaines scènes (viol, notamment) génèrent naturellement quelques tensions sur le plateau, la bonne humeur (comédien nu et maquillé dansant une sorte de polka pour amuser son entourage...) l'emporte souvent. Ponctuée de divers entretiens au demeurant fort brefs, cette petite promenade se goûtera pleinement en guise de dessert, après le métrage même. À cela s'ajoutent les commentaires audio du cinéaste qui, très bavards, viennent enrichir la relecture de chaque histoire. Davantage porté à revenir sur les aspects techniques des oeuvres, l'espagnol évoque les formats choisis, les coûts et conditions de réalisation, le talent des comédiens ainsi que l'efficacité de l'équipe. Des anecdotes (dégoût des techniciens devant le réalisme des cadavres...) et digressions thématiques — naturalisme d'AFTERMATH opposé au lyrisme de GENESIS — assoient nos présomptions quant au sérieux et à l'originalité de l'artiste. Enfin, une galerie photo (78 images) tente à nouveau de prendre à contre-pied l'austérité morbide des métrages via une distanciation humoristique par laquelle acteurs souriants ou “matériel gore” en désacralisent le pessimisme général.

Nous conseillerons aux plus curieux d'introduire la galette dans leur ordinateur. Un lien à la racine du DVD ouvre tout navigateur internet. Ce dernier propose un menu qui permettra à l'acheteur de lire, voire imprimer, les scénarios et story-boards de chaque fiction. Les documents nous sont fournis au format PDF, également réunis au sein du répertoire “sources”. Un très très beau cadeau que ces splendides story-boards, précis, esthétiques et fort intéressants. Quant aux scénarios ; heureux les anglophones (THE AWAKENING et AFTERMATH) et ceux qui lisent l'espagnol (GENESIS)!

Rédacteur : Cécile Migeon
46 ans
33 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
On aime
Les séquences glauques et gores d’Aftermath
Deux court-métrages (Aftermath et Genesis) à l’esthétique particulièrement soignée
Le lyrisme de Genesis
Les commentaires audio du réalisateur
Des qualités techniques irréprochables
On n'aime pas
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L'édition vidéo
AFTERMATH DVD Zone 2 (France)
Editeur
Wild Side
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
30 mn
Image
2.35 (16/9)
Audio
Silent Dolby Digital 5.1
Silent Dolby Digital Stéréo Surround
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
      • Courts-métrages
      • The Awakening (7mn45)
      • Aftermath (30mn43)
      • Genesis (28mn46)
    • Le langage des corps - Making of de Aftermath (23mn53)
    • Trois commentaires audio de Nacho Cerda
    • Galeries photos
      • DVD-Rom
      • Story-boards des trois courts-métrages
      • Scénarios des trois courts-métrages
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