Dans la ville de Dunwich, le père Thomas se pend dans un cimetière. Son suicide a pour effet malheureux d'ouvrir les portes de l'Enfer, permettant aux morts de revenir sous forme de zombies. A New York, au même moment, Mary, une médium, a des visions atroces. En compagnie du journaliste Peter Bell, elle va se rendre à Dunwich pour tenter de refermer les portes de l'Enfer avant la Toussaint, sous peine de voir le monde entier envahi de zombies…
Arrivant dans le dernier tiers de la filmographie de Lucio Fulci, FRAYEURS n'est que son deuxième véritable film d'horreur. Le premier, L'ENFER DES ZOMBIES avait été un projet de commande que Lucio Fulci accepta parce qu'il n'avait plus de propositions depuis un an. N'étant pas un habitué du genre, il respecta le scénario de Dardano Sacchetti à la virgule près. Mais grâce à son talent de metteur en scène et de créateur d'ambiances poético-horrifiques, il en résulta l'un des films de zombies les plus marquants du genre. Fulci se rendit compte qu'il était peut-être fait pour l'horreur et il se lança alors dans la production de FRAYEURS, toujours aidé par Sacchetti.
Ensemble, les deux hommes écrivent un scénario à la construction volontairement décousue, présentant des vignettes plutôt qu'une histoire linéaire. Leur but était de déstabiliser le spectateur au plus haut point, de lui instiller l'essence même de la peur, d'où le titre originel, LA PAURA, changé par les producteurs pour ajouter une référence au film de zombies précédent de Fulci. Le réalisateur étant un homme très cultivé qui aimait beaucoup lire, il décide de s'inspirer de l'univers de Lovecraft (l'ambiance oppressante et paranoïaque) en y ajoutant une bonne dose de Poe (les manifestations physiques de l'horreur et l'inspiration gothique).
Prix de la critique à Avoriaz en 1980, FRAYEURS fut le film qui consacra Lucio Fulci en dehors de son Italie natale, lui valant les doux surnoms de «Poète du macabre» en France et «Godfather of Gore» aux Etats-Unis. La raison est évidente en regardant le film qui, en plus d'une ambiance terrifiante, nous offre des scènes qui n'hésitent pas sur les détails sanglants ou simplement dégoûtants : Une pluie d'asticots grouillants qui s'abat sur les protagonistes, une fille qui vomit littéralement ses tripes ou encore un jeune homme qui se fait transpercer la tête de part en part à l'aide une perceuse, un effet très dérangeant de par son réalisme saisissant. Les cadavres en décomposition qui forment les zombies déambulant dégoulinent de matières indéfinissables, leurs apparitions aussi silencieuses que mortelles. Une fois leur victime désignée, leurs mains putréfiées lui agrippent l'arrière de la tête avant de pulvériser le crâne et d'arracher un gros bout de cervelle. Il y a des façons plus agréables de mourir…
Mais au-delà du gore dégoulinant, une histoire s'installe au travers de symboles très forts, à commencer par la vision décidément anticléricale qu'à Fulci de la religion. Lui-même catholique, il nourrissait pourtant d'innombrables doutes qui prennent forme ici dans le personnage tourmenté du père Thomas. Le suicide représente l'un des pires péchés pour une personne croyante, un acte qui ne lui permettra pas une inhumation en terre sacrée. Le père sera l'un des personnages pivots, sa présence maléfique hantant la ville de Dunwich et provoquant la mort abominable par le vomissage de tripes mentionné plus haut mais surtout, des larmes de sang coulant des yeux de tous ceux qui le regardent. Les larmes font partie intégrante de l'imagerie religieuse, en particulier dans les représentations picturales de la Madone. Et pourtant, Fulci ne se moque jamais ni ne devient méprisant – sa façon d'amener ces saynètes horrifiques s'inscrivent parfaitement dans l'évolution de l'histoire sans avoir besoin d'être expliquées à tout bout de champ. Le spectateur s'attend à tout et comprend intuitivement où le réalisateur veut en venir.
Du côté des acteurs, nous trouvons en première position la très belle Catriona MacColl (Mary). Elle apparaît ici pour la première fois chez Fulci qui la rappellera pour L'AU-DELA et LA MAISON PRES DU CIMETIERE. L'actrice n'en était qu'à son septième film mais sa façon naturelle d'incarner son personnage est des plus convaincants. Elle possède beaucoup de grâce ainsi qu'une grande vulnérabilité qui contraste fortement avec l'univers horrifique où elle évolue. Son personnage est secondé par Christopher George (Peter Bell), surnommé «Le chien au cigare» par Fulci tellement il le trouvait mauvais acteur. Il est vrai qu'il n'est pas toujours très crédible dans son rôle de journaliste, ayant un côté un peu «m'as-tu vu» où il se perd au détriment de son personnage.
Le film est habité par des seconds rôles bizarres comme souvent chez Fulci. Nous avons les fossoyeurs obsédés par toute chose pornographique, un médecin légiste qui vole les bijoux des morts, un psy et sa patiente aux personnalités troubles ou encore ce pauvre Bob, trépané à la perceuse juste parce que sa différence fait peur. Il est interprété par Giovanni Lombardo Radice (LA MAISON AU FOND DU PARC) dont c'était seulement le deuxième film. L'acteur a laissé une empreinte indélébile sur Salvati et Forges Davanzati qui en parlent longuement dans le commentaire audio, évoquant un acteur si sérieux et intense qu'on lui imaginait un grain de folie sans problème alors qu'il était tout le contraire hors plateau.
Néo avait auparavant sorti ce film en 2004, d'abord en version simple à destination des kiosques et ensuite, en Collector digipack. Cette nouvelle édition se justifie par des suppléments inédits dont nous vous parlerons bien sûr ci-dessous mais également par un nouveau transfert d'image et le rajout de pistes sons en 5.1 et DTS. Sur l'édition 2004 l'image apparaît sombre et froide, et les contrastes ne sont pas des plus nets. Certes, les films de Fulci n'avaient pas été pensés pour éblouir le spectateurs de prouesses visuelles. Mais les tons ténébreux font partie intégrante de l'ambiance macabre alors c'est avec un poil d'appréhension que nous mettons la galette en marche. Mais autant le dire tout de suite, le film n'a jamais été aussi beau ! Les couleurs revivent et les détails foisonnent dans une image où l'on ne soupçonnait pas autant de profondeur. L'intro voilée par le brouillard n'est pourtant pas très prometteuse car on se demande si tout le métrage baigne dans la même clarté grisâtre mais ne vous y fiez pas, le reste du film est tout simplement sublime avec ce nouveau transfert 16/9 au format 1.85.
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En ce qui concerne les langues, vous avez cette fois le choix entre le doublage français ou l'italien sous-titré qui remplace la version anglaise de l'édition 2004. En plus du mono d'origine, le Dolby Digital 5.1 et un mixage DTS complètent cette nouvelle édition. Les pistes mono, bien que d'aspect naturel, sont victimes de quelques grésillements irréguliers tandis que le 5.1 offre plus de profondeur et donne une toute nouvelle dimension au score sublime de Fabio Frizzi. A noter quelques curiosités dans le doublage français, le plus évident se déroulant entre les deux fossoyeurs qui doivent enterrer Mary Woodhouse. Assis au bord d'une tombe ouverte où repose un squelette desséché au fond, l'un dit être allé au ciné la veille, voir L'ENFER DES ZOMBIES. En italien, le gars est allé voir un film de Woody Allen… Tentative d'humour de la part des doubleurs ? Certes, Fulci aimait les auto-références mais seulement au niveau de sa mise en scène, pas au point d'inclure les titres de ses propres œuvres dans le scénario.
Le premier supplément est un commentaire audio du film par Paolo Albiero, Sergio Salvati (Directeur photo) et Roberto Forges Davanzati (Opérateur caméra) en italien sous-titré. Comme on peut l'imaginer, les trois hommes évoquent le réalisateur ainsi que différentes anecdotes de tournage en passant par la préparation technique de diverses scènes, comme celle où Catriona MacColl est enterrée vivante dans un cercueil fermé mais baignant dans une lumière bleutée du plus bel effet ou celle de la perceuse. Ils fournissent également une explication satisfaisante quoiqu'un peu surréaliste aux images finales qui ont intrigué tous les spectateurs du film mais nous ne la dévoilerons pas ici.
La première partie du documentaire intitulé Ti ricordi di Lucio Fulci ? (Te souviens-tu de Lucio Fulci) donne la parole à un grand nombre de gens ayant collaboré avec le réalisateur et qui le connaissaient sur et hors plateau, citons simplement Giannetto Di Rossi (effets spéciaux), Ornella Micheli (monteuse), Fabio Frizzi (compositeur), Howard Ross (acteur) ou Sergio Salvati (directeur photo). Tous s'accordent à dire que Fulci travaillait véritablement en équipe et avaient une grande confiance en ses techniciens. Il savait ce qu'il voulait et comment l'expliquer, il ne se sentait donc pas obligé de tout porter sur ses propres épaules. Comme cela a été largement documenté, Fulci savait gueuler – il râlait tout le temps, même – mais paradoxalement, il n'hésitait pas à complimenter les gens lorsque cela leur était dû. Un homme sévère mais juste, pourrait-on dire. Les différentes interviews sont intéressantes grâce au montage qui les alterne habilement mais une pointe de longueurs s'installe néanmoins surtout induite par une caméra statique. Quelques répétitions se glissent également dans l'ensemble ce qui est bien sûr inévitable lorsque autant de personnes parlent du même homme. Vous trouverez la deuxième partie de ce doc sur le nouveau collector de L'AU-DELA.
L'analyse du film par Paolo Albiero dure juste un peu plus d'une demi-heure et il est évident que ce «Fulciologue» connaît son sujet sur le bout des doigts. Co-auteur avec Giacomo Cacciatore d'un livre sur Fulci («Il terrorista dei Generi - Tutto il cinema de Lucio Fulci»), il livre ici un décorticage complet et intéressant tout en préservant un regard objectif sur les œuvres du cinéaste. Les arachnophobes essaieront de ne pas se laisser distraire par l'énorme tarentule sous verre placée juste à côté de son visage…
Ensuite, nous passons à la fiche technique du film qui donne également accès aux Filmographies présentées en plus sur une page individuelle. La bande annonce d'époque est en italien non sous-titré. Sa construction faite d'ambiance sonore et d'images terrifiantes traduit à merveille l'esprit décousu et macabre du métrage.
Le segment intitulé Making Of «Backstage» est un petit film souvenir tourné en Super 8 par Sergio Salvati qui avait pour habitude de garder une trace des tournages auxquels il participait. Sur une durée de dix minutes, les images sont commentées par Salvati, Paolo Albiero et Roberto Forges Davanzati. Ce supplément inédit est un complément très sympathique et l'on aurait évidemment souhaité une durée plus longue ainsi qu'une bande son accompagnatrice avec l'intervention des différents participants mais comment savoir à l'époque qu'un jour, ce genre d'initiative personnelle intriguerait les spectateurs d'un médium encore inconnu ? Nous découvrons brièvement ce qui paraît comme un tournage qui s'est déroulé dans une bonne ambiance (confirmé par Salvati) avec des images de la ville de Savannah, Géorgie et le tournage de quelques scènes en direct, présidées par un Fulci ayant son éternelle pipe à la bouche.
Un monde de mort au fond de leurs regards de pierre est un documentaire qui réunit toute une ribambelle de personnes. On y voit des scénaristes (Dardano Sacchetti qui revendique la paternité du gore du fait d'avoir co-écrit LA BAIE SANGLANTE, Antonio Tentori), des réalisateurs (Christophe Gans, Pascal Laugier, Eric Valette), le créateur d'effets spéciaux Benoît Lestang, ainsi que des journalistes (Christophe Lemaire, Alain Schlockoff, créateur de L'Ecran Fantastique et du Festival du Film Fantastiques de Paris) ou encore Pascal Goubereau, responsable éditorial de CinéFX. Tout ce petit monde évoque l'univers de Fulci selon son point de vue professionnel et sa sensibilité, témoignant chacun à sa façon de l'étendue de l'influence d'un réalisateur ayant offert quelques uns des plus beaux films au genre.
Le dernier segment, sobrement intitulé J'étais reprend les intervenants français du documentaire précédent. Cette fois, cependant, cela n'a aucun rapport direct avec FRAYEURS vu que les différentes personnes évoquent des souvenirs d'enfance ou d'adolescence et livrent leurs pensées personnelles sur les films de genre. Bien que passionnés, ils restent lucides sur l'état de ce cinéma en France qui, une fois encore, souffre du triste constat qu'il est quasi inexistant.
Au-delà de son quotient gore certain, FRAYEURS fait partie des œuvres qui réussissent à nouer d'angoisse les tripes du spectateur de par une ambiance souvent imitée, mais rarement égalée. Cette édition se pose comme un must pour le fan qui pourra ainsi admirer encore et encore ce chef d'œuvre du macabre, ode à Lovecraft, Poe et l'esprit ténébreux d'un réalisateur ayant marqué nos cœurs au fer rouge sang…