Header Critique : CHANGELING, THE (L'ENFANT DU DIABLE)

Critique du film et du DVD Zone 2
THE CHANGELING 1979

L'ENFANT DU DIABLE 

En 1979, l'oeuvre de Stuart Rosenberg, AMITYVILLE, LA MAISON DU DIABLE, provoque l'engouement d'un public avide de “sensations fortes”. Le surnaturel et son adjuvant "ectoplasmique" attire les foules au sein des salles obscures pour assurer aux producteurs perspicaces de solides retours sur investissement. À ce titre, Garth H. Drabinsky propose au cinéaste Peter Medak de réaliser un film de maison hantée. Notamment à l'origine de NEGATIVES (1968), GHOST IN THE NOONDAY SUN (1973) et quelques épisodes de série télévisée (AMICALEMENT VÔTRE, COSMOS 1999...), l'artiste tente une aventure d'autant moins périlleuse qu'il bénéficie d'un prestigieux casting. Magnifique dans PATTON (1970), George C. Scott retrouve sa partenaire entre autres fictionnelle dans THE DAY OF THE DOLPHIN (1973) ou THE SAVAGE IS LOOSE (1974), Trish Van Devere. Melvyn Douglas, Jean Marsh et Helen Burns se joignent aux premiers pour révéler une fois de plus toute l'étendue de leur talent. Basé sur l'excellent scénario de Russel Hunter, THE CHANGELING bêtement rebaptisé L'ENFANT DU DIABLE sur notre territoire, constitue une histoire de fantôme apparemment classique. Magnifiée par la musique de Rick Wilkins, la rencontre d'un pauvre veuf et d'un Esprit fort émouvant se déroule dans les subtiles décors créés pour l'occasion par Reuben Freed tandis que les nombreux sursauts qui ne manquent pas de secouer le plus rodé des fans du genre doivent en partie au judicieux montage de Lilla Pedersen.

Suite à la disparition de son épouse et de sa petite fille, un compositeur (George C. Scott) s'installe dans une demeure isolée afin de consacrer son temps à la musique. Une mystérieuse Présence vient rapidement troubler la tranquillité du malheureux héros pour l'investir d'une mission tant dangereuse que douloureuse.

L'œuvre de Peter Medak emprunte d'abord au Fantastique classique, celui précisément apparenté aux traditions gothiques et romantiques. De fait, la demeure hantée affiche une configuration labyrinthique conforme à celle de ses ancêtres «frénétiques». Pièces imbriquées les unes au sein des autres, immenses bibliothèques, boiseries surchargées, épais tapis et gigantesques lustres caractérisent une résidence qui aurait tout aussi bien pu «intervenir» dans les nouvelles de Poe. De même, l'immense parc adjoint à la bâtisse rappelle au spectateur les innombrables textes ou films au sein desquels le pauvre protagoniste doit affronter les enchevêtrements inextricables d'une «geôlière champêtre» particulièrement redoutable. Course effroyable à travers bois dans RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR (Jacques Tourneur, 1957) ou tentative de fuite hors du jardin de LA MAISON DU DIABLE (Robert Wise, 1963) se soldent parfois par un cuisant échec. Une indexation thématique pour le moins signifiante (orage ; bise d'automne) tend à renchérir une atmosphère que le public reconnaîtra sans peine. Fort de ce principe, le réalisateur exploite toutes les ressources offertes par l'anthropomorphisme dont font habituellement l'objet châteaux, abbayes ou simples maisons du genre. A l'image du “Château d'Otrante” (Horace Walpole, 1764), de celui «d'Udolphe» («Les Mystères du château d'Udolphe», Ann Radcliffe, 1794) ou de la maison Usher («La Chute de la maison Usher», Edgar Allan Poe, 1839), l'ultime refuge du veuf exhibe des fenêtres qui semblent observer le visiteur, une porte assimilable à une bouche et un charisme exacerbé par les nombreuses contre-plongées rendant presque palpable la massivité disproportionnée du lieu. Si ce dernier ne «veut être habité» explique Leah Harmon, c'est en raison d'un passé évidemment chargé. Faute d'en révéler tous les mystères, contentons-nous de relever ici l'influence de l'intertexte littéraire et cinématographique sur une trame, laquelle aborde pêle-mêle le «fils renié», le «testament caché», les «jalousies enfouies» ; le tout bien-entendu ensanglanté par une ultime tragédie dont la victime "ectoplasmique" demande bientôt réparation. Rien de bien nouveau dans tout cela. Cette fidélité aux règles et esthétiques de l'Épouvante traditionnelle soumet l'intrigue à un traitement relativement conventionnel, celui de l'investigation occulte.

Évoqué à plusieurs reprises au cours du commentaire audio, le «mystère» demeure le maître-mot d'un film souhaitant nous entraîner progressivement dans les rouages et chausse-trappes du mythe familial. La remontée dans le temps prend donc les sinueux chemins d'énigmes truffées d'objets (boîte à musique), espaces (pièce condamnée), propos («Help me») et textes (coupures de journaux) qu'il s'agira de déchiffrer. Invoquant Alfred Hitchock et notamment LA CORDE, le cinéaste ne peut pourtant nier l'égale prépondérance d'une filiation gothique elle-même encline à édifier ce type d'histoire. Suivant ce principe, le fantôme se plie à la fonction que Lettres et Septième Art lui ont octroyé depuis longtemps. L'effrayante Présence jette à coups d'inexplicables bruits, pierres projetées ou portes ouvertes et fermées, les miettes qui conduiront notre malheureux Petit-Poucet vers l'incroyable vérité. Sur ce point, Medak réfère davantage aux topoi vulgarisés par la littérature romantique. La manifestation surnaturelle problématise l'enquête en suscitant l'effroi d'un détective d'emblée fragilisé par son veuvage. Comme Hoffmann, Gautier, Poe ou Henri James, le réalisateur assujettit le surgissement de l'Au-delà à un système de perception aléatoire car prédisposé aux élucubrations morbides. Cette heuristique fondamentale explique l'ambiguité de certains regards, discours ou simples situations. Absence d'un être perdu dans ses pensées, voire son passé (flash back), propos contradictoires (John Russel affirme avoir surmonté son deuil pour se réjouir quelques minutes plus tard de pouvoir se défouler la nuit sur son piano), coïncidences étranges (le veuf pleure dans son lit LORSQUE la créature se manifeste) ; tels sont les procédés contribuant à faire douter de l'existence réelle du Phénomène. Effectif ou fruit d'une paranoïa latente, l'omniprésence du fantôme stimule une mise en scène singulière visant à faire planer sur l'homme une menace constante et en cela fort angoissante. Panoramiques, plongées et longs travellings traduisent ainsi l'omniscience quasi asphyxiante de l'Instance. De manière générale, THE CHANGELING s'inscrit dans la veine des grandes Histoire de Fantômes qui de LA MAISON DU DIABLE à L'ECHINE DU DIABLE (Guillermo del Toro, 2001) en passant par LE CERCLE INFERNAL (Richard Loncraine, 1978), privilégient la suggestion pour provoquer la peur. Récit d'atmosphère comme le furent ceux de Jacques Tourneur, l'œuvre envoûtera d'abord par la subtilité de son traitement tant thématique qu'esthétique.

Cette perspective d'approche conduit notre cinéaste à adopter quelques présupposés peut-être plus inédits au cinéma. La figure de l'artiste et notamment du musicien, redéfinit la manifestation occulte en termes de mysticisme au détriment de son appartenance aux sphères «paranormales». Par définition «Hors Nature» («Les Hors Nature», Rachilde, 1897), le génie du prestigieux compositeur s'érige en «variante sensible» d'un Au-delà avec lequel il communique naturellement. Plus efficaces qu'une séance de spiritisme, la création et l'interprétation musicales ordonnent l'Impalpable en vue de lui réattribuer sa signification première. Les notes et leur rendu spatial correspondent alors aux pièces d'un puzzle que notre héros et son fantôme assembleraient de «concert». Cette harmonisation des émotions explique le magnifique jeu d'échos qui alimente le contenu métaphorique du métrage. Symbole de souffrance, la couleur rouge singularise les bonnet, gants et balle d'une fillette, le pull du père ainsi que l'entrée de l'édifice au sein duquel se cache la vérité. Plus significatif encore, le magnétophone destiné à immortaliser les partitions de Russel réapparaît dans une séance de spiritisme afin d'enregistrer la voix des morts. Ainsi mise en exergue, l'interdépendance entre musique et surnaturel justifie la mystérieuse similitude entre une berceuse composée par le protagoniste et celle offerte par une boîte de musique.

Outre diverses correspondances thématiques, Medak imprime cette rythmique occulte sur la bande son du métrage même. Comme soumise à quelque métronome, la régularité des bruits émis par le terrible poltergeist répond à celle des coups portés par John sur une porte ou des rebonds d'une petite balle au sein des escaliers. Cette «symphonie horrifique» consacre la cohérence d'un univers essentiellement fondé sur la logique et le mouvement des émotions. En dépit de sa rigueur mathématique, le va-et-vient perpétuel des affects s'inscrit «en creux». Abîmes séparant moult espaces (maison isolée / centre urbain), lieux symboliques (grenier / puits), temps (présent / passé) et générations (adulte / enfant) signalent l'écroulement du flux musical. Les bords des pièces du puzzle s'approchent pour mieux se replier comme les enfants «mis en contact» avec un véhicule ou une charrette, s'enfoncent dans les Limbes. Récurrente, l'image du gouffre confronte le spectateur à l'événement le plus «surnaturel» qui soit : la perte d'un enfant. Quoi de plus absurde, incohérent, irrationnel et terrifiant que cette disparition du successeur «biologique», du «fruit de ses amours», de «l'âme de son âme» ? Le fantastique de THE CHANGELING s'appuie sur la figure de l'Absent, celui qu'on tentera de remplacer en vain. Ni «fils adoptif», ni «Esprit» ne peuvent combler cet insondable Vide. A ce titre, Medak s'attache à nous dresser le délicat portrait d'un être dépossédé, errant avec égale indifférence sur les trottoirs humides d'une ville anonyme ou dans les sombres corridors d'une maison hantée. La solitude génère ici la vraie Terreur, celle qui des «Contemplations» à NE VOUS RETOURNEZ PAS (Nicolas Roeg, 1973) n'a pas finit de faire couler des larmes d'encre et pellicule.

Dotée de qualités techniques correctes, la galette anglaise permet de se plonger complètement au sein d'une oeuvre qui le mérite tellement. Par rapport à l'édition américaine, le son du DVD britanique semble être plus pêchu. Il en résulte une spatialisation relativement supérieure. Contrairement à certaines “ambiances”, la musique demeure en revanche concentrée sur les voies avants. À cela s'ajoute une image “honorable” présentant de surcroît une meilleure compression que celle offerte par le DVD zone 1. Toutefois, on pourra noter que le disque anglais perd un tout petit peu d'image des quatre côtés sans que cela ne soit vraiment dommageable. Notez aussi que le disque américain est paré de sous-titres en français ce qui n'est pas le cas du disque anglais !

DVD américain
DVD anglais

À la différence de l'édition américaine, le DVD anglais nous offre en outre une galerie photo assez quelconque et surtout la possibilité de revisionner le film en compagnie du réalisateur. Ce dernier se prête au jeu pour dévoiler sa conception du métier, rendre hommage aux acteurs George C. Scott, Trish Van Devere et Melvyn Douglas, à la monteuse Lilla Pedersen, au directeur de la photographie John Coquillon ou expliquer certaines séquences. Medak revient à maintes reprises sur l'importance du pressentiment ou «affects» dans l'exercice de mise en scène. Filmer suivant ses impressions (bonnes, évidemment), «sentir» une séquence, participent à la réussite d'une oeuvre. Cette première façon d'appréhender la profession n'exclut naturellement pas une rigueur et un sérieux illustrés dans notre cas par l'analyse de diverses scènes. Rhétorique du travelling ou du mouvement circulaire éclairent avec bonheur nos lanternes. Entre précisions (remise du scénario, lieux du tournage…) et réflexions intéressantes (difficulté de réaliser des choses apparemment simples comme «bien» faire rebondir une balle au sein des escaliers), l'artiste s'attarde sur la compétence des comédiens, notamment celle de George C. Scott. Aisé à écouter (même pour les piètres anglophones), ce commentaire audio non sous-titré pêche cependant par la monotonie d'un discours effectué d'une voix monocorde et ponctué, semble-t-il, par un ou deux bâillements. Offrant des qualités techniques irréprochables, le DVD anglais du sublime THE CHANGELING laisserait un vide irremplaçable au sein des étagères du cinéphile récalcitrant. A ce dernier de le combler…

Rédacteur : Cécile Migeon
47 ans
33 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
On aime
Une mise en scène efficace
Une image acceptable
Un commentaire audio en supplément
On n'aime pas
La monotonie du commentaire audio
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L'édition vidéo
THE CHANGELING DVD Zone 2 (Angleterre)
Editeur
Momentum
Support
DVD (Simple couche)
Origine
Angleterre (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h51
Image
1.85 (16/9)
Audio
English Dolby Digital Stéréo Surround
German Dolby Digital Mono
Italian Dolby Digital Mono
Spanish Dolby Digital Mono
Sous-titrage
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